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struire. Fidèle à conserver les réalités qui lui sont confiées, elle couvre de son enveloppe séduisante et les leçons de l'une, et les vérités de l'autre.

Son sceptre enchanteur ne fait que des miracles et ne produit que des métamorphoses. Elle nous transporte d'un monde où nous sommes toujours mal, dans un autre monde qui, créé par l'imagination, a tout ce qu'il faut pour nous plaire. Elle embellit tout ce qu'elle touche si elle raconte, elle sème les merveilles, les prodiges, pour attacher la curiosité, pour graver dans la mémoire; si elle trace des leçons, c'est d'une main si légère, que l'orgueil n'en est pas atteint. Elle se joue autour de la vérité, pour ne la laisser voir qu'à la dérobée, et, soit qu'elle ait voulu ou nous agrandir, ou nous consoler, elle prend ses exemples dans des espèces privilégiées, dans une race divine qu'elle élève exprès au-dessus de la faible humanité; tantôt nous conduisant à la vertu par ses exemples illustres, tantôt caressant notre faiblesse, orgueilleuse de retrouver nos passions et nos fautes dans la perfection même.

(Essai sur les fables et leur histoire.)

Ce savant avait d'abord étudié la peinture sous son père, qui était directeur du Musée; mais ensuite il préféra les lettres, et ses premiers essais furent quelques pièces de théâtre qui n'eurent pas de succès. Une rencontre fortuite lui révéla sa véritable vocation. Ayant fait connaissance avec l'abbé Lacaille, Bailly s'attira l'amitié de ce professeur célèbre qui lui enseigna l'astronomie, et ses progrès furent immenses et rapides. Plusieurs Mémoires présentés à l'Académie des sciences attirèrent sur Bailly l'attention de ce corps, qui l'admit au nombre de ses membres après la mort de Lacaille, 1763. Les travaux scientifiques n'empêchèrent pas Bailly de cultiver les lettres; il sut allier et faire marcher ensemble ces deux branches, et s'illustra également des deux côtés. Ses Eloges de Charles V, de Gresset, de Corneille, de Molière, de Lacaille, de Leibnitz et autres, méritèrent les suffrages de l'Académie française. Ce fut en 1775 qu'il publia son Histoire de l'astronomie ancienne (1 vol. in-4to), non moins remarquable par le pureté et l'élégance du style, que par la profondeur des idées. Cet ouvrage fut reçu par une approbation générale, et le succès en fut encore augmenté par la discussion qu'ouvrit Voltaire à ce sujet. Ce fut en cette occasion que Bailly écrivit ses Lettres sur l'origine des sciences et sur l'Atlantide de Platon. L'Histoire de l'astronomie moderne (3 vol. in-4to) parut en 1778, et fit admettre Bailly à l'Académie française et à celle des inscriptions et belles-lettres, et cela suffit pour faire l'éloge de son style. Chargé par le gouvernement d'examiner la doctrine de Mesmer sur le Magnétisme animal, Bailly fit deux rapports à ce sujet. Il jouissait enfin d'une estime générale et d'une célébrité méritée, lorsque les affaires de la révolution l'arrachèrent de son cabinet pour le conduire à son malheureux sort. Président de l'assemblée nationale, et puis premier maire de Paris, il donna sa démission et se retira à Melun avec son ami le célèbre Laplace, où il fut arrêté, conduit à Paris, jugé, condamné et exécuté pour avoir, pendant son administration de la ville de Paris, résisté à la volonté du peuple par la force des armes. Telle fut la fin déplorable de cet homme qui s'était couvert

de gloire par ses travaux, et d'estime par ses vertus; triste exemple de l'ingratitude du peuple et de l'inconstance de la faveur. Mais sa gloire n'en est pas moins impérissable. Ses autres ouvrages sont: Essai sur la théorie des satellites de Jupiter, in-4to; Histoire de l'astronomie indienne, in-4to; Discours et Mémoires, 2 vol. in-8vo; Essai sur les fables et leur histoire, 2 vol. in-8vo; Mémoires d'un témoin de la révolution, 3 vol. in8vo; etc. On a comparé le style de Bailly à celui de Buffon.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE

(JACQUES-HENRI), né au Havre en 1737, mourut dans sa terre à Eragny (Oise) en 1814.

Le Sentiment de la Divinité.

