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presque au même instant que le poète André Chénier, son ami. Roucher envisagea la mort avec une ame vraiment héroïque; il vit sauter 37 têtes avant la sienne. Son principal ouvrage est le poème des Mois, divisé en 12 chants, 2 vol. in 4to, 1779, souvent réimprimé depuis sous divers formats. Cette œuvre, quoique défectueuse dans l'ensemble de la composition, est remarquable par une foule de beautés de détail. La Harpe n'a pas rendu justice à ce poème. On doit à Roucher une traduction de l'ouvrage d'Adam Smith, De la richesse des nations, 4 vol. in-8vo. Pendant sa captivité de plus de 7 mois, Roucher fut toujours en correspondance avec sa femme et sa fille, alors agée de 17 ans, et dont il dirigeait encore l'éducation par ses lettres pleine de charme, et qu'on a depuis publiées sous le titre de, Consolation de ma captivité, ou Correspondance de Roucher, etc. in-8vo. Il a laissé quelques autres ouvrages.

MAURY

(Jean-Siffrein), né à Valréas (Vaucluse) en 1746, mort à Rome en 1817.

La Religion.

Qu'est-ce que la religion? une philosophie sublime qui démontre l'ordre, l'unité de la nature, et explique l'énigme du cœur humain; le plus puissant mobile pour porter l'homme au bien, puisque la foi le met sans cesse sous l'œil de la Divinité, et qu'elle agit sur la volonté avec autant d'empire que sur la pensée; un supplément de la conscience, qui commande, affermit et perfectionne toutes les vertus, établit de nouveaux rapports de bienfaisance sur de nouveaux liens d'humanité; nous montre dans les pauvres des créanciers et des juges, des frères dans nos ennemis, dans l'Etre suprême un père; la religion du cœur, la vertu en action, le plus beau de tous les codes de morale, et dont tous les préceptes sont autant de bienfaits du ciel.

Vincent de Paule.

A la tête de ces protecteurs de l'humanité souffrante, je vois un homme qui a reçu du Ciel le don de l'élocution et la sensibilité la plus profonde, éloquent à force d'âme et de vertu, fécond en pensées du cœur, et par là même également sublime et populaire dans ses discours, doué du plus rare courage d'esprit, de la conception des grandes entreprises et de la patience des plus petits détails, d'une imagination hardie et d'un jugement sage, d'une prudence consommée pour discerner

l'apropos des moments opportuns, saisir le point de maturité des projets utiles, et s'attacher aux établissements durables; enfin d'un zèle ardent et inébranlable, d'un attrait de persuasion qui rallie toutes les opinions à ses sentiments, et du talent plus heureux encore et plus rare d'embraser les cœurs du feu divin dont il est consumé lui-même. Cet homme anime tout, propose les bonnes œuvres, discute les moyens, indique les ressources, écarte les obstacles, correspond à la fois avec le gouvernement, avec les riches, avec les malheureux. Son regard embrasse toutes les provinces; il veille sans cesse pour la patrie; il est présent à toutes les calamités ; il atteint tous les malheurs par sa bienfaisance; il transporte tous ses auditeurs au milieu des désastres publics; il les entraîne dans ce tourbillon de charité qui l'environne, les pénètre de terreur, les fait fondre en larmes, les oppresse de sanglots, leur ôte leur âme pour leur donner la sienne, et cet homme de la Providence est Vincent de Paule, qui, du milieu de son assemblée de charité, semble dire, comme le Fils de Dieu, d'une voix qui est entendue jusqu'aux extrémités du royaume : Venez à moi, ô vous qui souffrez, et je vous soulagerai.

(Panégyrique de saint Vincent de Paule.)

