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Aux portiques brisés du temple de Minerve,
L'indifférent pêcheur, sous ces flots qu'il observe,
Dans le calme des nuits jette ses longs filets,
Et rien ne lui redit si jadis Périclès
D'édifices pompeux a couronné ces rives,
Si les arts ont brillé sur ces plages oisives,
Et si, près de ces bords, Thémistocle et Xercès
Ont disputé d'orgueil, d'empire et de succès.
Ainsi donc des Etats les tombes sont muettes :
Les plus fameux destins restent sans interprètes.
Tout meurt les souvenirs, la puissance, et les arts.
(Le Génie de l'Homme, ch. Iv.)

Isaïe.

Sa voix redoutable,

Proclamant du Très-Haut l'arrêt épouvantable,
Dans un style inspiré raconte l'avenir;
A Tyr, encor vivante, ouvre une tombe antique,
Où son chant prophétique

Sait déjà la punir.

Mais, si jamais sa vive et poétique ivresse,
Dans les modes sacrés exhalant sa richesse,
A chanté sur un ton encor plus solennel,
C'est lorsque, convoquant les pouvoirs de son âme,
En traits d'or et de flamme,

Il nous peint l'Éternel.

O vous! chantres fameux, vous qui, dans vos ouvrages, Vous disputez le prix de ces vives images

Qui charment la pensée, ou ravissent le cœur,
Montrez-nous des tableaux dont l'éclat poétique
De ce chant prophétique
Égale la vigueur!.....

(Etudes poétiques.)

Celui-ci venait d'achever ses études lorsque la révolution française commença. Il se retira en Allemagne et y publia quelques poésies, parmi lesquelles on remarque l'Invention, ode à Klopstock. Rentré en France, il continua à s'y occuper de littérature, et fut nommé professeur de belles-lettres au lycée de Caen. Plus tard, l'université récompensa ses services en le nommant inspecteur de l'académie de cette ville. Ce fut en 1807 que Chênedollé publia son poème du Génie de l'homme, dont on a fait 10 ou 12 éditions. Ses Etudes poétiques parurent en 1820. Son ode intitulée Michel-Ange remporta, en 1816, une amaranthe d'or à l'académie des Jeux-Floraux de Toulouse, où il avait déjà obtenu un autre prix du même genre. L'élévation des sentiments, la noblesse des images et l'harmonie du style caractérisent la poésie de ce professeur, et font regretter qu'il n'ait pas écrit davantage.

MICHAUD

(JOSEPH), né à Bourg en Bresse en 1771, mort en Italie.

Départ des Croisés après le Concile de Clermont.

Dès que le printemps parut, rien ne put contenir l'impatience des croisés; ils se mirent en marche pour se rendre dans les lieux où ils devaient se rassembler. Le plus grand nombre allait à pied; quelques cavaliers paraissaient au milieu de la multitude, plusieurs voyageaient sur des chars traînés par des bœufs ferrés; d'autres côtoyaient la mer, descendaient les fleuves dans des barques: ils étaient vêtus diversement, armés de lances, d'épées, de javelots, de massues de fer, etc. La foule des croisés offrait un mélange bizarre et confus de toutes les conditions et de tous les rangs des femmes paraissaient en armes au milieu des guerriers... On voyait la vieillesse à côté de l'enfance, l'opulence près de la misère; le casque était confondu avec le froc, la mitre avec l'épée, le seigneur avec le serf, le maître avec le serviteur. Près des villes, près des forteresses, dans les plaines, sur les montagnes, s'élevaient des tentes, des pavillons pour les chevaliers, et des autels dressés à la hâte pour l'office divin; partout se déployait un appareil de guerre et de fête solennelle. D'un côté, un chef militaire exerçait ses soldats à la discipline; de l'autre, un prédicateur rappelait à ses auditeurs les vérités de l'Évangile. Ici, on entendait le bruit des clairons et des trompettes; plus loin, on chantait des psaumes et des cantiques. Depuis le Tibre jusqu'à l'Océan, et depuis le Rhin jusques au-delà des Pyrénées, on ne rencontrait que des troupes d'hommes revêtus de la croix, jurant d'exterminer les Sarrasins et d'avance célébrant leurs conquêtes; de toutes parts retentissait le cri des croisés: Dieu le veut ! Dieu le veut !

