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Les Feuilles.

La racine étant presque toujours dérobée aux regards, on peut dire que le feuillage donne seul un caractère à la plante. Il croît avec elle; il la dirige dans les airs où il protége de son abri les tendres rameaux. Chargé de fonctions absorbantes et sécrétoires, il est à la fois le pourvoyeur et l'ornement de la tige à laquelle il communique son balancement onduleux. Aussi quelle prévoyance dans le bouton qui le contient !

Celui-ci, formé dans l'aisselle d'une feuille qui le nourrit et l'enveloppe de son pétiole, ne présente d'abord qu'un point presque imperceptible. Il croît graduellement et se montre d'une manière plus distincte aux approches de l'hiver, époque à laquelle les frimas lui enlèvent sa protectrice. Mais, si ce secours lui manque, c'est qu'il est déjà pourvu des pellicules et des gommes sous lesquelles il peut braver impunément la rude saison. C'est donc dans cet espace étroit que, pliés selon leurs formes, les divers feuillages attendent le printemps. A peine le soleil de mars a réchauffé la terre, qu'on les voit, de toutes parts, abandonner, déchirer, ou chasser les tuniques qui leur ont servi de berceau. Les arbres se coiffent de vertes chevelures, sous lesquelles leurs fronts cannelés se rajeunissent. Variées dans leur port comme dans leurs teintes, elles se groupent, se divisent, s'étalent ou flottent avec grâce. Tantôt agréables pendentifs, elles s'arquent et retombent en guirlandes; tantôt moins modestes, elles s'élèvent à la manière de faisceaux, de gerbes ou d'obélisques. Ici c'est une flèche que l'on décoche; là c'est une touffe azurée qui se marie élégamment à l'horizon. Des feuilles innombrables se sont tout à coup étendues dans les airs, pareilles à l'épée qui sort du fourreau, à l'éventail que l'on déplisse, ou à la pièce d'étoffe que l'on déroule. Peu de jours viennent de s'écouler, et les bosquets se sont si bien enlacés, l'ombre s'est tellement épaissie, que l'on serait tenté de demander où donc avaient été mises en réserve ces riches et fraîches tentures, dont s'est paré dans un instant le séjour de la race humaine.

(Inductions morales et physiologiques, liv. 111, ch. vIII.)

Ayant terminé ses études au collége de Rennes, M. Kératry fit son cours de droit, et puis alla habiter ses domaines dans le départment du Finistère, où il commença de bonne heure sa carrière politique. La modération de ses principes le fit arrêter deux fois pendant la révolution, mais tous les habitants de sa commune rurale se réunirent pour le réclamer, et il leur fut rendu après quelques mois de détention. Les électeurs de ce département ont donné à M. Kératry un témoignage bien honorable de leur estime et de leur confiance, en le nommant trois ou

quatre fois un de leurs représentants à la chambre des députés, dont il fait encore partie. En 1791, il fit paraître vol. de Contes et d'Idylles dans le genre de Gessner, dont l'abbé Aubert* et La Harpe parlèrent avec éloge. Peu de temps après, il publia successivement son Voyage de vingt-quatre heures, ses Voisins dans l'Arcadie, son Habit mordoré, et Ruth el Noémi. Les Inductions morales et philosophiques, dont la 2de. édition parut en 1818, et le Traité de l'existance de Dieu et de l'immortalité de l'ame, publié en 1815, ont acquis à l'auteur une réputation de philosophe. Son roman, Les derniers de Beaumanoir, 4 vol. in-8vo, offre des tableaux intéressants des mœurs de la Bretagne, mais il y a beaucoup de détails minutieux. Frédéric Styndall, ou la Fatale année, 4 vol. in18 (1827), est un roman dont le fond est une peinture des mœurs de la cour d'Autriche. On a encore de M. Kératry plusieurs autres ouvrages, tels que romans, brochures sur la politique, sur la religion, sur les beaux arts, sur l'histoire de France, etc. Il a travaillé à l'Encyclopédie moderne, à la Revue encyclopédique, et il coopère à la rédaction du Courier français, dont il est un des propriétaires.

BONAPARTE

(NAPOLÉON, empereur des Français), né à Ajaccio (Corse) en 1769, mort à l'Ile Sainte-Hélène en 1821.

