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Et toujours méthodique, et toujours concerté,
Des élans d'un auteur abaisser la fierté,
Tomber quand il s'élève, et ramper quand il vole !
Ah! garde pour toi seul ton scrupule frivole:
Sois captif dans le cercle obscur et limité
Qui fut tracé des mains de l'uniformité;
Aux lois de ton compas asservis Melpomene,
Et la douleur de Phèdre, et l'amour de Chimène ;
Ravale à ton niveau l'essor audacieux

De l'oiseau du tonnerre égaré dans les cieux;
Meurs d'ennui, j'y consens, sois barbare à ton aise,
Mais ne m'accable pas sous un joug qui me pèse ;
N'éxige pas du moins, insensible lecteur,
Que jamais je me plie à ton goût destructeur.
Va, d'un débit heureux l'innocente imposture,
Sans la défigurer, embellit la nature;

Et les traits que la muse éternise en ses chants,
Récités avec art en seront plus touchans.
Ils laisseront dans l'âme une trace durable,
Du génie éloquent empreinte inaltérable,
Et rien ne plaira plus à tous les goûts divers
Qu'un organe flatteur déclamant de beaux vers.
Jadis on les chantait: les annales antiques
De Moïse et d'Orphée exaltent les cantiques.
Te faut-il rappeler ces prodiges connus ?
Ces rochers attentifs à la voix de Linus ?
Et Sparte qui s'éveille aux accens de Tyrthée ?
Et Therpandre apaisant la foule révoltée ?"
Les poètes divins, maîtres des nations,
Savaient noter alors l'accent des passions.
L'âme était adoucie et l'oreille charmée,
Et même des tyrans la rage désarmée.
Ce fut l'attrait des vers qui fit aimer les lois,
L'art de les déclamer fut le talent des rois.

Les dieux même, les dieux, par la voix des oracles,
De cet art enchanteur consacraient les miracles.
Chez les fils de Cadmus, peuples ingénieux,

Que les sons de la lyre étaient harmonieux !
Que dans ces beaux climats, l'exacte prosodie
Aux chansons des neuf sœurs prêtait de mélodie!
On voyait, à côté des dactyles volans,

Le spondée alongé se traîner à pas lents.

* Therpandre, poète et musicien natif de Lesbos, apaisa par ses chants une sédition à Sparte (N. E.)

Chaque mot chez les Grecs, amans de la mesure,
Se pliait de lui-même aux lois de la césure.
Chaque genre eut son rythme en vers majestueux
L'épopée entonna ses récits fastueux;

La modeste élégie eut recours au distique;
Archiloque s'arma de l'ïambe caustique ;
A des maîtres divers Alcée, Anacréon,
Prêtèrent leur génie, et leur gloire et leur nom.
Pour nous, enfans des Goths, Apollon plus avare
A dédaigné long-temps notre jargon barbare.
Ce jargon s'est poli: les Muses sur nos bords
Ont d'une mine ingrate arraché des trésors.
O Racine! ô Boileau! votre savante audace
Fait parler notre langue aux échos du Parnasse ;
Ce rebelle instrument rend des accens flatteurs ;
Vous peignez la nature en sons imitateurs,
Tantôt doux et légers, tantôt pesans et graves;
Votre Apollon est libre au milieu des entraves;
Et l'oreille, attentive au charme de vos vers,
Croit de Virgile même entendre les concerts........

Placé à l'âge de 7 ans chez les jésuites de Neufchateau pour y faire ses études, François y fit des progrès qui le firent regarder comme un prodige. A peine âgé de 14 ans, il publia quelques poésies qui lui ouvrirent les portes de l'Académie de Dijon en 1765; et deux ans après, les Académies de Lyon et de Marseille lui accordèrent le même honneur. Ce fut à cette époque qu'il fut adopté par la ville de Neufchateau, dont il a depuis porté le nom. Ayant obtenu des dispenses d'âge, il fut admis au barreau de Reims en 1770, nommé avocat du roi l'année suivante, et, s'élevant graduellement à un grand nombre d'emplois plus considérables, son mérite le conduisit aux plus hautes dignités nationales. Député aux états-généraux et à l'assemblée législative, deux fois ministre de l'intérieur, membre du sénat et président de ce corps, ministre plénipotentiaire, membre de l'Institut de France, président de plusieurs sociétés savantes, etc., etc., il remplit toutes ces fonctions avec autant de zèle que de talent et de probité, et sans autre ambition que celle de contribuer à la prospérité de son pays. En quittant le ministère de l'intérieur en 1799, il versa au trésor public une somme de 15,000,000 francs, provenant de fonds secrets laissés à sa disposition, et dont il ne devait compte qu'à sa conscience. On dit qu'uncun ministre de l'intérieur n'a montré autant de zèle en faveur des sciences et des arts. C'est à lui qu'on doit la première exposition publique des produits de l'industrie française (1798).

