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s'associa avec quelques jeunes gens, et parcourut avec eux les provinces en jouant la comédie. Il donna sa première pièce à Lyon, en 1653: c'est l'Etourdi. Cette pièce, quoique peu estimée aujourd'hui, donna l'idée d'un nouveau genre, et fut applaudie. L'année suivante, il fit jouer, à Béziers, le Dépit amoureux et les Précieuses ridicules, qui eurent également beaucoup de succès. Enfin le poète retourna à Paris en 1658, et Louis XIV fut si content des spectacles que lui donna sa troupe, qu'il leur accorda le titre de comédiens ordinaires du roi, et fit donner au chef une pension de 1000 livres. C'est depuis cette époque, que Molière produisit successivement l'Ecole des maris, l'Ecole des femmes, les Fâcheux, le Festin de Pierre, le Misanthrope, le Tartufe, l'Avare, Amphitryon, les Femmes savantes, le Bourgeois gentilhomme, Sganarelle, les Fourberies · de Scapin, et le Malade imaginaire, chefs-d'œuvre qui l'ont fait regarder comme le modèle de nos auteurs comiques. Toutes ces pièces offrent un tableaux fidèle des mœurs et des ridicules du temps. Epuisé de fatigue, un soir en jouant le role du Malade imaginaire, il fit un dermier effort auquel il succomba.-Euvres complètes, Paris 1823, 8 vol. in-8vo.

PASCAL

(BLAISE), naquit à Clermont-Ferrand en 1623, et mourut a Paris en

1662.

EXTRAIT DES PENSÉES.

Faiblesse humaine.

Cet état qui tient le milieu entre les extrêmes, se trouve en toutes nos puissances. Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême trop de bruit nous assourdit, trop de lumière nous éblouit, trop de distance et trop de proximité empêchent la vue, trop de longueur et trop de brièveté obscurcissent un discours, trop de plaisir incommode, trop de consonnances déplaisent; nous ne sentons ni l'extrême chaud, ni l'extrême froid; les qualités excessives nous sont ennemies, et non pas sensibles; nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent l'esprit, trop et trop peu de nourriture troublent ses actions, trop et trop peu d'instruction l'abêtissent. Les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n'étaient pas, et nous ne sommes point à leur égard: elles nous échappent, ou nous á elles.....

La faiblesse de la raison de l'homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas, qu'en ceux qui la connaisSi on est trop jeune, on ne juge pas bien; si on est trop vieux, de même; si on n'y songe pas assez, si on y songe trop, on s'entête, et l'on ne peut trouver la vérité. Si l'on

sent.

considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu; si trop long-temps après, on n'y entre plus. Il n'y a qu'un point indivisible qui soit le véritable lieu de voir les tableaux; les autres sont trop près, trop loin, trop haut, trop bas. La perspective l'assigne dans l'art de la peinture; mais, dans la vérité et dans la morale, qui l'assignera? .....

Cette maîtresse d'erreur, qu'on appelle fantaisie et opinion, est d'autant plus fourbe, qu'elle ne l'est pas toujours; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible de mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant de même caractère le vrai et le faux. Cette superbe puissance, ennemie de la raison qui se plait à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature: elle a ses heureux et ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres, ses fous et ses sages; et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction beacoup plus pleine et entière que la raison.

Les habiles par imagination se plaisent tout autrement en eux-mêmes que les prudents ne peuvent raisonnablement se plaire; ils regardent les gens avec empire, ils disputent avec hardiesse et confiance; les autres avec crainte et défiance; et cette gaieté de visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants; tant les sages imaginaires ont de faveur auprès de leurs juges de même nature! Elle ne peut rendre sages les fous; mais elle les rend contents, à l'envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables: l'une les comble de gloire, l'autre les couvre de honte. Qui dispense la réputation ? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux grands, sinon l'opinion? Combien toutes les richesses de la terre sont-elles insuffisantes sans son consentement? L'opinion dispose de tout: elle fait la beauté, la justice et le bonheur, qui est le tout du monde.

