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DESMAHIS

(JOSEPH-FRANÇOIS-ÉDOUARD DE CORSEMBLEU), né à Sully-sur-Loire en 1722, mourut à Paris en 1761.

Les véritables Philosophes.

Montrons le vrai tableau de la philosophie :
De la saine raison au sentiment unie
Naquirent les vertus, les arts et le bonheur;
Du sentiment naquit le véritable honneur.
De la société trouver les lois premières,
Des siècles différents rassembler les lumières,
Éclairer l'industrie, animer les talents,

;

Prendre le bien public pour l'objet de ses plans,
Des dons du ciel apprendre et combiner l'usage,
Sans du froid pédantisme affecter l'étalage;
Donner à la raison toute sa dignité,
D'une vertu farouche adoucir l'âpreté,
Ranimer le flambeau que l'erreur veut éteindre,
Étendre notre sphère au lieu de la restreindre
Diriger par les mœurs l'heureux don de sentir,
Rendre l'homme meilleur, et non l'anéantir,
Tel est le noble emploi de la philosophie :
Par sa douce chaleur tout germe et fructifie,
Tout devient sentiment; sans elle tout languit.
Du vide du cœur vient le vide de l'esprit.
Cette philosophie, aimable autant qu'utile,
Est sérieuse et gaie, agissante et tranquille,
Et, loin de consacrer l'insensibilité,
N'inspire, ne ressent qu'amour, qu'humanité.

L'Honnête Homme, act. Iv, sc. I.

La Vie de province.

Des femmes aimables,

Qui, brillant décemment de leur propre beauté,
Ne font point un devoir de la frivolité ;

Des cœurs simples et francs, des hommes raisonnables,
En un mot, les plaisirs de la société ;

Un jeu dont on s'amuse, et sans excès funeste,
Qui, sans aucun tourment, délassant les joueurs,
Trop peu vif pour traîner après soi des malheurs,

Pour les intéresser l'est sûrement de reste;
Des dîners qui toujours satisfont l'appétit
Sans émousser le goût, où la raison sourit
A tout innocent badinage,

Où l'âme paraît sans nuage,
Où des amis qu'il réunit

Un plaisir pur fait le partage.

Le Triomphe du Sentiment, sc. XIV.

Encouragé par Voltaire, Desmahis commença sa carrière littéraire par différentes pièces de poésie dont la versification est douce, légère et harmonieuse, le coloris frais et les pensées fines et délicates. Sa comédie de l'Impertinent offre des traits piquants et vrais des mœurs de cette époque, et le dialogue en est naturel et agréable; elle fut fort applaudie. Il a laissé deux ou trois autres comédies qu'une mort prématurée ne lui permit pas d'achever, et dont on a publié des fragments. Le style de sa prose, comme celui de sa poésie, a de l'aisance, du naturel et de l'élégance. Les articles qu'il a fournis à l'Encyclopédie prouvent qu'il possédait le talent d'écrire. Aimable dans ses manières, modéré dans ses désirs, bienfaisant envers tout le monde, cet auteur fut généralement estimé, et sa perte vivement regrettée. "Quand mon ami rit, disait-il, c'est à lui de me dire la cause de sa joie; mais quand il pleure, c'est à moi de chercher la cause de son chagrin." Ses œuvres ont été recueillies en 2 vol. in-12.

MARMONTEL.

(Jean-François), né à Bort (Corrèze) en 1723, mourut à Abloville en 1799.

Des qualités du Style communes à tous les genres, et premièrement de la clarté du style.

Comme il y a, du côté de l'esprit, des facultés indispensables et communes à tous les genres; il y a aussi, du côté du style, des qualités essentielles, dont l'écrivain n'est jamais dispensé.

La première de ces qualités essentielles est la clarté. Avant d'écrire, il faut se bien entendre et se proposer d'être bien entendu. On croirait ces deux règles inutiles à prescrire : rien de plus commun cependant que de les voir négliger. On prend la plume avant d'avoir démêlé le fil de ses idées ; et leur confusion se répand dans le style. On laisse du vague et du louche dans la pensée, et l'expression s'en res

sent.

L'obscurité vient le plus souvent de l'indécision des rapports; et c'est de tous les vices de style le plus inexcusable, au moins dans notre langue. Elle a, je le sais bien, des équivoques inévitables; et qui veut chicanner, en trouve mille dans l'ouvrage le mieux écrit. Mais, comme La Motte l'a très-bien observé, il n'y a que l'équivoque de bonne foi qui soit vicieuse dans le style; et celle-là n'est jamais difficile à éviter, pour l'écrivain français qui veut bien s'en donner le soin.

De la précision du style.

C'est peu d'être clair; il faut être précis car tous les genres d'écrire ont leur précision; et l'on va voir qu'elle n'exclut aucun des agrémens du style.

La première difficulté qui se présente, est de réunir la précision et la clarté. Mais qu'on ne s'y trompe pas, l'expression la plus précise est la plus claire: et c'est au moyen de la correction et de la pureté du style, que la clarté se concilie avec la précision, je dirais, au moyen de la propriété, si je ne parlais que du style philosophique. Mais le style oratoire et le style poétique ont plus de latitude, et la justesse leur suffit. Dès que l'expression, ou simple ou figurée, répond exactement à la pensée, elle est précise et claire. Tout ce qui intercepte la lumière du style, en éteint la chaleur ou en ternit l'éclat.

