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la gloire est réservée. On n'a pas la gloire pour avoir ajouté à celle de sa nation. On est l'honneur de son corps, sans être la gloire de son pays. Un particulier peut souvent aspirer à la réputation, à la renommée, à l'immortalité : il n'y a que des circonstances rares, une heureuse étoile, qui puissent le conduire à la gloire.

La gloire appartient à Dieu dans le ciel. Sur la terre, c'est le lot de la vertu, et non du génie; de la vertu utile, grande, bienfaisante, éclatante, héroïque. C'est le lot d'un monarque qui s'est occupé, pendant un règne orageux, du bonheur de ses sujets, et qui s'en est occupé avec succès. C'est le lot d'un sujet qui aurait sacrifié sa vie au salut de ses concitoyens. C'est le lot d'un peuple qui aura mieux aimé mourir libre que de vivre esclave. C'est le lot, non d'un César ou d'un Pompée, mais d'un Régulus ou d'un Caton. C'est le lot d'un Henri IV.

(Histoire philosophique.)

Raynal se fit remarquer chez les jésuites par son éloquence comme prédicateur, mais son amour pour la liberté et l'indépendance ne lui permit pas de rester soumis à des règles tout à fait opposées à ses principes et contraires à ses goûts. A l'âge de 36 ans, il abandonna ce corps et s'établit à Paris où il se procura une existence au moyen de sa plume Il publia d'abord des Anecdotes historiques, depuis le règne de Charles V, en 3 vol. in-12, ouvrage qui parut plus tard sous le titre de Mémoires politiques de l'Europe, et mieux écrit que le précédent. Il rédigeait en même temps le Mercure de France, et publia les Mémoires de Ninon de l'Enclos. Enfin parurent l'Histoire du stathoudérat, 1 vol. in-12, et celle du Parlement d'Angleterre, 2 vol, in 12, qui n'eurent pas un long succès. Mais l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes porta le nom de Raynal chez toutes les nations civilisées. Cependant cet ouvrage, écrit d'ailleurs, quant au style, avec autant de goût que d'élégance et d'énergie, se trouva rempli de fautes sous le rapport des calculs et des faits: l'auteur en ayant été convaincu, résolut de refondre son travail, et se mit à voyager en France, en Hollande et en Angleterre, pour se procurer des matériaux plus surs. Il fut reçu partout par des marques de la plus haute distinction. En Angleterre, le président de la Chambre des Communes ayant aperçu Raynal parmi les spectateurs, suspendit la séance jusqu'à ce qu'on eût procuré au voyageur un siége commode. A son retour, il donna, à Genève, une nouvelle édition de son ouvrage, en 10 vol. in-8vo, après y avoir fait de nombreux changements. Mais la sévérité avec laquelle il y traite les institutions civiles, politiques et religieuses, le fit poursuivre judiciairement, et il n'eut que le temps de se sauver en Allemagne où, soit comme savant, soit en sa qualité d'étranger, il fut protégé des souverains, quoiqu'il ne les eût pas plus épargnés que les autres. Enfin il obtint la permission de rentrer en France. L'immense succès de cet ouvrage, dont on a fait plus de 50 contrefaçons, a été attribué à l'esprit de parti, et il n'existe peut-être pas de production qui ait subi un plus grand nombre de critiques. Quoiqu'il en soit, comme œuvre littéraire, elle assure à son auteur un rang distingué parmi les écrivains français. Une des meilleures éditions est celle de M. Jay, Paris, 1820, 11 vol. in-8vo. Raynal a laissé

plusieurs autres ouvrages, tels que l'Ecole militaire, Histoire du divorce de Henri VIII, les Révolutions des colonies anglaises dans l'Amérique, Réflexions sur la traite des noirs, etc. etc. Mais le nom de ce philosophe avait inspiré un tel enthousiasme d'un coté et une telle haine de l'autre, qu'on pense que la spéculation et l'esprit de parti ont mis sous son nom quelques ouvrages qui ne sont pas de lui. Membre de l'Institut, Raynal ne laissa d'autre fortune en mourant, que celle de sa célébrité.

DIDEROT

(DENIS), né à Langres (Haute-Marne) en 1713, mort à Paris en 1784.

Pensées détachées.

