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le meilleur de ses poèmes: c'est une imitation plutôt qu'une traduction du poème latin de l'abbé de Marsy sur le même sujet, mais on se plait à reconnaître que Lemierre s'est montré digne de son modèle, sans en avoir néanmoins saisi toutes les beautés. La critique a été sévère à l'égard de Lemierre touchant son poème des Fastes, ou les Usages de l'année, divisé en 16 chants: il est vrai que la versification n'en est pas toujours agréable, et qu'il s'y trouve beaucoup de passages négligés; mais aujourd'hui on est forcé de convenir aussi que ce poème renferme des épisodes excellents et dignes des plus grands maîtres. Quoique peu agréable de figure et passablemend avide de louange, Lemierre sut se concilier une estime générale, par la pratique de toutes les vertus domestiques. Ce fut lui qui succéda à l'abbé Le Batteux à l'Académie française.-Euvres complètes, 1810, 3 vol. in-8vo. Euvres choisies, édition stéréotype de Didot, 2 vol.

DORAT

(CLAUDE-JOSEPH) né en 1734 et mort en 1780, à Paris.

La Linotte.-Fable.

Une étourdie, une tête à l'évent,

Une linotte, c'est tout dire,

Sifflant à tout propos, et tournant à tout vent,
Quitta sa mère et voulut se produire,
Se faire un sort indépendant.

Un nid chez soi vaut mieux souvent
Que ne vaut ailleurs un empire.
Il s'agit de trouver un bel emplacement.
Ma folle, un jour, s'arrêta près d'un chêne.
"C'est, dit-elle, ce qu'il me faut;
Je serai là comme une reine;
On ne peut se nicher plus haut,"
En un moment le nid s'achève :
Mais deux jours après, ô douleur !
Par tourbillons le vent s'élève,
L'air s'embrase, un nuage crève :
Adieu les projets de bonheur !
Notre linotte était absente.
A son retour, dieux! quels degâts!
Plus de nid! le chêne en éclats!

66

Ho, ho! je serai plus prudente,
Dit-elle; logeons-nous six étages plus bas."
Des broussailles frappent sa vue.

"La foudre n'y tombera point,

J'y vivrai tranquille, inconnue ;

Et ceci, pour le coup, est mon fait de tout point."
Elle y bâtit son domicile.

Moins d'éclat, sans plus de repos :

La poussière et les vermisseaux
L'inquiètent dans cet asile :

Il faut prendre congé; mais, sage à ses dépens,
D'un buisson qui domine elle gagne l'ombrage,
Y trouve des plaisirs constants,
Et s'y préserve en même temps
De la poussière et de l'orage.
Si le bonheur nous est permis,

Il n'est point sous le chaume, il n'est point sur le trône. Voulons-nous l'obtenir, amis,

La médiocrité le donne.

Le Palais du Destin.

Loin de la sphère où grondent les orages,
Loin des soleils, par delà tous les cieux,
S'est élevé cet édifice affreux

Qui se soutient sur le gouffre des âges.
D'un triple airain tous les murs sont couverts:
Et, sur leurs gonds quand les portes mugissent,
Du temple alors les bases retentissent;
Le bruit pénètre, et s'entend aux enfers.
Les vœux secrets, les prières, la plainte,
Et notre encens, détrempé de nos pleurs,
Viennent, hélas ! comme autant de vapeurs,
Se dissiper autour de cette enceinte.
Là, tout est sourd à l'accent des douleurs ;
Multipliés en échos formidables,

Nos cris en vain montent jusqu'à ce lieu :
Ces cris perçants et ces voix lamentables
N'arrivent point aux oreilles du dieu.
A ses regards un bronze incorruptible
Offre en un point l'avenir ramassé;
L'urne des sorts est dans sa main terrible,
L'axe des temps pour lui seul est fixé.
Sous une voûte où l'acier étincelle
Est enfoncé le trône du Destin,
Triste barrière et limite éternelle,
Inaccessible à tout effort humain ;

IV

Morne, immobile, et dans soi recueillie,
C'est de ce lieu que la Nécessité,
Toujours sévère et toujours obéie,
Lève sur nous son sceptre ensanglanté,
Ouvre l'abîme où disparaît la vie,
D'un bras de fer courbe le front des rois,
Tient sous ses pieds la terre assujettie,
Et dit au Temps: Exécute mes lois !

(La Déclamation.)

C'est ici un de ces écrivains qui se sont exercés dans tous les genres et qui, sans avoir excellé dans aucun, se sont fait un nom respectable. Ses tragédies sont aujourd'hui au-dessous de la critique. Quelques-unes de ses comédies se sont soutenues et sont encore revues avec plaisir. Parmi ses fables, on en trouve qui méritent d'être lues. Son poème sur la Déclamation est peut-être un de ses meilleurs ouvrages dans le genre sérieux; dans celui du Mois de mai, on trouve de la naïveté, de la grâce, de la douceur et de belles pensées exprimées avec esprit. Ses Fantaisies offrent un ton piquant et de la facilité. Ses chansons, ses contes, ses épîtres et ses autres poésies diverses, sans être sublimes, plaisent par un certain ton qui en rend la lecture agréable. Dorat avait renoncé au barreau pour entrer au service militaire qu'il abandonna bientôt pour s'adonner aux lettres. Il fut rédacteur du Journal des dames pendant plusieurs années.-Euvres complètes, 20 vol. in-8vo.

