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quieu quand il plaidait pour l'humanité, Fénelon quand il embellissait la vertu. Pour lui toute vérité est une conquête, tout chef-d'œuvre est une jouissance. Accoutumé à puiser également dans ses réflexions et dans celles d'autrui, il ne sera ni seul dans la retraite, ni étranger dans la société. Enfin, quel que soit le travail où il s'applique, soit qu'il marche à pas mesurés dans le monde intellectuel des spéculation mathématiques, ou qu'il s'égare dans le monde enchanté de la poésie, soit qu'il attendrisse les hommes sur la scène, ou qu'il les instruise dans l'histoire; en portant ses tributs au temple des arts, il ne cherchera pas à renverser ses concurrents dans la route, ni à déshonorer leurs offrandes pour relever le prix de la sienne; il ne détournera pas des triomphes d'autrui son œil consterné; les cris de la renommée ne seront pas pour son âme un bruit importun, et, au lieu que la médiocrité inquiète et jalouse gémit de tous les succès parce que le champ du génie se rétrécit sans cesse à ses faibles yeux, le véritable homme de lettres, le parcourant d'un regard plus vaste et plus sûr, y verra toujours et un monument à élever et une place à obtenir......

(Discours de réception à l'Académie française.)

La Retraite, essentielle au Travail.

Eh! quel homme de talent n'en a pas fait l'expérience? C'est dans les antres solitaires qu'Apollon rendait autrefois ses oracles. Ses prêtres criaient qu'on écartât les profanes au moment où ils allaient recevoir le dieu. Ainsi l'orateur, le poète, le grand écrivain, s'il attend et sollicite l'inspiration, fuit loin du séjour des villes, vers les demeures retirées et champêtres. A mesure qu'il s'en approche, les vaines rumeurs, les bruyantes frivolités, les tumultueuses distractions, les clameurs orageuses se perdent dans le lointain. Il semble que tout se taise autour de lui, et, dans ce silence universel, s'élève la voix du génie qui va se faire entendre au monde. Auparavant, il était gêné dans la foule; sa marche était contrainte, son langage timide; à présent ses liens sont brisés; il relève la vue, son regard est fixe et assuré. Il est venu se placer à sa hauteur; il est seul, et la pensée alors sort indépendante et fière de l'âme qui l'a conçue. L'âme est rappelée à sa liberté originelle par le grand spectacle de la nature. L'immensité des campagnes, la sombre solitude des forêts et des rochers, la tempête de la nuit, le silence du matin, voilà les aliments de l'enthousiasme et les témoins du génie dans ses moments de création......... (Ibid.)

Buffon.

L'historien de la nature est grand, fécond, varié, majestueux comme elle; comme elle, il s'élève sans effort et sans secousse; comme elle, il descend dans les plus petits détails, sans être moins attachant ni moins beau. Son style se plie à tous les objets, et en prend la couleur: sublime, quand il déploie à nos regards l'immensité des êtres et les richesses de la création, quand il peint les révolutions du globe, les bienfaits ou les rigueurs de la nature: orné quand il décrit, profond quand il analyse, intéressant lorsqu'il nous raconte l'histoire de ces animaux devenus nos amis et nos bienfaiteurs. envers ceux qui l'ont précédé dans le même genre d'écrire, il loue Pline le naturaliste et Aristote, et il est plus éloquent que ces deux grands hommes. En un mot, son ouvrage est un des beaux monuments de ce siécle, élevé pour les âges suivants, et auquel l'antiquité n'a rien à opposer.

Juste

(Cours de littérature.)

Légèreté de Lisette.

O ma tendre musette!
Musette mes amours!
Toi qui chantais Lisette,
Lisette et les beaux jours!
D'une vaine espérance
Tu m'avais trop flatté :
Chante son inconstance
Et ma fidélité.

C'est l'amour, c'est sa flamme
Qui brille dans ses yeux.
Je croyais que son âme
Brûlait des mêmes feux :
Lisette à son aurore,
Respirait le plaisir :
Hélas! si jeune encore,
Sait-on déjà trahir?

Sa voix pour me séduire
Avait plus de douceur ;
Jusques à son sourire,
Tout en elle est trompeur :
Tout en elle intéresse,
Et je voudrais, hélas !
Qu'elle eût plus de tendresse,
Ou qu'elle eût moins d'appas.