L'intelligence d'un premier Etre ne m'est-elle pas mieux démontrée dans la nature, par ses ouvrages, que la faculté de penser dans un philosophe, par ses écrits ? songez donc que je ne vous objectais qu'une aile de papillon, qu'un œil de ciron, quand je pouvais vous écraser du poids de l'univers. Ou je me trompe lourdement, ou cette preuve vaut bien la meilleure qu'on ait encore dictée dans les écoles. C'est sur ce raisonnement, et quelques autres de la même simplicité, que j'admets l'existence d'un Dieu, et non sur ces tissus d'idées sèches et métaphysiques, moins propres à dévoiler la vérité qu'à lui donner l'air du mensonge.

Je distingue les athées en trois classes. Il y en a quelquesuns qui vous disent nettement qu'il n'y a point de Dieu, et qui le pensent; ce sont les vrais athées: un assez grand nombre qui ne savent qu'en penser, et qui décideraient volontiers la question à croix ou pile; ce sont les athées sceptiques; beaucoup plus qui voudraient qu'il n'y en eût point, qui font semblant d'en être persuadés, qui vivent comme s'ils l'étaient; ce sont les fanfarons du parti. Je déteste les fanfarons; ils sont faux je plains les vrais athées; toute consolation me semble morte pour eux et je prie Dieu pour les sceptiques ; ils manquent de lumières.

Le déiste assure l'existence d'un Dieu, l'immortalité de l'ame et ses suites; le sceptique n'est point décidé sur ces articles; l'athée les nie. Le sceptique a donc pour être vertueux, un motif de plus que l'athée, et quelque raison de moins que le déiste. Sans la crainte du législateur, la pente du tempérament, et la connaissance des avantages actuels de la vertu, la probité de l'athée manquerait de fondement, et celle du sceptique serait fondée sur un peut-être.

Si j'avais un enfant à dresser, moi, je lui ferais de la Divinité une compagnie réelle. . . . Les jeunes gens veulent être pris par les sens. Je multiplierais donc autour de lui les signes indicatifs de la présence divine. S'il se fesait, par exemple, un cercle chez moi, j'y marquerais une place à Dieu, et j'accoutumerais mon élève à dire: " nous étions quatre, Dieu, mon ami, mon gouverneur et moi."

La religion bien entendue et pratiquée avec un zèle éclairé, ne peut manquer d'élever les vertus morales. Elle s'allie même avec les connaissances naturelles ; et quand elle est solide, les progrès de celles-ci ne l'allarment point pour ses droits. Quelque difficile qu'il soit de discerner les limites qui séparent l'empire de la foi de celui de la raison, le philosophe n'en confond pas les objets: sans aspirer au chimérique honneur de les concilier, en bon citoyen, il a pour eux de l'attachement et du respect. Il y a, de la philosophie à l'impiété, aussi loin que de la religion au fanatisme; mais du fanatisme à la barbarie, il n'y a qu'un pas.

Voici un des plus vastes génies que la France ait produits. Doué d'un esprit vif et pénétrant, d'une conception à laquelle rien n'échappe, d'une imagination bouillante, fertile et féconde, d'un jugement sûr et solide, d'une volonté ferme et décidée, d'un goût fin et délicat pour tout ce qui tient aux arts et aux sciences; plein d'ardeur pour l'étude, rempli de zèle et de patience pour la recherche de la vérité, il embrasse tout; sciences, beaux-arts, littérature, rien ne lui est inconnu; sa tête est une vaste encyclopédie, c'est un foyer ardent qui renvoie des torrents de lumière sur tout: il a été comme le point d'appui de la philosophie de son temps. De tous ses ouvrages celui qui lui fait le plus d'honneur, c'est l'Encyclopédie, dont il fut le collaborateur le plus zélé et le plus infatigable; il y travailla pendant vingt-cinq ans sans relache. D'Alembert, dégoûté par les violentes attaques dont ce travail devint l'objet de la part d'un parti opposé, abandonna l'entreprise, et Diderot se trouva presque seul à lutter contre une foule d'ennemis acharnés: il fut inébranlable, et, grâce à ses efforts et à l'universalité de ses connaissances, l'ouvrage fut accompli. Tout ce qui a rapport à la philosophie et aux arts et métiers, dans ce grand ouvrage, appartient à Diderot, et l'on s'accorde à reconnaître qu'il a traité ces sujets en maître habile. "Diderot est remarquable par ses idées sur la théorie des beaux-arts; son Encyclopédie est le monument qui représente le mieux le dix-huitième siècle." (M. COUSIN.)