Pascal eut pour précepteur son père, qui occupait un poste éminent dans la magistrature. Les mathématiques eurent pour lui un attrait singulier. A peine âgé de 12 ans, sur la simple définition de la Géométrie, il devina, par la seule force de son génie, jusqu'à la trente-deuxième proposition d'Euclide. A l'âge de 16 ans, le jeune Pascal publia un traité des sections coniques qui fut admiré de tous les mathématiciens de cette époque; Descartes ne voulut pas croire qu'il fût de lui. Il ne se montra pas moins supérieur dans les autres branches des mathématiques, et on lui doit un grand nombre de découvertes scientifiques. Mais ce génie supérieur pour les sciences ne l'empêcha pas de cultiver les lettres. S'étant retiré à Port-Royal au moment où ces célèbres solitaires étaient au plus fort de

leurs disputes avec les jésuites, Pascal écrivit en cette occasion ses fameuses Lettres provinciales, ouvrage unique en son genre, et qui est la première époque de la fixation de la langue française: rien d'aussi bien écrit n'avait paru jusqu'alors, et cet ouvrage est encore aujourd'hui un de nos meilleurs modèles en prose.

La mort prématurée de ce grand homme a privé la postérite d'un grand ouvrage qu'il avait commencé sur la religion, et l'on peut juger de ce qu'aurait été ce travail par le plan qu'on a trouvé après sa mort, et qu'on a publié sous le titre de Pensées. "Il jeta au hasard sur le papier des pensées qui tiennent autant de Dieu que de l'homme. Il est difficile de ne pas rester confondu d'étonnement, lorsqu'en ouvrant les pensées du philosophe chrétien, on tombe sur les six chapitres où il traite de la nature de l'homme. C'est là qu'il s'est véritablement élevé au-dessus des plus grand génies." (M. DE CHATEAUBRIAND).—Ses œuvres complètes sont en 5 vol. in-8vo.

NICOLE

(PIERRE), né à Chartres en 1625 et mort à Paris en 1695.

L'amour-propre.

Le nom d'amour-propre ne suffit pas pour nous faire connaître sa nature, puisqu'on se peut aimer en bien des manières. Il faut y joindre d'autres qualités pour s'en former une véritable idée. Ces qualités sont, que l'homme corrompu non seulement s'aime soi-même, mais qu'il n'aime que soi, qu'il rapporte tout à soi. Il se désire toutes sortes de biens, d'honneurs, de plaisirs, et il n'en désire qu'à soi-même, ou par rapport à soi-même. Il se fait le centre de tout; il voudrait dominer sur tout, et que toutes les créatures ne fussent occupées qu'à le contenter, à le louer, à l'admirer. Cette disposition tyrannique étant empreinte dans le fond du cœur de tous les hommes, les rend violents, injustes, cruels, ambitieux, flatteurs, envieux, insolents, querelleurs: en un mot, elle renferme les semences de tous les crimes et de tous les dérèglements des hommes, depuis la plus légère jusqu'aux plus détestables. Voilà le monstre que nous renfermons dans notre sein. Il vit et règne absolument en nous, à moins que Dieu n'ait détruit son empire en versant un autre amour dans notre cœur. Il est le principe de toutes les actions qui n'en ont point d'autre que la nature corrompue; et, bien loin qu'il nous fasse de l'horreur, nous n'aimons et ne haïssons toutes les choses qui sont hors de nous, que selon qu'elles sont conformes ou contraires à ses inclinations.

Mais si nous l'aimons dans nous-mêmes, il s'en faut bien

que nous le traitions de même, quand nous l'apercevons dans les autres. Il nous parait alors au contraire sous sa forme naturelle, et nous le haissons même d'autant plus que nous nous aimons, parce que l'amour-propre des autres hommes s'oppose à tous les désirs du nôtre. Nous voudrions que tous les autres nous aimassent, nous admirassent, pliassent sous nous; qu'ils ne fussent occupés que du soin de nous satisfaire; et non seulement ils n'en ont aucune envie, mais ils nous trouvent ridicules de le prétendre, et ils sont prêts à tout faire, non seulement pour nous empêcher de réussir dans nos désirs, mais pour nous assujettir aux leurs, et pour exiger les mêmes choses de nous. Voilà donc par là tous les hommes aux mains les uns contre les autres ; et si celui qui a dit qu'ils naissent dans un état de guerre, et que chaque homme est naturellement ennemi de tous les autres hommes, eût voulu seulement représenter par ces paroles la disposition du cœur des hommes les uns envers les autres, sans prétendre la faire passer pour légitime et pour juste, il aurait dit une chose aussi conforme à la vérité et à l'expérience, que celle qu'il soutient est contraire à la raison et à la justice.