O ma tendre musette !
Console ma douleur ;
Parle-moi de Lisette,
Ce nom fait mon bonheur.
Je la revois plus belle,
Plus belle tous les jours;
Je me plains toujours d'elle
Et je l'aime toujours.
(Poésies diverses.)

Orphelin à l'âge de 9 ans, ce célèbre littérateur fut nourri pendant quelque temps par les sœurs de la charité, et à onze ans il fut admis comme boursier au collége d'Harcourt, où ses études furent aussi brillantes que solides. Il se lia de bonne heure avec les plus grands écrivains de son temps, mais il les abandonna ensuite, et devint leur ennemi. La Harpe s'est adonné à tous les genres de composition, et, en vers comme

en prose, il occupe un rang distingué dans notre littérature. Tous ses ouvrages se distinguent par un style toujours pur, élégant, clair, précis et varié selon les sujets; mais souvent on y désirerait plus d'énergie et de charleur. Son Cours de littérature, malgré les imperfections qu'on y trouve, est remarquable par son étendue et par son importance; c'est un des plus beaux monuments élevés à la littérature classique, et place l'auteur au premier rang des critiques modernes. La première partie est consacrée aux anciens, la littérature du 17e. siècle est l'objet de la seconde, et la troisième est destinée aux écrivains du siècle suivant. On est fâché de trouver dans cette troisième partie, une partialité choquante à l'égard de certains écrivains, et surtout des sorties indécentes qui n'ont pu être dictées que par un esprit de parti impardonnable. Mais ces défauts sont rachetés par le mérite du reste de l'ouvrage. Outre ce grand ouvrage, La Harpe en a donné une foule d'autres, parmi lesquels se trouvent 12 tragédies, 6 comédies, des héroïdes, le poème de Tungo et Félime, les éloges de plusieurs grands hommes, le poème du Triomphe de la religion, des odes, des épîtres, des discours en prose et en vers, des poésies fugitives, des traductions du Grec, du Latin, de l'Espagnol, de l'Italien, un abrégé de l'Histoire des voyages de l'abbé Prévost, etc. D'ailleurs il écrivit pendant plus de 30 ans pour les journaux, et fut professeur de littérature à l'Institut, avec un talent peu commun. La Harpe, qu'on a surnommé le Quintilien français, était de l'Académie française. -Cours de littérature ancienne et moderne, Paris, 1825, 16 vol. in-8vo; Œuvres, Paris, 1821, 16 vol. in-8vo; Histoire des voyages, Paris, 1825, 26 vol. in-8vo; en tout, 58 vol.

CHAMFORT

(SÉBASTIEN-ROCH-NICOLAS), naquit dans les environs de Clermont en 1741, et mourut à Paris en 1794.

Pensées et Maximes.

Il faut convenir qu'il est impossible de vivre dans le monde, sans jouer de temps en temps la comédie. Ce qui distingue l'honnête homme du fripon, c'est de ne la jouer que dans les cas forcés et pour échapper au péril, au lieu que l'autre va au devant des occasions.

La pensée console de tout et remédie à tout. Si quelquefois elle vous fait du mal, demandez-lui le remède du mal qu'elle vous a fait, et elle vous le donnera.

On souhaite la paresse d'un méchant et le silence d'un sot. Il y a des sottisses bien habilées, comme il y des sots trèsbien vêtus.

Un sot qui a un moment d'esprit, étonne et scandalise, comme des chevaux de fiacre au galop.

Ne tenir dans la main de personne, être l'homme de son

cœur, de ses principes, de ses sentimens, c'est ce que j'ai vu de plus rare.

L'ambition prend aux petites ames plus facilement qu'aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières, qu'aux palais.

La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri.

L'opinion publique est une juridiction que l'honnête homme ne doit jamais reconnaître parfaitement, et qu'il ne doit jamais décliner.

L'estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée, et l'honneur vaut mieux que la gloire. Le changement de modes est l'impôt que l'industrie du pauvre met sur la vanité du riche.

Le plus riche des hommes, c'est l'économe; le plus pauvre, c'est l'avare.