Un écueil plus dangereux pour la précision, c'est la sécheresse. Mais émonder un bel arbre, ce n'est pas le mutiler ; c'est le délivrer d'un poids inutile. Ramos compesce fluentes: voilà l'image de la précision. Il n'y a pas un seul mot à retrancher de ces vers de Corneille :

Rome, si tu te plains que c'est là te trahir,
Fais-toi des ennemis que je puisse haïr.

Des ornemens du style.

;

Le style du poète et celui de l'orateur ont besoin d'être ornés la richesse, le coloris, l'élégance en sont la parure; la parure en est la décence; à moins que la beauté naïve de la pensée ou du sentiment ne demande, pour s'exprimer, que le mot simple de la nature. Encore alors la simplicité même aurat-elle sa noblesse et son élégance: car il faut savoir être naturel avec choix, simple avec dignité, et négligé même avec grâce.

Ainsi, la vérité et le naturel sont, dans le style, inséparables de la décence. La vérité consiste à faire parler à chacun son langage, dans la situation réelle ou fictive où il est placé : le naturel, à dire ou à faire dire ce qui semble avoir dû se présenter d'abord sans étude, et sans aucun effort de réflexion et de recherche; la décence, à dire les choses comme il convient à celui qui parle, à l'objet dont il parle, et à ceux qui l'écoutent.

De la gravité du style.

La gravité du style est la manière dont parle un homme profondément occupé de grands intérêts ou de grandes choses: tout ce qui ressemble à l'amusement, à la dissipation, au soin de parer son langage, lui répugne. Exprimer sa pensée avec le moins de mots et le plus de force qu'il est possible, voilà le style austère et grave. Ce caractère est celui de Tite-Live et de Tacite, dans leurs harangues. Voyez, dans la vie d'Agricola, l'exhortation de cet éloquent Galgacus aux Bretons, pour leur inspirer le courage du désespoir : rien de plus simple, rien de plus pressant: il n'y a pas un mot qui ne porte à l'âme une impression profonde; et c'est ainsi que le style grave est aussi naturellement le plus énergique : car l'énergie du style consiste à serrer l'expression, afin de donner plus de ressort au sentiment ou à la pensée. On la reconnaît dans ces vers de Cléopâtre, dans Rodogune :

Tombe sur moi le ciel, pourvu que je me venge.
Si je verse des pleurs, ce sont des pleurs de rage

et de Camille, dans les Horaces :

Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause et mourir de plaisir.

Et de Néron, dans Britannicus :

J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer.

De la véhémence du style.

La véhémence dépend moins de la force des termes que du tour et du mouvement impétueux de l'expression: c'est l'impulsion que le style reçoit des sentimens qui naissent en foule et se pressent dans l'âme, impatiens de se répandre et passer dans l'âme d'autrui. La conviction est pressante, énergique; elle fait violence à l'entendement: la persuasion seule est véhémente, elle entraîne la volonté.

La célérité des idées qui s'échappent comme des traits de lumière, communiquée à l'expression, fait la vivacité du style;

leur facilité à se succéder, même sans vitesse, imitée par le style, en fait la volubilité. Mais ces qualités réunies ne font pas la véhémence: elle veut être animée et nourrie par la chaleur du sentiment.

Des grâces du style.

La grâce du style consiste dans l'aisance, la souplesse, la variété de ses mouvemens, et dans le passage naturel et facile de l'un à l'autre. Voulez-vous en avoir une idée sensible? appliquez à la poésie ce que M. Watelet dit de la Peinture. "Les mouvemens de l'âme des enfans sont simples, leurs membres dociles et souples. Il résulte de ces qualités une unité d'action et une franchise qui plaît. La simplicité et la franchise des mouvemens de l'âme contribuent tellement à produire les grâces, que les passions indécises ou trop compliquées les font rarement naître. La naïveté, la curiosité ingénue, le désir de plaire, la joie spontanée, le regret, les plaintes, et les larmes mêmes qu'occasionne un objet chéri, sont susceptibles de grâce, parce que tous ces mouvemens sont simples." Mettez le langage à la place de la personne, croyez entendre au lieu de voir, et cet ingénieux auteur aura défini les grâces du style.

De l'élégance du style.

L'élégance du style suppose l'exactitude, la justesse, et la pureté, c'est-à-dire, la fidélité la plus sévère aux règles de la langue, au sens de la pensée, aux lois de l'usage et du goût, accord d'où résulte la correction du style; mais tout cela contribue à l'élégance et n'y suffit pas. Elle exige encore une liberté noble, un air facile et naturel, qui, sans nuire à la correction, en déguise l'étude et la gêne. Le style de Despréaux est correct; celui de Racine et de Quinault est élégant. "L'élégance consiste, dit l'auteur des Synonymes Français, dans un tour de pensée noble et poli, rendu par des expressions châtiées, coulantes, et gracieuses à l'oreille." Disons mieux c'est la réunion de toutes les grâces du style; et c'est par là qu'un ouvrage relu sans cesse, est sans cesse nouveau.

De la noblesse du style.

Il y a trois mille ans qu'Homère a défini mieux que personne la noblesse politique, son objet, ses titres, sa fin, lorsque dans l'Iliade (lib. XII) Sarpédon dit à Glaucus: "Ami, pourquoi sommes-nous révérés comme des dieux dans la Lycie?

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