Nicole a été un des plus profonds théologiens de son temps. Esprit pénétrant, mémoire heureuse, plein d'ardeur pour l'étude et de zèle pour la religion, tels sont les dons qu'il avait reçus de la nature, et dont il sut tirer parti. Il s'était retiré à Port-Royal, mais les querelles du jansenisme l'obligèrent de s'expatrier pour quelque temps. Ses ouvrages les plus estimés sont ses Essais de morale, en 14 volumes; et ses Instructions théologiques. On y reconnaît partout un écrivain sage, éclairé et judicieux, beaucoup d'ordre et de précision, une grande connaissance du cœur humain, et une expression toujours pure.-Euvres complètes, 25 volumes in-12. Quelques-uns de ses ouvrages sont en latin.

SÉVIGNÉ

(MARIE DE RABUTIN-CHANTAL, MARQUISE DE), naquit près de Semur en 1626, et mourut au chateau de Grignan l'an 1696.

Lettre à sa fille.

Voici un terrible jour, ma chère enfant, je vous avoue que je n'en puis plus. Je vous ai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faites, et à tous ceux que je fais; et combien il s'en faut qu'en marchant toujours de cette sorte, nous puissions jamais nous rencontrer ! Mon cœur est en repos quand il est auprès de vous c'est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire.

Ce qui s'est passé ce matin me donne une douleur sensible et me fait un déchirement dont votre philosophie sait les raisons. Je les ai senties et les sentirai long-temps. J'ai le cœur et l'imagination tout remplis de vous, je n'y puis penser sans pleurer, et j'y pense toujours; de sorte que l'état où je suis n'est pas une chose soutenable: comme il est extrème, j'espère qu'il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je trouve que tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux qui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois, ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passé rend celui-ci douloureux, jusqu'à ce que je sois un peu accoutumée; mais ce ne sera jamais pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser.

Je ne dois pas espérer mieux de l'avenir que du passé; je sais ce que votre absence m'a fait souffrir, je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemment une habitude nécessaire de vous voir. Il me semble que je ne vous ai pas assez embrassée en partant. Qu'avais-je à ménager! je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse ; je ne vous ai point assez recommandée à M. de Grignan, je ne l'ai point assez remercié de toutes ses politesse et de toute l'amitié qu'il a pour moi : j'en attendrai les effets sur tous les chapitres.

Je suis déjà dévorée de curiosité ; je n'espère de consolation que de vos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pour vous. Dieu me fasse la grâce de l'aimer quelque jour comme je vous aime. Jamais un départ n'a été si triste que le nôtre; nous ne disions pas un mot. Adieu, ma chère enfant; plaignez-moi de vous avoir quittée. Hélas! nous voilà dans les lettres.

Les grâces de l'esprit et de la figure firent rechercher cette dame par tout ce qu'il y avait alors de plus distingué en France. Ayant donné la préférence au marquis de Sévigné, elle fut mariée à l'age de 18 ans, mais ce mariage ne fut pas heureux. Son mari ayant été tué en duel, elle se trouva veuve à l'âge de 25 ans ; mais elle refusa de se remarier pour se dévouer tout entière à l'éducation de ses enfants, qu'elle aima passionément toute sa vie, et surtout sa fille, qui épousa le comte de Grignan, gouverneur de Provence. La nécessité où elle se trouva souvent de vivre séparée de cette fille, qu'elle aimait tant, donna lieu à une correspondance journalière qu'elle entretint avec elle, et qui a produit ces Lettres célèbres qu'on a tant admirées à cause de la simplicité, de la grâce, de la facilité et de l'égance du style, et de la rare tendresse maternelle qu'on y trouve. Ces lettres furent publiées après sa mort, mais on en a fait depuis des centaines d'éditions, dont l'une des plus complètes est celle de Paris, 1818, en 11 volumes in-octavo.

Il est bon de dire que ces lettres ne sont pas toutes d'un intérêt général, et surtout pour les étrangers, vu qu'il n'y est souvent question que d'af

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