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En était plus majestueux.
Quels dieux ont causé sa ruine?
Un bûcheron faible et courbé

A frappé l'arbre en sa racine :
Le roi des forêts est tombé.

Ce poète n'a pas conservé la réputation qu'il eut de son vivant. Il a cependant connu les grâces de la poésie, et l'on trouve dans ses compositions des morceaux qui ont du feu, de l'élégance, de la facilité et un grand nombre de vers bien tournés. Ses Odes anacréontiques ont l'aimable aisance qui caractérise ce genre; ses Epîtres, son poème des Quatre saisons, celui de la Religion vengée, et des Quatre parties du jour, offrent d'assez beaux tableaux, mais le ton n'en est pas toujours soutenu; d'ailleurs, il a fait un si fréquent usage des images mythologiques, que plusieurs de ces pièces sont quelquefois inintelligibles pour le commun des lecteurs. Au reste les productions de ce poète sont des ouvrages de jeunesse, et l'épicurisme en est souvent la base, excepté son poème de la religion. De Bernis a été archevêque d'Albi, cardinal, ambassadeur à Venise et à Rome, et membre de l'Académie française. Vers la fin de ses jours il devint très-pieux et mourut en vrai chrétien.-Un recueil de ses œuvres se trouve en 1 vol. in-8vo, Paris 1825.

VAUVENARGUES

(LUC CLAPIERS, marquis de), né à Aix en Provence l'an 1715, mourut en 1747.

De l'Amitié.

C'est l'insuffisance de notre être qui fait naître l'amitié, et c'est l'insuffisance de l'amitié même qui la fait périr.

Est-on seul, on sent sa misère, on sent qu'on a besoin d'appui; on cherche un fauteur de ses goûts, un compagnon de ses plaisirs et de ses peines; on veut un homme dont on puisse posséder le cœur et la pensée. Alors l'amitié paraît être ce qu'il y a de plus doux au monde. A-t-on ce qu'on a souhaité, on change bientôt de pensée.

Lorsqu'on voit de loin quelque bien, il fixe d'abord nos désirs; et lorsqu'on y parvient, on en sent le néant. Notre âme, dont il arrêtait la vue dans l'éloignement, ne saurait s'y reposer quand elle voit au-delà: ainsi l'amitié, qui de loin bornait toutes nos prétentions, cesse de les borner de près; elle ne remplit pas le vide qu'elle avait promis de remplir, elle nous laisse des besoins qui nous distraient et nous portent vers d'autres biens.

Alors on se néglige, on devient difficile, on exige bientôt comme un tribut les complaisances qu'on avait d'abord reçues comme un don. C'est le caractère des hommes de s'approprier peu à peu jusqu'aux grâces dont ils jouissent; une longue possession les accoutume naturellement à regarder les choses qu'ils possèdent comme à eux; ainsi l'habitude leur persuade qu'ils ont un droit naturel sur la volonté de leurs amis. Ils voudraient s'en former un titre pour les gouverner; lorsque ces prétentions sont réciproques, comme on le voit souvent, l'amour-propre s'irrite et crie des deux côtés, produit de l'aigreur, des froideurs et d'amères explications.

On se trouve aussi quelquefois mutuellement des défauts qu'on s'était cachés, ou l'on tombe dans des passions qui dégoûtent de l'amitié, comme les maladies violentes dégoûtent des plus doux plaisirs.

Aussi les hommes les plus extrêmes ne sont pas les plus capables d'une constante amitié. On ne la trouve nulle part si vive et si solide que dans les esprits timides et sérieux, dont l'âme modérée connaît la vertu; car elle soulage leur cœur oppressé sous le mystère et sous le poids du secret, détend leur esprit, l'élargit, les rend plus confiants et plus vifs, se mêle à leurs amusements, à leurs affaires et à leurs plaisirs mystérieux: c'est l'âme de toute leur vie.

(De l'Esprit humain.)