Soldats,

Proclamation à ses Soldats, (1796).

Vous avez, en quinze jours, remporté six victoires, pris vingt drapeaux, cinquante pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont; vous avez fait quinze mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes.

Vous vous étiez jusqu'ici battus pour des rochers stériles, illustrés par votre courage, mais inutiles à la patrie: vous égalez aujourd'hui par vos services l'armée conquérante de Hollande et du Rhin; dénués de tout, vous avez suppléé à

*AUBERT (l'abbé Jean-Louis), né à Paris en 1731, mort en 1814. Il a été rédacteur en chef du journal des Beaux-Arts, et puis de la Gazette de France. C'était un critique plein d'érudition et possédant un goût exquis, mais sa critique était parfois acerbe: Passez vite, il mord, écrivit un jour un plaisant au bas de son buste. On lui doit le poème de Psyché, remarquable par une poésie élégante et facile; la Mori d'Abel, drame en 3 actes; des contes moraux en vers; des fables, sur lesquelles est principalement fondée sa réputation littéraire; etc. Voltaire plaçait Aubert après La Fontaine, comme fabuliste; mais Florian, Le Bailly, et même Arnault paraissent aujourd'hui l'emporter sur lui.-Œuvres, 2 vol. in-8vo.

tout; vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et quelquefois sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert. Grâces vous en

soient rendues, soldats! la patrie reconnaissante vous devra sa prospérité; et si, vainqueurs de Toulon, vous présageâtes l'immortelle campagne de l'an III, vos victoires actuelles en présagent une plus belle encore.

Les deux armées qui naguère vous attaquaient avec audace, fuient épouvantées devant vous. Les hommes pervers qui riaient des privations auxquelles vous étiez condamnés, et se réjouissaient, dans leur pensée, du triomphe de vos ennemis, sont confondus et tremblants.

Mais, soldats, il ne faut pas le dissimuler, vous n'avez rien fait, puisqu'il vous reste encore à faire: ni Turin ni Milan ne sont à vous; les cendres des vainqueurs des Tarquins sont encore foulées par vos ennemis.

Vous étiez dénués de tout au commencement de la campagne: vous êtes aujourd'hui abondamment pourvus; les magasins pris à nos ennemis sont nombreux; l'artillerie est arrivée; la patrie a droit d'attendre de vous de grandes choses: justifierezvous son attente? Les plus grands obstacles sont franchis, sans doute; mais vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des rivières à passer. En est-il d'entre vous dont le courage s'amollisse? en est-il qui préfèreraient de retourner sur les sommets de l'Apennin et des Alpes, essuyer patiemment les injures d'une soldatesque esclave? Non, il n'en est point parmi les vainqueurs de Montenotte, de Millesimo, de Dego et de Mondovi!

Tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français, tous veulent humilier ces rois orgueilleux qui osaient méditer de nous donner des fers, tous veulent dicter une paix glorieuse, qui indemnise la patrie des sacrifices immenses qu'elle a faits; tous veulent, en rentrant dans leurs villages, pouvoir dire avec fierté: J'étais de l'armée conquérante de l'Italie !

Dernière Allocution à sa Garde.

Fotainebleau, 21 avril 1814.

Généraux, officiers, sous-officiers et soldats de ma vieille garde, je vous fais mes adieux: depuis vingt ans je suis content de vous; je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire.

...

Les puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi; la France a voulu d'autres destinées.

Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans ; mais la France eût été malheureuse, ce qui était contraire au but que je me suis proposé.

Soyez fidèles au nouveau roi que la France s'est choisi; n'abandonnez pas notre chère patrie, trop longtemps malheureuse! Aimez-la toujours, aimez-la bien, cette chère patrie !

Ne plaignez pas mon sort; je serai toujours heureux lorsque je saurai que vous l'êtes.

J'aurais pu mourir, rien ne m'eût été plus facile; mais je suivrai sans cesse le chemin de l'honneur. J'ai encore à écrire ce que nous avons fait.