Les pères conduisaient eux-mêmes leurs enfants, et leur faisaient jurer de vaincre ou de mourir pour Jésus-Christ. Les guerriers s'arrachaient des bras de leurs familles et promettaient de revenir victorieux. Les femmes, les vieillards, dont la faiblesse restait sans appui, accompagnaient leurs fils ou leurs époux dans la ville la plus voisine; et, ne pouvant se séparer des objets de leur affection, prenaient le parti de les suivre jusqu'à Jérusalem. Ceux qui restaient en Europe enviaient le sort des croisés et ne pouvaient retenir leurs larmes; ceux qui allaient chercher la mort en Asie étaient pleins d'espérance et de joie.

Parmi les pèlerins partis des côtes de la mer, on remarquait un foule d'hommes qui avaient quitté les îles de l'Océan. Leurs vêtements et leurs armes, qu'on n'avait jamais vus, excitaient la curiosité et la surprise. Ils parlaient une langue qu'on n'entendait point; et pour montrer qu'ils étaient chrétiens, ils élevaient deux doigts de leur main l'un sur l'autre en forme de croix. Entraînés par leur exemple et par l'esprit d'enthousiasme répandu partout, des familles, des villages entiers partaient pour la Palestine; ils étaient suivis de leurs humbles pénates; ils emportaient leurs provisions, leurs ustensiles, leurs meubles. Les plus pauvres marchaient sans prévoyance, et ne pouvaient croire que celui qui nourrit les petits des oiseaux laissât périr de misère des pèlerins revêtus de sa croix. Leur ignorance ajoutait à leur illusion, et prêtait à tout ce qu'ils voyaient un air d'enchantement et de prodige; ils croyaient sans cesse toucher au terme de leur pèlerinage. Les enfants des villageois, lorsqu'une ville ou un château se présentait à leurs yeux, demandaient si c'était là Jérusalem. Beaucoup de grands seigneurs qui avaient passé leur vie dans leurs donjons rustiques, n'en savaient guère plus que leurs vassaux; ils conduisaient avec eux leurs équipages de pêche et de chasse, et marchaient précédés d'une meute, portant leur faucon sur le poing. Ils espéraient atteindre Jérusalem en faisant bonne chère, et montrer à l'Asie le luxe grossier de leurs châteaux,

Au milieu du délire universel, personne ne s'étonnait de ce qui fait aujourd'hui notre surprise. Ces scènes si étranges, dans lesquelles tout le monde était acteur, ne devaient être un spectacle que pour la postérité.

(Histoire des Croisades.)

Les Fleurs.

Ce sol, sans luxe vain, mais non pas sans parure,
Au doux trésor des fruits mêle l'éclat des fleurs.
Là, croit l'œillet si fier de ses mille couleurs ;
Là, naissent au hasard le muguet, la jonquille,
Et des roses de mai la brillante famille,
Le riche bouton d'or, et l'odorant jasmin,
Le lis, tout éclatant des feux purs du matin,
Le tournesol, géant de l'empire de Flore,
Et le tendre souci qu'an or pâle colore;
Souci simple et modeste, à la cour de Cypris,
En vain sur toi la rose obtient toujours le prix :
Ta fleur, moins célébrée, a pour moi plus de charmes ;

L'aurore te forma de ses plus douces larmes.
Dédaignant des cités les jardins fastueux,

Tu te plais dans les champs; ami des malheureux,
Tu portes dans les cœurs la douce rêverie;
Ton éclat plaît toujours à la mélancolie ;
Et le sage Indien, pleurant sur un cercueil,
De tes fraîches couleurs peint ses habits de deuil.

(Le Printemps d'un proscrit, ch. 11.)

