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A mes Pénates.

Petits dieux avec qui j'habite,
Compagnons de ma pauvreté,
Vous dont l'œil voit avec bonté
Mon fauteuil, mes chenets d'ermite,
Mon lit couleur de carmélite
Et mon armoire de noyer,

O mes pénates, mes dieux lares,
Chers protecteurs de mon foyer!
Si mes mains, pour vous festoyer,
De gâteaux ne sont point avares;
Si j'ai souvent versé pour vous
Le vin, le miel, un lait si doux;
Oh! veillez bien sur notre porte,
Sur nos gonds et sur nos verrous,
Non point par la peur des filous;
Car que voulez-vous qu'on m'emporte !
Je n'ai ni trésors ni bijoux ;

Je peux voyager sans escorte.

Mes vœux sont courts; les voici tous :
Qu'un peu d'aisance entre chez nous ;
Que jamais la vertu n'en sorte.
Mais n'en laissez point approcher
Tout front qui devrait se cacher,
Ces échappés de l'indigence,
Que Plutus couvrit de ses dons,
Si surpris de leur opulence,
Si bas avec tant d'arrogance,
Si petits dans leurs grands salons.
Oh! que j'honore en sa misère
Cet aveugle errant sur la terre,
Sous le fardeau des ans pressé,
Jadis si grand par la victoire,
Maintenant puni de sa gloire,
Qu'un pauvre enfant déjà lassé,
Quand le jour est presque effacé,
Conduit pieds nus, pendant l'orage,
Quêtant pour lui sur son passage,
Dans son casque où sa faible main,
Avec les grâces de son âge,
De quoi ne pas mourir de faim!
O mes doux pénates d'argile,
Attirez-les sous mon asile!

S'il est des cœurs faux, dangereux,

Soyez de fer, d'acier pour eux.
Mais qu'un sot vienne m'apparaître,
Exaucez ma prière, ô dieux!
Fermez vite et porte et fenêtre !
Après m'avoir sauvé du traître,
Défendez-moi de l'ennuyeux.

(Poésies diverses.)

Ce poète fut reçu à l'Académie française en 1778, à la place devenue vacante par la mort de Voltaire; et en ce qui regarde la tragédie, il a prouvé qu'il était digne de succéder à ce grand homme. Ducis est un de nos meilleurs tragiques de la fin du 18me. siècle. La distribution de ses plans n'est pas toujours heureuse, mais il excelle dans quelques scènes, par la noblesse des pensées, par la vigueur et l'énergie d'un style pur, plein d'harmonie et revêtu des plus brillantes couleurs. Il ne commença à écrire pour le théâtre qu'à l'âge de 33 ans, et ses deux premières pièces ne réussirent pas très-bien. Quelques-unes de ses meilleures sont tirées des sujets de Shakspeare; il transporta sur le théâtre français, Hamlet, Roméo et Juliette, le Roi Léar, Macbeth, et Othello; mais ce sont des imitations, et non des traductions, car ces compositions n'ont absolument que le titre de commun avec celles du poète anglais. Edipe chez Admète est une imitation de la tragédie de Sophocle, mais le poète français a surpassé son modèle. Abufar, ou la Famille arabe, tragédie pleine d'intérêt, passe pour une de ses meilleures compositions originales. Ses poésies fugitives ne sont pas moins dignes de lui; il a su y réunir la force, l'élégance, la grâce et la variété. La vie de Ducis a été celle d'un vrai sage, ou plutôt d'un patriarche, quoique souvent assez bizarre. Il fut quelque temps secrétaire de Louis XVIII, et lui resta toujours dévoué. Pendant l'exil de ce prince, le poète se trouva dans la misère la plus complète, et cependant il refusa obstinément le poste de sénateur avec 40,000 francs par an et la croix d'honneur que Napoléon lui offrit plusieurs fois. A la restauration il fut généreusement récompensé de sa fidélité. Ducis appartenait à des parents peu aisés, qui tenaient une petite boutique de poterie, mais qui s'étaient attiré l'estime de toute la ville par leurs vertus, et il avait fait ses études au collège de cette ville. Il était si attaché à ses bons parents, qu'il leur dédiait presque toujours ses ouvrages. Lorsqu'il eut composé son discours de réception à l'Académie, il le lut d'abord à sa mère qui lui dit: "Mon fils, cela me semble bien beau, mais c'est bien long." Il se hâta de l'abréger avec l'assistance de Thomas, son ami intime. En refusant les offres de Napoléon, il disait qu'il aimait mieux porter des haillons que des chaines. Shakspeare était son idole. Il assistait régulièrement au théâtre et aux sermons pathétiques du P. de Neuville. Outre ses tragédies, Ducis a laissé le Banquet de l'amitié, poème en 4 chants; des épîtres, et beaucoup de poésies diverses. Ses œuvres forment 3 vol. in-8vo, Paris 1826; mais il existe un grand nombre d'autres éditions sous divers formats: une de 1827, 7 vol., in-18.

MALFILATRE

(JACQUES-CHARLES-LOUIS), né à Caen l'an 1733, mort à Paris en 1767.

Les deux Serpents.

A cet autel de gazons et de fleurs

Déjà la main des sacrificateurs

A présenté la génisse sacrée,

Jeune, au front large, à la corne dorée ;
Le bras fatal, sur sa tête étendu,

Prêt à frapper, tient le fer suspendu...