Elevé sous l'influence des idées libérales de l'époque, et plein du sentiment patriotique qui se manifestait alors en France, Neufchateau ne pouvait manquer de saluer avec enthousiasme l'aurore de cette régénération qui s'y est enfin accomplie après tant d'efforts, de secousses et de sacrifices. Mais, en embrassant avec transport la cause de la liberté, il se montra toujours sage, prudent et modéré. D'abord grand admirateur de Napoléon, il en fut comblé de faveurs et de dignités; mais plus tard, n'approuvant pas les vues ambitieuses de l'empereur, Neufchateau se retira de la scène politique, et ne s'occupa que d'objets d'agriculture, parcourant les provinces et employant tous ses moyens et son crédit à perfectionner

cette branche de l'industrie. On lui doit plusieurs poèmes, parmi lesquels on remarque celui des Tropes, en 4 chants; des Fables et contes en vers, suivis des poèmes de la Lupiade et de la Vulpéide, 3 vol. in-12; un Discours sur l'art de lire les vers; Paméla, comédie en 5 actes et en vers; les Trois nuits d'un goutteux, autre poème en 3 chants; le Jubilé académique, épître lue à la séance extraordinaire de l'académie française, en 1818; Epitre sur l'agriculture; un grand nombre de poésies fugitives, 1 vol. in-12, et in-8vo; Epître sur le parlement; Les voyages, autre poéme; et beaucoup d'ouvrages en prose, tels que l'Institution des enfants, où Conseils d'un père à son fils; des traités d'agriculture; des critiques littéraires, historiques, politiques; des mémoires sur l'agriculture, les fois, les gouvernements, l'économie rurale, etc. Ila en outre contribué à la rédaction de plusieurs journaux et revues, et autres publications.

BERGASSE

(NICOLAS), né à Lyon en 1750, mort en 1820.

La Vie champêtre.

Nous avons tous un goût naturel pour la vie champêtre. Loin du fracas des villes et des jouissances factices que leur vaine et tumultueuse société peut offrir, avec quel plaisir vivement ressenti nous allons y respirer l'air de la santé, de la liberté, de la paix !

Une scène se prépare plus intéressante mille fois que toutes celles que l'art invente à grands frais pour vous amuser ou vous distraire. Du sommet de la montagne qui borne l'horizon, l'astre du jour s'élance brillant de tous ses feux. Le silence de la nuit n'est encore interrompu que par le chant plaintif et tendre du rossignol, ou le zéphyr léger qui murmure dans le feuillage, ou le bruit confus du ruisseau qui roule dans la prairie ses eaux étincelantes. Voyez-vous ces collines se dépouiller par degrés du voile de pourpre qui les recèle, ces moissons mollement agitées se balancer au loin sous des nuances incertaines, ces châteaux, ces bois, ces chaumières, bizarrement groupés, s'élever du sein des vapeurs, ou se dessiner en traits ordoyants dans le vague azuré des airs? L'homme des champs s'éveille. Tandis que sa robuste compagne fait couler dans une urne grossière le lait de vos troupeaux, le voyez-vous ouvrir gaiement un pénible sillon, ou, la serpe à la main, émonder en chantant l'arbuste qui ne produit que pour vous ses fruits savoureux? Cependant le soleil s'avance dans sa carrière enflammée; l'ombre, comme une

vague immense, roule et se précipite vers la gorge solitaire d'où s'échappent les eaux du torrent; le vent fraîchit, l'air s'épure; une abondante rosée tombe en perles d'argent sur le velours des fleurs, ou se résout en étincelles de feu sur la naissante verdure. Oh! combien votre âme est émue! quelle fraîcheur délicieuse pénètre alors vos sens! comme elles sont consolantes et pures les pensées du matin! comme elles égaient le rêve mélancolique de la vie ! En s'abandonnant à leurs douces erreurs, combien aisément on oublie, et les tristes projets de la grandeur, et les vaines jouissances de la gloire, et le mépris du monde et sa froide injustice !