J. Michaud était membre de l'Académie française. Il s'était rendu à Paris après avoir fini ses études dans sa ville natale. Il fonda la Quotidienne et y défendit la cause des Bourbons avec tant de chaleur, qu'il fut arrêté et condamné à mort en 1795, mais ses amis trouvèrent le moyen de faire révoquer ce jugement. Ayant repris son journal, il persista dans ses opinions, s'attira de nouvelles persécutions, et fut condamné à être déporté à la Guiane, mais il se sauva dans les montagnes du Jura. Après la chute de l'empire, il fut nommé officier de la légion d'honneur, membre de la chambre des députés, lecteur du roi, etc. Il conserva la propriété de son journal. J. Michaud est auteur de plusieurs ouvrages estimés, tels que, Voyage littéraire au Mont-Blanc et dans quelques lieux pittoresque de la Savoie en 1787; Déclaration des droits de l'homme, poème qui est une critique de cette fameuse déclaration adoptée par l'assemblée constituante; Histoire des progrès de la chute de l'empire de Mysore, etc., 2 vol. in8vo; le Printemps d'un proscrit, poème descriptif où l'on trouve de beaux vers, un style varié, pur, élégant; Histoire des croisades, 7 vol. in-8vo, ouvrage digne du succès qu'il a obtenu, par l'intérêt du sujet, par l'impartialité des jugements. un style pur, clair et soutenu, et par des recherches neuves et profondes; Histoire des quinze semaines, ou le Dernier règne de Bonaparte, brochure de circonstance qui eut plus de 25 éditions; etc. Louis-Gabriel MICHAUD, frère du précédent, naquit au même lieu en 1772; entra au service, parvint au grade de capitaine d'infanterie, se retira en 1797, et se fit imprimeur à Paris. Il a publié plusieurs ouvrages parmi lesquels on remarque la Biographie universelle ancienne et moderne, 52 vol. in-8vo, 1828, qui a eu un succès considérable. Il paraît que cet ouvrage a été continué depuis, et qu'on est arrivé à 72 ou 75 vol.

COURIER

(Paul-Louis), né à Paris en 1773, fut assassiné près de Tours (Indre-etLoire), le 10 août 1825.

Récit d'un Voyageur en Calabre.

Un jour je voyageais en Calabre. C'est un pays de mé. chantes gens, qui, je crois, n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long, suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe fort mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour

compagnon un jeune homme d'une figure... ma foi, comme ce monsieur que nous vîmes au Rincy; vous en souvenez-vous? et mieux encore peut-être. Je ne dis pas cela pour vous intéresser, mais parce que c'est la vérité. Dans ces montagnes, les chemins sont des précipices, nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Ce fut ma faute, devais-je me fier à une tête de vingt ans ? Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois ; mais plus nous cherchions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçon, mais comment faire? Là, nous trouvons toute une famille de charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier: nous voilà mangeant et buvant, lui du moins, car pour moi j'examinais le lieu et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mines de charbonniers; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'étaient que fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me déplut, et je vis bien que je déplaisais aussi. Mon camarade, au contraire: il était de la famille, il riait, il causait avec eux; et par une imprudence que j'aurais dû prévoir (mais quoi! s'il était écrit !) il dit d'abord d'où nous sommes, où nous allions, qui nous étions; Français, imaginez un peu! chez nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours humain ! et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit le riche, promit à ces gens pour la dépense, et pour nos guides le lendemain, ce qu'ils voulurent. Enfin, il parla de sa valise, priant fort qu'on en eût grand soin, qu'on la mît au chevet de son lit; il ne voulait point, disait-il, d'autre traversin. Ah! jeunesse ! jeunesse ! que votre åge est à plaindre ; cousine, on crut que nous portions les diamants de la couronne; ce qu'il y avait qui lui causait tant de souci dans cette valise, c'étaient les lettres de sa mère.

Le souper fini, on nous laisse ; nos hôtes couchaient en bas, nous dans la chambre haute où nous avions mangé; une soupente élevée de sept à huit pieds, où l'on montait par une échelle, c'était là le coucher qui nous attendait, espèce de nid, dans lequel on s'introduisait en rampant sous des solives chargées de provisions pour toute l'année. Mon camarade y grimpa seul, et se coucha tout endormi, la tête sur la précieuse valise. Moi, déterminé à veiller, je fis bon feu, et m'assis auprès. La nuit s'était déjà passée presque entière assez tranquillement, et je commençais à me rassurer, quand sur l'heure où il me semblait que le jour ne pouvait être loin,

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