Fils d'un cordonnier, le cardinal Maury ne dut qu'à ses talents son élévation aux premières dignités de l'Eglise et de l'Etat. Il s'était déjà fait un nom, comme écrivain, par quelques prix qu'il obtint aux concours académiques, avant d'être connu comme orateur. Ses Sermons et ses Panegyriques, dans lesquels il fit revivre l'éloquence de Bossuet, lui ouvrirent les portes de l'Académie française en 1785. Elu en 1789 membre de l'Assemblée nationale, il y fut, par son éloquence et son attachement à la cause du roi, l'antagoniste le plus formidable de l'opposition, et il lutta souvent avec honneur contre le célèbre Mirabeau. Après la dissolution de l'Assemblé (1792), Maury se retira à Rome où il demeura pendant l'orage de la révolution, et y fut comblé d'honneurs et de dignités. Il représenta la cour de Rome au couronnement de François II, fut fait évêque et puis cardinal. Enfin il accompagna le pape en France et assista au couronnement de l'empereur. En 1808, Napoléon le nomma archevêque de Paris; mais cette nomination n'ayant pas été confirmée par le pape, en 1814 l'archevêque fut déposé de son siége et se rendit à Rome, où on lui fit payer cher sa fidélité à Napoléon. Ses principaux ouvrages sont: un Essai sur l'éloquence de la chaire; des Eloges et Discours académiques, dont plusieurs furent couronnés par l'Académie; des Panégyriques; ses Discours prononcés à l'assemblée constituente; des Sermons, etc.-Œuvres choisies, Paris, 1827, 5 vol. in-8vo.

GINGUENÉ

(PIERRE-LOUIS), né à Rennes en 1748, mort à Paris en 1816.

Le Dante.*

Dans la poésie, le Dante s'élève tout à coup comme un géant parmi des pygmées. Non-seulement il efface tout ce qui l'avait précédé, mais il se fait une place qu'aucun de ceux qui lui succèdent ne peut lui ôter Pétrarque lui-même ne le surpasse point dans le genre gracieux, et n'a rien qui en approche dans le grand et dans le terrible. Sans doute, l'âpreté de son style blesse souvent cet organe superbe que Pétrarque flatte toujours. Mais, dans ses tableaux énergiques où il prend son style de maître, il ne conserve de cette âpreté que ce qui est imitatif, et, dans les peintures plus douces, elle fait place à tout ce que la grâce et la fraîcheur du coloris ont de plus suave et de plus délicieux. Le peintre terrible d'Ugolin, est aussi de peintre touchant de Françoise de Rimini. Mais, de plus, combien dans toutes les parties de son poème n'admire-t-on pas de comparaisons, d'images, de représentations naïves des objets les plus familiers, et surtout des objet champêtres, où la douceur, l'harmonie, le charme poétique sont audessus de tout ce qu'on peut se figurer, si on ne le lit pas dans la langue originale! Et ce qui lui donne encore dans ce genre un grand et précieux avantage, c'est qu'il est toujours simple et vrai; jamais un trait d'esprit ne vient refroidir une expression de sentiment, ou un tableau de nature........Pendant un ou deux siècles sa gloire parut s'obscurcir dans sa patrie; on cessa de le tant admirer, de l'étudier, même de le lire. Aussi la langue s'affaiblit, la poésie perdit sa force et sa grandeur. On est revenu au grand padre Alighieri; et les Alfieri, les Parini ont fait vibrer avec une force nouvelle les cordes longtemps amollies et détendues de la lyre toscane.

(Histoire littéraire d'Italie.)

Ginguené s'appliqua à l'étude des langues anciennes et modernes, et y fit de grands progrès. Il débuta par son poème de la Confession de Zulme, tableau plein d'originalité, de fraîcheur et de grâce. Au commencement de la révolution, il publiait avec Céruti et Chamfort, un journal dont le but était de répandre les principes républicains parmi les

* Le Dante, auteur de la Divina Commedia qui comprend l'Enfer, le Purgatoire et le Paradis, naquit à Florence en 1265, et mourut en 1321. Il est regardé comme le créateur de la langue italienne. (N. E.)