Avec le sentiment de la Divinité, tout est grand, noble, invincible dans la vie la plus étroite; sans lui, tout est faible, déplaisant et amer au sein même des grandeurs. Ce fut lui qui donna l'empire à Sparte et à Rome, en montrant à leurs habitants vertueux et pauvres les dieux pour protecteurs et pour concitoyens. Ce fut sa destruction qui les livra riches et vicieux à l'esclavage, lorsqu'ils ne virent plus d'autres dieux dans l'univers que l'or et les voluptés. L'homme a beau s'environner des biens de la fortune, dès que ce sentiment disparaît de son cœur, l'ennui s'en empare. Si son absence se prolonge, il tombe dans la tristesse, ensuite dans une noire mélancolie, et enfin dans le désespoir. Si cet état d'anxiété est constant, il se donne la mort. L'homme est le seul être sensible qui se détruise lui-même dans un état de liberté. La vie humaine, avec ses pompes et ses délices, cesse de lui paraître une vie quand elle cesse de lui paraître immortelle et divine.

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Quel que soit le désordre de nos sociétés, cet instinct céleste se plaît toujours avec les enfants des hommes. Il inspire les hommes de génie en se montrant à eux sous les attributs éternels. Il présente au géomètre les progressions ineffables de l'infini, au musicien des harmonies ravissantes, à l'historien les ombres immortelles des hommes vertueux. élève un Parnasse au poète, et un Olympe au héros. Il luit sur les jours infortunés du peuple. Il fait soupirer, au milieu du luxe de Paris, le pauvre habitant de la Savoie, après les saints couverts de neige de ses montagnes. Il erre sur les vastes mers, et rappelle des doux climats de l'Inde le matelot européen aux rivages orageux de l'Occident. Il donne une

patrie à des malheureux, et des regrets à ceux qui n'ont rien perdu. Il couvre nos berceaux des charmes de l'innocence, et les tombeaux de nos pères des espérances de l'immortalité. Il repose au milieu des villes tumultueuses, sur les palais des grands rois, et sur les temples augustes de la religion.

Souvent il se fixe dans les déserts, et attire sur des rochers les respects de l'univers. C'est ainsi qu'il vous a couvertes de majesté, ruines de la Grèce et de Rome, et vous aussi, mystérieuses pyramides de l'Égypte ! C'est lui que nous cherchons sans cesse au milieu de nos occupations inquiètes; mais, dès qu'il se montre à nous dans quelque acte inopiné de vertu, ou dans quelqu'un de ces événements qu'on nomme des coups du ciel, ou dans quelques-unes de ces émotions sublimes, indéfinissables, qu'on appelle par excellence des traits de sentiment, son premier effet est de produire en nous un mouvement de joie très-vif, et le second de nous faire verser des larmes. Notre âme, frappée de cette lueur divine, se réjouit à la fois d'entrevoir la céleste patrie, et s'afflige d'en être exilée.

(Etudes de la nature.)

Flore.

Présidez aux jeux de nos enfants, charmante fille de l'Aurore, aimable Flore; c'est vous qui couvrez de roses les champs du ciel que parcourt votre mère, soit qu'elle s'élève chaque jour sur notre horizon, soit qu'elle s'avance, au printemps, vers le sommet de notre hémisphère, et qu'elle rejette ses rayons d'or et de pourpre sur leurs régions de neige. Pour vous, suspendue au-dessus de nos vertes campagnes, portée par l'arc-en-ciel au sein des nuages pluvieux, vous versez les fleurs à pleine corbeille dans nos vallons et sur nos forêts; le zéphyr amoureux vous suit, haletant après vous, et vous poussant de son haleine chaude et humide. Déjà on aperçoit sur la terre les traces de votre passage dans les cieux; à travers les rais lointains de la pluie, les landes apparaissent toutes jaunes de genêts fleuris; les prairies brumeuses, de bassinets dorés, et les corniches des vieilles tours, de giroflées safranées. Au milieu du jour le plus nébuleux, on croirait que les rayons du soleil luisent au loin sur les croupes des collines, au fond des vallées, au sommet des antiques monuments; des lisières de violettes et de primevères parfument les haies, et le lilas couvre de ses grappes pourprées les murs du château lointain. Aimables enfants, sortez dans les cam

pagnes, Flore vous appelle au sein des prairies: tout vous y invite, les bois, les eaux, les rocs arides; chaque site vous présente ses plantes, et chaque plante ses, fleurs. Jouissez du mois qui vous les donne: avril est votre frère, il est à l'aurore de l'année, comme vous à celle de la vie; connaissez ses dons riants comme votre âge. Les prairies seront votre école, les fleurs vos alphabets, et Flore votre institutrice.

(Harmonies de la nature.)