Les courtisans sont des pauvres enrichis par la mendicité. Dans la naïveté d'un enfant bien né, il y a quelquefois une philosophie bien aimable.

En voyant quelquefois les friponneries des petits et les brigandages des hommes en place, on est tenté de regarder la société comme un bois rempli de voleurs, dont les plus dangereux sont les archers, préposés pour arrêter les autres.

Il y a deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine de trouver la vie insupportable: ce sont les injures du temps, et les injustices des hommes.

Chamfort fit ses études à Paris avec le plus grand succès. Etant pauvre, il gagna d'abord sa vie en écrivant des sermons pour quelques prédicateurs, et des articles de journaux; mais, doué d'un esprit vif et de beaucoup de goût, d'un caractère bouillant, mais d'un extérieur agréable et prévenant, impatient de renommée, il se fit rapidement un nom par quelques pièces de poésie couronnées par l'Académie, par sa comédie de la Jeune Indienne, et par ses Eloges de Molière et de La Fontaine qui obtinrent également le prix proposé par l'Académie de Marseille. Ces différents ouvrages furent suivis de la comédie du Marchand de Smyrne, et la tragédie de Mustapha et Zéangir, et tous ensemble ont fait placer Chamfort au rang de nos bons écrivains. Il a fournit quelques articles à l'Encyclopédie et à plusieurs autres entreprises littéraires. Il fut quelque temps secrétaire du prince de Condé, et puis lecteur de la princesse Elizabeth, sœur du roi; mais ayant pris part aux affaires de la révolution, il perdit sa place et sa pension. Nommé directeur de la Bibliothèque nationale, il se trouva bientôt dégouté des excès de la révolution, et il fut emprisonné. Ayant recouvré sa liberté, il était sur le point d'être arrêté de nouveau, lorsqu'il essaya de se donner la mort, et malgré tous les soins de ses amis, il mourut de sa blessure. Chamfort était de l'Académie française.-ŒŒuvres complètes, Paris, 1824, 4 vol. in-8vo.

ROUCHER

(JEAN-ANTOINE), né à Montpellier en 1745, guillotiné à Paris en 1794.

Les Glaciers des Alpes.

Monts chantés par Haller, recevez un poète,
Errant parmi ces monts, imposante retraite,
Au front du Grindelval je m'élève, et je voi.
Dieu! quel pompeux spectacle étalé devant moi !
Sous mes yeux enchantés la nature rassemble
Tout ce qu'elle a d'horreurs et de beautés ensemble.
Dans un lointain qui fuit un monde entier s'étend.
Et comment embrasser ce mélange éclatant
De verdure, de fleurs, de moissons ondoyantes,
De paisibles ruisseaux, de cascades bruyantes,
De fontaines, de lacs, de fleuves, de torrens,
D'hommes et de troupeaux sur les plaines errans,
De forêts de sapins au lugubre feuillage,
De terrains éboulés, de rocs minés par l'âge,
Pendant sur des vallons où le printemps fleurit,
De côteaux escarpés où l'automne sourit,
D'abîmes ténébreux, de cimes éclairées,
De neiges couronnant de brûlantes contrées,
Et de glaciers enfin, vaste et solide mer,
Où règne sur son trône un éternel hiver!
Là, pressant sous ses pieds les nuages humides,
Il hérisse les monts de hautes pyramides,
Dont le bleuâtre éclat au soleil s'enflammant,
Change ces pics glacés en rocs de diamant.
Là viennent expirer tous les feux du solstice.
En vain l'astre du jour embrassant l'écrevisse,
D'un déluge de flamme assiége ces déserts :
La masse inébranlable insulte au roi des airs.
Mais trop souvent la neige arrachée à leur cime,
Roule en blonc bondissant, court d'abîme en abîme,
Gronde comme un tonnerre, et grossissant toujours,
A travers les rochers fracassés dans son cours,
Tombe dans les vallons, s'y brise, et des campagnes
Remonte en brume épaisse au sommet des montagnes.
(Les Mois.)

Ce poète salua avec enthousiasme la révolution comme un bienfait du ciel; mais ayant eu la fermeté d'en condamner les attrocités, il s'attira la colère des tyrans, qui le jugèrent et le condamnèrent. Il fut exécuté

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