Nous ne remarquons pas assez l'influence prodigieuse que la nature conserve encore sur nos âmes, malgré l'étonnante variété de nos goûts, et la profonde dépravation de nos penchants. Je ne sais, mais il me semble qu'à la campagne notre sensibilité devient et moins orgueilleuse et plus vive; que nous y aimons nos amis avec plus de franchise, nos femmes avec plus de tendresse; que les jeux de nos enfants nous y intéressent davantage; que nous y parlons de nos ennemis avec moins d'aigreur, de la fortune avec plus d'indifférence. Est-ce en respirant la vapeur embaumée du soir, en se promenant à la lueur tranquille et douce de l'astre des nuits, qu'on peut ourdir une trame perfide, ou méditer de tristes vengeances? Ce berceau que vos mains ont planté, où le chèvrefeuille, le jasmin et la rose entrelacent leurs tiges odorantes, ne l'avez-vous orné avec tant de soin que pour vous y livrer aux rêves pénibles de l'ambition? Dans cette solitude champêtre qu'ont habitée vos pères, dans cet asile des mœurs, de la confiance et de la paix, que vous importent les vains discours des hommes, et leurs lâches intrigues, et leur haine impuissante, et leurs promesses trompeuses? Quelle impression peut encore faire sur votre âme le récit importun de leurs erreurs ou de leurs crimes? Au déclin d'un jour orageux, ainsi gronde la foudre dans le nuage flottant sur les bords enflammés de l'horizon, ainsi retentit le torrent qui ravage au loin une terre agreste et sauvage.

(Fragments.)

Elu député aux états-généraux en 1789, ce célèbre jurisconsulte s'y montra partisan zélé de la monarchie, mais la modération de son caractère l'engagea à garder un silence qu'on a depuis blâmé. Il prit un vif intérêt à la situation personnelle de Louis XVI, et offrit des moyens propres à le sauver; mais, quoique accueillis, ils ne furent point exécutés. Arrêté en 1793, Bergasse recouvra sa liberté, et ne s'occupa dès lors que de ses travaux littéraires et scientifiques. Outres ses Discours et mémoires judiciares, qui lui ont acquis une juste célébrité au barreau, il a composé des Lettres sur la politique et autres sujets; des Fragments sur

l'influence de la volonté sur l'intelligence; une Théorie du monde et des êtres animés, suivant les principes de Mesmer; De la liberté du commerce; Recherches sur le commerce, les banques et les finances; des Essais sur la liberté de la presse, sur le rapport entre la loi religieuse et les lois politiques des peuples, sur la morale, etc. Tous ces ouvrages sont fort bien écrits et ont passé par plusieurs éditions. Se trouvant à Paris en 1815, Bergasse fut honoré d'une visite de l'empereur de Russie, qui parut attacher un grand prix à ses conseils.

LACRETELLE

(PIERRE-LOUIS), né à Metz en 1751, mort à Paris en 1824.

Le Littérateur.

Le littérateur est l'élève de la nature; tout ce qu'elle offre de beau, de bon, d'aimable, de grand, se réfléchit, se combine, se féconde dans son âme; il semble ne vivre que pour recevoir et communiquer ces belles émotions dont la nature est le principe, le moyen et l'objet.

Il est aussi l'élève de l'art: tout ce qu'il apprend, tout ce qu'il sait, est pour lui une source inépuisable de recherches, d'observations, de principes, d'émotions réfléchies; il décompose tout ce qu'on a fait avant lui, tout ce qui se fait autour de lui. On dirait que son âme est double; il sent et combine en même temps; il ne réfléchit que pour mieux sentir encore; l'enthousiasme qui échauffe ses pensées est aussi la lumière qui les éclaircit. Il s'étudie surtout lui-même comme principale richesse, et s'assouplit comme son continuel instrument: il sait s'émouvoir, se calmer, diriger, détourner les idées, les retenir, les lancer, tirer en lui de l'homme tout ce qui peut servir à l'écrivain, et mettre ainsi à profit ses vertus et ses défauts, ses joies et ses douleurs.

sa

Il est plusieurs hommes, plusieurs talents fondus ensemble : homme de la vie commune, c'est là qu'il puise ces expressions d'un heureux naturel, ses rencontres de simple bon sens, caractères plus sensibles de la vérité, ces grâces familières et naïves, charmes de la beauté même. Homme d'un monde idéal, tout s'épure, s'embellit, s'agrandit dans sa méditation. Philosophe, il saisit les causes où les autres ne démêlent pas même les effets; il lie, par des rapports inaperçus, des choses qui se repoussaient. Orateur, dès qu'il est pénétré de son objet, la conviction s'imprime dans ses pensées, et la persuasion

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