Les autres productions de sa plume ont été publiées en 15 vol. in-octavo, où l'on trouve quelques pièces de théâtre, des lettres, des mélanges de philosophie et de littérature, des critiques, des dialogues philosophiques, etc. Diderot était de l'Académie française et de plusieurs autres sociétés savantes. Il était fils d'un simple coutelier, profession qui s'était déjà transmise de père en fils depuis plus de 200 ans; mais il avait fait d'excellentes études chez les jésuites. Après J. J. Rousseau, Diderot passe pour le plus éloquent des écrivains français de son temps. Sous le rapport de la morale, il s'oublia dans quelques écrits de sa jeunesse, qu'on peut d'ailleurs attribuer aux désordres de l'époque.

CONDILLAC

(ETIENNE BONNOT, abbé de), né à Grenoble en 1715, mourut à sa terré de Flux, près de Beaugenci, en 1780.

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L'harmonie, en musique, est le sentiment que produit sur nous le rapport appréciable des sons. Si les sons se font entendre en même temps, ils font un accord; et ils font un chant et une mélodie, s'ils se font entendre successivement.

Il est évident que l'accord ne peut pas entrer dans ce qu'on appelle harmonie du style; il n'y faut donc chercher que quelque chose d'analogue au chant. Or il y a deux choses dans le chant: mouvement et inflexion.

Nos mouvements suivent naturellement la première impression que nous leur avons donnée; et il y a toujours le même intervalle de l'un à l'autre. Quand nous marchons, par exemple, nos pas se succèdent dans des temps égaux. Tout chant obéit également à cette loi: les pas, si je puis m'exprimer ainsi, se font dans des intervalles égaux, et ces intervalles s'appellent mesures.

Suivant les passions dont nous sommes agités, nos mouvements se ralentissent ou se précipitent, et ils se font dans des temps inégaux. Voilà pourquoi, dans la mélodie, les mesures se distinguent par le nombre et par la rapidité ou la lenteur des temps.

En effet, la nature et l'habitude ont établi une si grande liaison entre les mouvements du corps et les sentiments de l'âme, qu'il suffit d'occasioner dans l'un certains mouvements pour éveiller dans l'autre certains sentiments. Cet effet dépend uniquement des mesures et des temps auxquels le musicien assujettit la mélodie.

L'organe de la voix fléchit comme les autres, sous l'effort des sentiments de l'âme. Chaque passion a un cri inarticulé qui la transmet d'une âme à une âme; et lorsque la musique imite cette inflexion, elle donne à la mélodie toute l'expression possible. Chaque mesure, chaque inflexion a donc, en musique, un caractère particulier, et les langues ont plus d'harmonie, et une harmonie plus expressive, à proportion qu'elles sont capables de plus de variété dans leurs mouvements et dans leurs inflexions.

Condillac passe pour avoir été le plus profond métaphysicien de son temps. Ses principaux ouvrages ont pour objet la Métaphysique et la Logique, et annoncent qu'il possédait une grande perspicacité jointe à un jugement sûr, et beaucoup de netteté et de profondeur dans l'esprit. Dans son Essai sur l'origine des connaissances humaines, qui parut en 1746, Condillac s'est montré supérieur à Locke. Le Traité des systèmes, publié en 1749, offre des vues bien développées. Le Traité des sensations parut en 1754: cet ouvrage, dit M. Cousin, est un véritable monument historique. Quant à son Cours d'études, qu'il composa pour le duc de Parme, dont il était précepteur, on y trouve des vues profondes dans la partie relative aux sciences, mais il a montré moins de sagacité dans la partie littéraire.-Les œuvres de Condillac se trouvent en 35 vol. in-12; et en 16 vol. in-octavo, Paris 1822.

Il était de l'Académie française et de celle de Berlin.

BERNIS

(FRANÇOIS-JOACHIM-PIERRE DE), naquit à St. Marcel, près du Bourg-St. Andéol (Ardèche), en 1715; et il mourut à Rome en 1794.

Extrait du Poème des Quatre Saisons.

Telles sont les sages pensées
Dont j'aime à nourrir ma raison,

Tandis que les neiges pressées
Couvrent le toit de ma maison.
Seul, et souvent heureux de l'être,
Je me fais un utile jeu

De voir consumer par le feu
Le tronc vénérable d'un hêtre.
Cet arbre semblait, au printemps,
Régner sur tout le paysage;
La mousse et la rouille du temps
Décelaient seules son grand âge;
Ses rameaux penchés alentour
Formaient un temple pour les Grâces;
A son pied l'on voyait les traces
Qu'imprimaient les pas de l'Amour.
Cent ans il repoussa la guerre
Des Aquilons impétueux;
Inébranlable et fastueux,
Il foulait le sein de la terre ;
Son front brûlé par le tonnerre

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