Un bruit s'entend... l'air siffle.. l'autel tremble.
Du fond du bois, du pied des arbrisseaux,
Deux fiers serpents soudain sortent ensemble,
Rampent de front, vont à replis égaux;

L'un près de l'autre ils glissent, et sur l'herbe
Laissent loin d'eux de tortueux sillons;
Les yeux en feu, lèvent d'un air superbe
Leurs cous mouvants, gonflés de noirs poisons;
Et vers le ciel deux menaçantes crêtes,
Rouges de sang, se dressent sur leurs têtes.
Sans s'arrêter, sans jeter un regard
Sur mille enfants fuyant de toute part,
Le couple affreux, d'une ardeur unanime,
Suit son objet, va droit à la victime,
L'atteint, recule, et, de terre élancé,
Forme cent nœuds, autour d'elle enlacé ;
La tient, la serre; avec fureur s'obstine
A l'enchaîner, malgré ses vains efforts,
Dans les liens de deux flexibles corps;
Perce des traits d'une langue assassine
Son cou nerveux, les veines de son flanc,
Poursuit, s'attache à sa forte poitrine,
Mord et déchire, et s'enivre de sang.

Mais l'animal, que leur souffle empoisonne,
Pour s'arracher à ce double ennemi,
Qui, constamment sur son corps affermi,

Comme un réseau, l'enferme et l'emprisonne,
Combat, s'épuise en mouvements divers,
S'arme contre eux de sa dent menaçante,
Perce les vents d'une corne impuissante,
Bat de sa queue et ses flancs et les airs.
Il court, bondit, se roule, se relève;

Le feu jaillit de ses larges naseaux :
A sa douleur, à ses horribles maux
Les deux dragons ne laissent point de trêve;
Sa voix, perdue en longs gémissements,
Des vastes mers fait retentir les ondes,
Les antres creux et les forêts profondes...
Il tombe enfin, il meurt dans les tourments:
Il meurt... Alors les énormes reptiles
Tranquillement rentrent dans leurs asiles.

(Poème de Narcisse.)

Malfilatre était né avec un génie véritablement poétique: il avait à peine fini ses études de collége, qu'il obtint quatre fois le prix de poésie à l'Académie de Rouen. Ces succès précoces l'engagèrent à se dévouer aux muses, et sans une mort prématurée qui le surprit au milieu de ses travaux, il se fût sans doute placé au premier rang des poètes français. Son poème de Narcisse dans l'ile de Vénus, bien qu'il n'eût pas le temps d'y mettre la dernière main, est rempli de beautés. Une extrême pauvreté fut la cause principale de la mort de ce poète, qui a laissé une mémoire très-respectable. Il a traduit en vers français une partie des Eglogues et des Géorgiques de Virgile-Poésies diverses, Paris 1825, 1 vol. in-8vo.

LEMIERRE

(ANTOINE-MARIE), né à Paris en 1733, mort à Saint-Germain-en-Laie en 1793.

Le Clair de lune.

Mais de Diane au ciel l'astre vient de paraître ;
Qu'il luit paisiblement sur ce séjour champêtre !
Eloigne tes pavots, Morphée, et laisse-moi
Contempler ce bel astre, aussi calme que toi.
Cette voûte des cieux mélancolique et pure,
Ce demi-jour si doux levé sur la nature,
Ces sphères qui, roulant dans l'espace des cieux,
Semblent y ralentir leur cours silencieux;
Du disque de Phébé la lumière argentée,
En rayons tremblotants sous ces eaux répétée,
Ou qui jette en ces bois, à travers les rameaux,
Une clarté douteuse et des jours inégaux;

Des différents objets la couleur affaiblie,
Tout repose la vue, et l'âme recueillie.

Reine des nuits, l'amant devant toi vient rêver,
Le sage réfléchir, le savant observer.

Il tarde au voyageur, dans une nuit obscure,
Que ton pâle flambeau se lève et le rassure:
Le ciel d'où tu me luis est le sacré vallon,
Et je sens que Diane est la sœur d'Apollon.
(Les Fastes, ch. VII.)

L'Anatomie.

Au temple d'Esculape une école est placée ;
Au milieu de l'enceinte une table dressée
Étale un corps sans vie et soustrait au tombeau;
Ferrein observe auprès, la Mort tient le flambeau :
Le scalpel à la main, l'œil sur chaque vertèbre,
L'observateur pénètre avec la clé funèbre
Les recoins de ce corps, triste reste de nous,
Objet défiguré dont l'être s'est dissous,

Pur chef-d'œuvre des cieux quand l'âme l'illumine,
Vil néant quand ce feu rejoint son origine.

Tu frémis, jeune artiste? ah! surmonte l'horreur
Que porte dans tes sens cet objet de terreur;

Et si ce n'est point là que l'homme entier s'enferme,
Si ton espoir s'étend au-delà de ce terme,
Viens, reconnais encor jusque dans ses débris
Tout ce qu'au sort humain tu dois mettre de prix;
Ces tubes, ces leviers, organes de la vie,
Ce corps, où la nature épuisa son génie,
Par elle fut construit dans un ordre si beau,
Que même, quand la mort l'a marqué de son sceau,
Tant qu'il n'est pas détruit dans son dernier atome,
Il sert aux arts de base et de modèle à l'homme.
Il éclaire ton art: porte un œil aguerri
Sur ces canaux glacés où le sang s'est tari.
Démonte ces ressorts de l'humaine structure;
Examine des os la mobile jointure,

Les nerfs et leur dédale, et, d'un regard savant,
Alors dans l'homme éteint cherche l'homme vivant.

(La Peinture, ch. 1.)

Outre une foule de poèmes qui eurent tous du succès, on doit à ce poète plusieurs tragédies, dont trois seulement, Guillaume Tell, Hypermnestre et la Veuve de Malabar, sont restées au théâtre. La Peinture passe pour

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