Je ne puis vous embrasser tous, mais j'embrasserai votre général... Venez, général... (il serre le général Petit dans ses bras.) Qu'on m'apporte l'aigle... (il la baise) chère aigle! que ces baisers retentissent dans le cœur de tous les braves !... Adieu, mes enfants!... mes vœux vous accompagneront toujours; conservez mon souvenir...

Napoléon fut admis fort jeune à l'école militaire de Brienne, d'où il passa à celle de Paris en 1784. Il se fit remarquer dans le cours de ses études par un caractère sérieux et réfléchi, fuyant et méprisant les jeux et les plaisirs du jeune âge. On ne trouve même rien dans ses premières années qui ressemble aux occupations et aux goûts ordinaires de l'enfance. Passionné pour l'étude, il recherche constamment la solitude pour s'y livrer avec plus d'ardeur; mais les sciences exactes seules fixent son attention; les langues anciennes, les arts d'agrément et toutes les connaissances purement littéraires lui paraissent inutiles, il les dédaigne et les néglige. L'étude de la géographie et de l'histoire eut pour lui un attrait singulier. Après les examens brillants qu'il soutint en 1785, il fut nommé sous-lieutenant d'artillerie, et envoyé dans un régiment alors en garnison à Grenoble. Comme à Brienne et à Paris, il s'obstina encore longtemps à fuir le monde et à se cacher pour n'être point troublé dans ses études et ses méditations. A 26 ans, il était général en chef. Cette notice ne devant avoir d'autre but que celui de faire connaître ses travaux littéraires, nous ne suivrons pas plus loin cet homme extraordinaire dont tout le monde connait d'ailleurs l'histoire. On sait à peu près quelle fut son éducation, voici les titres de ses principaux ouvrages: Correspondance inédite, officielle el confidentielle de Napoléon Bonaparte, Paris, 1820, 7 vol. in-8vo; Euvres de Napoléon, Paris, 1822, 5 vol. in-8vo; Mémoires pour servir à l'histoire de France, écrits à Ste. Hélène, et publiés sur les manuscrits de Napoléon, Paris, 1825, 8 vol. in-8vo; etc.

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LACRETELLE

(CHARLES), né à Metz vers 1769.

Philippe II.

Philippe II s'était mis en garde contre les innovations religieuses, par les échafauds et les bûchers; contre les priviléges de ses sujets et leur esprit d'indépendance, par un despotisme qui abattait tout ce qu'il ne pouvait niveler; contre ses remords, par sa superstition et sa soumission au pape. Insensible et dur, il n'avait pas eu de peine à se faire une fausse conscience; dans le long cours d'un règne malfaisant, il fut toujours triste et ne parut jamais agité. Il se faisait un mérite de repousser des plaisirs qui n'eussent été qu'une fatigue pour lui, et s'enorgueillissait de son amour pour le travail, quels qu'en fussent les résultats. Il peuplait sa cour de délateurs, et les Etats voisins d'espions; l'Europe avait toujours à craindre quelque calamité nouvelle, chaque fois qu'un galion du Mexique entrait dans les ports d'Espagne. Aussi sévère dans sa magnificence que dans l'habitude de son visage, il paraissait, non protéger, mais tolérer les lettres et les beaux-arts. Quoi qu'on ait dit de ses projets de monarchie universelle, il songeait plutôt à troubler les Etats qu'à les conquérir. Il croyait sa volonté grande et forte, parce qu'elle était opiniâtre: il voulait qu'au dehors comme au dedans, sa volonté fût faite; enfin, il crut régner comme un représentant de Dieu, et les peuples l'appelèrent le démon du Midi.

(Histoire de France, pendant les guerres de religion.)

Henri de Guise, chef de la Ligue.

Tout ce que Henri de Guise avait de brillantes qualités, et même de vices, concourait à en faire un puissant chef de parti. Sa taille était haute, sa démarche aussi aisée qu'imposante; ses traits réguliers brillaient, dès sa première jeunesse, d'une beauté virile; il déployait autant de vigueur que d'adresse dans tous les exercices. Quoiqu'il fût consommé dans l'art de feindre, ses yeux pleins de feu semblaient déclarer, avec franchise, ou la haine, ou l'amitié: lors même qu'il excitait des discordes, il avait le maintien d'un conciliateur, la supériorité d'un arbitre. Il se faisait pardonner son orgueil par un

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