gens de la campagne. Placé à la tête de l'instruction publique, Ginguené se démit de cette place honorable pour accepter celle d'ambassadeur à la cour de Turin. A son retour, il fut fait tribun, et ce poste, qu'il occupa jusqu'en 1802, termina sa carrière politique. Parmi le grand nombre d'ouvrages qu'on lui doit, on place au premier rang l'Histoire littéraire d'Italie, depuis Constantin jusqu'au dix-huitième siècle, en 9 vol. in-8vo. Cet ouvrage, que la mort ne lui permit pas d'achever, écrit avec la plus grande impartialité, est à la fois instructif et intéressant, par la nature des faits, que l'auteur a eu soin de puiser aux vrais sources; par la simplicité des idées, la noblesse des sentiments et du langage, par les beaux portraits des individus, et enfin par la pureté du style, qui n'a que le défaut d'être un peu monotone. Dans ses Lettres sur les Confessions de J. J. Rousseau, in-8vo, Ginguené examine un peu sévèrement la vie et la conduite de ce philosophe, mais il rend justice à son mérite. Ginguené eut beaucoup de part à la rédaction de la Décade philosophique, littéraire et politique, qu'il conduisit de 1794 jusqu'en 1807 (54 volumes). Il travailla aussi au Moniteur, au Mercure, à la Biographie universelle et à l'Histoire littéraire de France. Ses autres ouvrages sont des Fables, une traduction en vers français des Noces de Thétis et Pélée, de Catule, avec des notes intéressantes; de l'autorité de Rabelais dans la révolution présente; de M. Necker, etc. Naturellement libre et indépendant, mais toujours fidèlement attaché à ses parents, à ses amis et à ses devoirs, cet écrivain s'attira le respect et la considération du public, et termina sa laborieuse carrière dans la paix, le bonheur et la tranquillité. Il était de l'Institut.

BAUSSET

(LOUIS-FRANÇOIS DE), né à Pondichéri en 1748, mort à Paris en 1824.

Portrait de Bossuet.

Bossuet se présente à l'imagination comme un de ces hommes prodigieux qu'il est facile d'admirer, et qu'il est difficile de montrer aussi grands qu'ils l'ont été.

Son génie le place au premier rang des hommes qui ont le plus honoré l'esprit humain dans le siècle le plus éclairé. Ses ouvrages révèlent l'étendue et la profondeur de ses connaissances dans les genres les plus divers. C'est un Père de l'Église, par la parole et l'instruction; c'est le modèle et le vengeur de la morale chrétienne, par la sainte austérité de ses mœurs. Né dans une condition ordinaire, il se place sans effort et sans orgueil à côté de tous les grands de la terre; appelé à la cour des rois, il obtient l'estime et le respect de celui qui était le plus roi entre les rois. Il n'a ni la faveur, ni le crédit, et il est tout-puissant par le génie et la vertu. Instituteur de l'héritier du trône, il apprend à tous les rois la science

de régner; il soumet les peuples au frein des lois, et il fait trembler les puissances au nom d'un Dieu vengeur des lois. Il place leur trône dans le lieu le plus inaccessible aux révolutions, dans le sanctuaire de la religion, et dans la conscience de leurs sujets. Pontife éclairé, citoyen zélé, sujet fidèle, il pèse d'une main ferme les droits des deux puissances; il les unit sans les confondre. Plus habile défenseur de Rome que ses défenseurs mêmes, il asseyait la grandeur du siége apostolique sur des fondements inébranlables, en donnant à son autorité la plénitude et les bornes que les canons de l'Église elle-même lui ont données. Il a des adversaires, et il n'a point d'ennemis ; il combat les ennemis de l'Église romaine, et il conquiert l'estime des protestants eux-mêmes; simple évêque de l'une des églises les plus obscures de la catholicité, il est le conseil de l'Eglise tout entière. Sa vie publique of fre le plus grand et le plus noble caractère; et sa vie privée, la facilité des mœurs les plus simples et les plus modestes. Après avoir été le grand homme d'un grand siècle, il prévoit et il dénonce les malheurs du siècle qui doit le suivre. Tant qu'il lui reste un souffle de vie, il est l'appui et le vengeur de la religion pour laquelle il a combattu cinquante ans. Mais il voit les orages et les tempêtes se former; ses derniers jours sont troublés par la prévoyance d'un avenir menaçant; et il fixe, en mourant, ses tristes regards sur cette Église gallicane dont il fut la gloire et l'oracle!

Envoye en France pour y faire ses études, Bausset fut admis chez les jésuites de la Flèche, et ses talents le firent nommer successivement vicaire-gééral à Aix, évêque d'Alais, membre de l'Assemblée des notables, chanoine à St. Denis, membre et président du Conseil de l'Université, pair de France en 1815, membre de l'Académie française en 1816, et enfin cardinal. Il avait été errêté pendant les désordres de la révolution, mais il fut mis en liberté après la chute de Robespierre. Les principaux titres littéraires de Bausset sont: l'Histoire de Fénélon, 3 vol. in-8vo, ouvrage remarquable qui remporta en 1810, à l'Institut, le deuxième grand prix décennal; l'Histoire de Bossuet, 4 vol. in-8vo, également fort estimée; etc.

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