RULHIÈRES

(CLAUDE CARLOMAN DE), né en 1735, mort à Paris en 1791.

La Laponie.

Dans ces affreux climats où règnent les deux Ourses, Où l'Océan, glacé par de plus froids hivers,

Est immobile et sourd aux sifflements des airs,
Où les fleuves six mois s'enferment dans leurs sources,
Où la nuit, d'un seul voile, embrasse deux saisons,
Quand les Lapons sous terre ont creusé leurs maisons,
Ils vivent, sont heureux, et chantent sous la glace ;
Ils savent affronter les climats, et souvent
Un fragile traîneau, plus léger que le vent,
Fuit, vole, et de la neige effleure la surface,
Sans laisser en fuyant une invisible trace.
Ces effroyables lieux ont même leur beauté.

Souvent, dans les horreurs de cette obscurité,
Des rayons du matin la nuit semble parée;
L'aurore, de feux entourée,

Loin de son humide séjour,

Se lève sans ouvrir la barrière du jour,

Et, dans les cieux quelque temps égarée, Couvre de ses rubis les antres de Borée. Cependant les zéphyrs sortent d'un long sommeil, Et l'onde blanchissante annonce leur réveil.

Le jour, pendant six mois, ne descend plus sous l'onde ;
L'horizon tout entier sert de route au soleil ;

Il semble sur les flots voler autour du monde ;
L'automne et le printemps confondent leurs trésors,
Tant les cieux ont versé de bienfaits sur ces bords!
Tant d'un soin maternel la nature partage

Entre tous ses enfants son immense héritage!.......
(Epitre à Chamfort.)

Rulhières était secrétaire d'ambassade en Russie au moment où Pierre III fut détrôné, et il a écrit d'une manière fort intéressante l'Histoire de cette révolution extraordinaire, dont il connaissait jusqu'aux moindres détails. Il sut profiter aussi de son séjour en Russie et de ses voyages en Pologne, en Suède et en Allemagne, pour recueillir les matériaux précieux dont il a composé son excellente Histoire de l'anarchie de la Pologne, où il expose d'une manière claire, précise et élégante, la politique cruelle de Catherine II, et les malheurs des Polonais, ce peuple de braves, dont les efforts heroïques, tant de fois renouvelés dans la cause de la liberté, sont bien dignes sans doute d'un meilleur sort. Ces deux ouvrages, qu'on a depuis réunis en 4 vol. in-octavo (1807), et qui avaient coûté à Rulhières plus de 20 années de travail, l'ont placé au rang des meilleurs écrivains modernes. Mais il avait déjà obtenu d'autres succès dans les lettres: on remarque son petit poème sur les Disputes, production pleine d'élégance, d'harmonie et de raison; son Discours de reception à l'Académie française, dans lequel il a su joindre le bon goût, l'esprit, la grâce et la vérité; ses Eclaircissements historiques sur la révocation de l'édit de Nantes, 2 vol. in-8vo, où il plaide avec chaleur la cause des Protestants, dans un style brillant, rapide et original; le poème sur les Jeux de mains; des épîtres, des épigrammes, des lettres en vers, etc.

BAILLY

(Jean-Sylvain), né à Paris en 1736, guillotiné au Champ-de-Mars le

12 9bre. 1793.

Théorie de l'Aurore.

Les rayons qui se plient pour s'approcher de nous, passent au-dessus de nos têtes avant de nous atteindre; ils se réfiéchissent sur les particules grossières de l'air pour former d'abord une faible lueur, incessamment augmentée, qui annonce et devient bientôt le jour. Cette lueur est l'aurore. La lumière décomposée peint les nuages, et forme ces couleurs brillantes qui précèdent le lever du soleil: c'est dans ce phénomène coloré de la réfraction que les poètes ont vu la déesse du matin; elle ouvre les portes du jour avec ses doigts de rose, et la fille de l'air et du soleil a son trône dans l'atmosphère. Si cette atmosphère n'existait pas, si les rayons nous parvenaient en ligne droite, l'apparition et la disparition du soleil seraient instantanées; le grand éclat du jour succèderait à la profonde nuit, et des ténèbres épaisses prendraient tout à coup la place du plus beau jour. La réfraction est donc utile à la terre, non-seulement parce qu'elle nous fait jouir quelques moments de plus de la présence du soleil, mais parce qu'en nous donnant les crépuscules, elle prolonge la durée de la lumière; et la nature a établi des gradations pour préparer nos plaisirs, pour diminuer nos regrets. Nous voyons poindre le jour comme une faible espérance; il s'échappe sans qu'on y songe, et la lumière se perd comme nos forces, comme la santé, les plaisirs, la vie même, sans que nous nous en apercevions.

(Astronomie moderne.)

La Fable.

La fable est, sans doute, aussi vieille que le monde; elle conserve et conservera toujours son empire: nous l'aimons,' nous sommes nés pour elle. C'est une immortelle dont la voix mensongère en tout temps nous charme et nous amuse; c'est une enchanteresse qui nous entoure de prestiges; qui, à ses réalités, substitue, ou du moins ajoute des chimères agréables et riantes, et qui, cependant, soumise à l'histoire et la philosophie, ne nous trompe jamais que pour mieux nous in

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