Le début de cet écrivain dans la carrière des lettres, fait regretter qu'il soit mort si jeune. Il entra dans l'armée à l'âge de 17 ans, et fit deux ou trois campagnes dont les fatigues ruinèrent sa santé; plus tard il perdit même la vue. S'étant retiré au sein de sa famille et de ses amis, l'étude, la méditation et l'amitié lui firent supporter son affliction et ses souffrances avec la résignation d'un philosophe chrétien. Ses premières études furent légères, mais avec le secours des bons livres et un esprit porté à la réflexion, il acquit de grandes connaissances, un jugement solide et le talent de la vraie éloquence. L'Introduction à la connaissance de l'esprit humain, suivie de réflexions et de maximes, qui parut en 1746, est remarquable par l'énergie, la solidité et la profondeur des pensées, et a placé Vauvenargues au rang des meilleurs écrivains de son temps. Ses jugements sur les écrivains du siècle de Louis XIV, sont faits de main de maître. Il fut le premier à assigner à Racine sa véritable place. Ses œuvres sont réunies en 3 vol. in-octavo, Paris, 1821.

BARTHÉLEMY

(JEAN-JACQUES), né à Cassis (Bouches-du-Rhône) en 1716, mort à Paris en 1795.

ames.

Description d'un Orage.

Cependant l'horison se chargeait au loin de vapeurs ardentes et sombres; le soleil commençait à pâlir; la surface des eaux, unie et sans mouvement, se couvrait de couleurs lugubres, dont les teintes variaient sans cesse. Déjà le ciel, tendu et fermé de toutes parts, n'offrait à nos yeux qu'une voûte ténébreuse que la flamme pénétrait, et qui s'appesantissait sur la terre. Toute la nature était dans le silence, dans l'attente, dans un état d'inquiétude qui se communiquait jusqu'au fond de nos Nous cherchâmes un asile dans le vestibule du temple, et bientôt nous vîmes la foudre briser à coups redoublés cette barrière de ténèbres et de feux suspendus sur nos têtes; des nuages épais rouler par masses dans les airs, et tomber en torrens sur la terre; les vents déchaînés fondre sur la mer, et la bouleverser dans ses abîmes. Tout grondait, le tonnerre, les vents, les flots, les antres, les montagnes; et de tous ces bruits réunis, il se formait un bruit épouvantable qui semblait annoncer la dissolution de l'univers. L'aquilon ayant redoublé ses efforts, l'orage alla porter ses fureurs dans les climats brûlans de l'Afrique. Nous le suivîmes des yeux; nous l'entendîmes mugir dans le lointain; le ciel brilla d'une clarté plus pure; et cette mer, dont les vagues écumantes s'étaient élevées jusques aux cieux, traînait à peine ses flots jusque sur le rivage.

(Anacharsis.)

Le Printemps sous le beau ciel de la Grèce.

Dans l'heureux climat que j'habite, le printemps est comme l'aurore d'un beau jour; on y jouit des biens qu'il amène, et de ceux qu'il promet. Les feux du soleil ne sont plus obscurcis par des vapeurs grossières, ils ne sont pas encore irrités par l'aspect ardent de la canicule. C'est une lumière pure, inaltérable, qui se repose doucement sur tous les objets; c'est la lumière dont les dieux sont environnés dans l'Olympe.

Quand elle se montre à l'horison, les arbres agitent leurs feuilles naissantes, les bords de l'Ilissus retentissent du chant des oiseaux, et les échos du mont Hymette, du son des chalumeaux rustiques. Quand elle est près de s'éteindre, le ciel se couvre de voiles étincelans; et les nymphes de l'Attique vont d'un pas timide essayer sur le gazon des danses légères : mais bientôt elle se hâte d'éclore; et alors on ne regrette ni la fraicheur de la nuit qu'on vient de perdre, ni la splendeur du jour qui l'avait précédée; il semble qu'un nouveau soleil s'élève sur un nouvel univers, et qu'il apporte de l'orient des couleurs inconnues aux mortels. Chaque instant ajoute un nouveau trait aux beautés de la nature; à chaque instant, le grand ouvrage du développement des êtres avance vers sa perfection.