Les Forêts agitées par les Vents.

Qui pourrait décrire les mouvements que l'air communique aux végétaux ? Combien de fois, loin des villes, dans le fond d'un vallon solitaire couronné d'une forêt, assis sur le bord d'une prairie agitée des vents, je me suis plu à voir les mélilots dorés, les trèfles empourprés, et les vertes graminées, former des ondulations semblables à des flots, et présenter à mes yeux une mer agitée de fleurs et de verdure! Cependant les vents balançaient sur ma tête les cimes majestueuses des arbres. Le retroussis de leur feuillage faisait paraître chaque espèce de deux verts différents." Chacun a son

mouvement. Le chêne au tronc raide ne courbe que ses branches, l'élastique sapin balance sa haute pyramide, le peuplier robuste agite son feuillage mobile, et le bouleau laisse flotter le sien dans les airs comme une longue chevelure. Ils semblent animés de passions: l'un s'incline profondément auprès de son voisin comme devant son supérieur, l'autre semble vouloir l'embrasser comme un ami; un autre s'agite en tous sens comme auprès d'un ennemi. Le respect, l'amitié, la colère, semblent passer tour à tour de l'un à l'autre comme dans le cœur des hommes, et ces passions versatiles ne sont au fond que les jeux des vents. Quelquefois un vieux chêne élève au milieu d'eux ses longs bras dépouillés de feuilles et immobiles. Comme un vieillard, il ne prend plus de part aux agitations qui l'environnent; il a vécu dans un autre siècle. Cependant ces grands corps insensibles font entendre des bruits profonds et mélancoliques. Ce ne sont point des accents distincts; ce sont des murmures confus comme ceux d'un peuple qui célèbre au loin une fête par des acclamations. Il n'y a point de voix dominantes; ce sont des sons monotones, parmi lesquels se font entendre des bruits sourds et profonds qui nous jettent dans une tristesse pleine de douceur. Ainsi les murmures d'une forêt accompagnent les accents du rossignol, qui de son nid adresse des vœux reconnaissants aux

amours.

C'est un fond de concert qui fait ressortir les chants éclatants des oiseaux, comme la douce verdure est un fond de couleurs sur lequel se détache l'éclat des fleurs et des fruits.

Ce bruissement des prairies, ces gazouillements des bois, ont des charmes que je préfère aux plus brillants accords; mon âme s'y abandonne, elle se berce avec les feuillages ondoyants des arbres, elle s'élève avec leur cime vers les cieux, elle se transporte dans les temps qui les ont vus naître et dans ceux qui les verront mourir; ils étendent dans l'infini mon existence circonscrite et fugitive. Il me semble qu'ils me parlent, comme ceux de Dodone, un langage mystérieux ; ils me plongent dans d'ineffables rêveries qui souvent ont fait tomber de mes mains les livres des philosophes. Majestueuses forêts, paisible solitude, qui plus d'une fois avez calmé mes passions, puissent les cris de la guerre ne troubler jamais vos résonnantes clairières! N'accompagnez de vos religieux murmures que les chants des oiseaux, ou les doux entretiens des amis et des amants qui veulent se reposer sous vos ombrages. (Ibid.)

La Rose et le Papillon.

La puissance animale est d'un ordre bien supérieur à la végétale. La papillon est plus beau et mieux organisé que la rose. Voyez la reine des fleurs, formée de portions sphériques, teinte de la plus riche des couleurs, contrastée par un feuillage du plus beau vert, et balancée par le zéphyr; le papillon la surpasse en harmonie de couleurs, de formes et de mouvements. Considérez avec quel art sont composées les quatre ailes dont il vole, la régularité des écailles qui le recouvrent comme des plumes, la variété de leurs teintes brillantes, les six pattes armées de griffes avec lesquelles il résiste aux vents dans son repos, la trompe roulée dont il pompe sa nourriture au sein des fleurs, les antennes, organes exquis du toucher, qui couronnent sa tête, et le réseau admirable d'yeux dont elle est entourée, au nombre de plus de douze mille. Mais ce qui le rend bien supérieur à la rose, il a, outre la beauté des formes, les facultés de voir, d'ouïr, d'odorer, de savourer, de sentir, de se mouvoir, de vouloir, enfin une âme douée de passions et d'intelligence. C'est pour le nourrir que la rose entr'ouvre les glandes nectarées de son sein; c'est pour en protéger les œufs collés comme un bracelet autour de ses branches, qu'elle est entourée d'épines. La rose ne voit ni n'entend l'enfant qui accourt pour la cueillir;

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