O jours brillans! ô nuits délicieuses! quelle émotion excitait dans mon ame cette suite de tableaux que vous offriez à tous mes sens! O dieu des plaisirs! ô printemps ! je vous ai vu cette année dans toute votre gloire; vous parcouriez en vainqueur les campagnes de la Grèce, et vous détachiez de votre tête les fleurs qui devaient les embellir; vous paraissiez dans les vallées, elles se changeaient en prairies riantes; vous paraissiez sur les montagnes, le serpolet et le thym exhalaient mille parfums; vous vous éleviez dans les airs, et vous y répandiez la sérénité de vos regards. Les amours empressés accouraient à votre voix; ils lançaient de toutes parts des traits enflammés; la terre en était embrasée. Tout renaissait pour s'embellir; tout s'embellissait, pour plaire. Tel parut le monde au sortir du chaos, dans ces momens fortunés où l'homme, ébloui du séjour qu'il habitait, surpris et satisfait de son existance, semblait n'avoir un esprit que pour connaître le bonheur, un cœur que pour le désirer, une âme que pour le sentir.

La vallée de Tempé.

(Anacharsis.)

Les montagnes qui forment la vallée de Tempé sont couvertes de peupliers, de platanes, de frênes d'une beauté surprenante. De leurs pieds jaillissent des sources d'une eau pure comme le cristal, et des intervalles qui séparent leurs sommets, s'échappe un air frais que l'on respire avec une volupté secrète. Le fleuve Pénée présente presque partout un canal tranquille, et dans certains endroits il embrasse de petites îles, dont il éternise la verdure. Des grottes percées

dans les flancs des montagnes, des pièces de gazon placées aux deux côtés du fleuve, semblent être l'asile du repos et du plaisir. Ce qui étonne le plus, est une certaine intelligence dans la distribution des ornemens qui parent ces retraites. Ailleurs c'est l'art qui s'efforce d'imiter la nature; ici, on dirait que la nature veut imiter l'art. Les lauriers et différentes sortes d'arbrisseaux forment d'eux-mêmes des berceaux et des bosquets, et font un beau contraste avec des bouquets de bois placés au pied de l'Olympe. Les rochers sont tapissés d'une espèce de lierre, et les arbres, ornés de plantes qui serpentent autour de leur tronc, s'entrelacent dans leurs branches, et tombent en festons et en guirlandes. Enfin, tout présente, en ces beaux lieux, la décoration la plus riante. De tous côtés l'œil semble respirer la fraicheur, et l'âme recevoir un nouvel esprit de vie.

(Anacharsis.)

Douceurs de la Vie champêtre.

Un soir, assis à table devant la maison d'Euthymène, sous de superbes platanes qui se courbaient au-dessus de nos têtes, il nous disait: quand je me promène dans mon champ, tout rit, tout s'embellit à mes yeux. Ces moissons, ces arbres, ces plantes n'existent que pour moi, ou plutôt que pour les malheureux dont je vais soulager les besoins. Quelquefois je me fais des illusions pour accroître mes jouissances; il me semble alors que la terre porte son attention jusqu'à la délicatesse, et que les fruits sont annoncés par les fleurs, comme parmi nous les bienfaits doivent l'être par les grâces.

Une émulation sans rivalité forme les liens qui m'unissent avec mes voisins: ils viennent souvent se ranger autour de ma table, qui ne fut jamais entourée que de mes amis. La confiance et la franchise règnent dans nos entretiens. Nous nous communiquons nos découvertes; car, bien différens des autres artistes, qui ont des secrets, chacun de nous est aussi jaloux d'instruire les autres que de s'instruire soi-même.

Habitans des villes, vous croyez être libres dans l'enceinte de vos murs; mais cette indépendance que les lois vous accordent, la tyrannie de la société vous la ravit sans pitié : des charges à briguer et à remplir; des hommes puissans à ménager; des noirceurs à prévoir et à éviter; des devoirs de bienséance plus rigoureux que ceux de la nature; une contrainte continuelle dans l'habillement, dans la démarche, dans les

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