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préviennent l'indigence; elles essuient les larmes des malheureux; elles brisent les chaînes des captifs; elles raffermissent la vertu chancelante; elles peuplent les déserts; elles redonnent la fertilité aux campagnes abandonnées; elles ne rappellent pas du tombeau les Lazares ensevelis depuis quatre jours, mais elles empêchent les Lazares mourants d'y descendre.

Ainsi le riche miséricordieux n'est pas simplement un homme, c'est la Providence elle-même rendue visible, et appliquée d'une manière sensible au bonheur du monde.

(Sermons.)

Né avec une heureuse imagination, cet orateur cultiva d'abord la poésie et l'éloquence, et remporta deux fois le prix de poésie à l'Académie des Jeux-Floraux: mais il renonça à cette carrière pour suivre celle de la chaire, et il prêcha avec succès à Paris et dans les provinces. Il fut quelque temps prédicateur du roi. "L'abbé Poule s'est fait remarquer par une imagination vive et brillante, qui lui a fourni, dans quelquesuns de ses discours, de très-beaux mouvements oratoires: il éblouit plus qu'il ne persuade, mais il entraîne; dans certains moments, par la vivacité des tours et des figures." (La Harpe.) Ce qu'on lui reproche, c'est une abondance qui va quelquefois jusqu'à la prolixité. Ses Sermons, dont une édition fut publiée à Lyon (1818) en 2 volumes, ont dû perdre beaucoup à l'impression, car il ne les écrivait jamais; ce fut avec peine qu'on le décida par la suite à les écrire pour la publication.

ROUSSEAU

(Jean-Jacques), né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778.

L'Immatérialité de l'Ame.

Plus je rentre en moi, plus je me consulte, et plus je lis ces mots écrits dans mon âme: Sois juste, et tu seras heureux! Il n'en est rien pourtant, à considérer l'état présent des choses: le méchant prospère, et le juste reste opprimé. Voyez aussi quelle indignation s'allume en nous quand cette attente est frustrée la conscience s'élève et murmure contre son auteur; elle lui crie en gémissant: "Tu m'as trompé !"

"Je t'ai trompé, téméraire ! qui te l'a dit? Ton âme est-elle anéantie? as-tu cessé d'exister? ô Brutus! ô mon fils! ne souille point ta noble vie en la finissant: ne laisse point ton espoir et ta gloire avec ton corps aux champs de Philippes. Pourquoi dis-tu, la vertu n'est rien, quand tu vas jouir du prix

de la tienne? Tu vas mourir, penses-tu; non, tu vas vivre, et c'est alors que je tiendrai tout ce que je t'ai promis."

On dirait, aux murmures des impatients mortels, que Dieu leur doit la récompense avant le mérite, et qu'il est obligé de payer leur vertu d'avance. Oh! soyons bons premièrement, et puis nous serons heureux. N'exigeons pas le prix avant la victoire, ni le salaire avant le travail. Ce n'est point dans la lice, disait Plutarque, que les vainqueurs de nos jeux sacrés sont couronnés, c'est après qu'ils l'ont parcourue.

Si l'âme est immatérielle, elle peut survivre au corps; et, si elle lui survit, la Providence est justifiée. Quand je n'aurais d'autre preuve de l'immatérialité de l'âme, que le triomphe du méchant et l'oppression du juste en ce monde, cela seul m'empêcherait d'en douter. Une si choquante dissonance dans l'harmonie universelle me ferait chercher à la résoudre. Je me dirais "Tout ne finit pas pour moi avec la vie ; tout rentre dans l'ordre à la mort."

(Emile.)

L'Evangile.

La majeste des Écritures m'étonne; la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes avec toute leur pompe; qu'ils sont petits près de celui-là ! Se peut-il qu'un livre, à la fois si sublime et si sage, soit l'ouvrage des hommes! Se peut-il que celui dont il fait l'histoire ne soit qu'un homme lui-même ? Est-ce là le ton d'un enthousiaste ou d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur! quelle pureté dans ses mœurs! quelle grâce touchante dans ses instructions! quelle élévation dans ses maximes! quelle profonde sagesse dans ses discours! quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, - souffrir et mourir, sans faiblesse et sans ostentation? Quand Platon peint son juste imaginaire couvert de tout l'opprobre du crime, et digne de tous les prix de la vertu, il peint trait pour trait Jésus-Christ; la ressemblance est si frappante, que tous les Pères l'ont sentie, et qu'il n'est pas possible de s'y tromper.

Quels préjugés, quel aveuglement ne faut-il point avoir pour oser comparer le fils de Sophronisque au fils de Marie! Quelle distance de l'un à l'autre ! Socrate mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu'au bout son personnage; et si cette facile mort n'eût honoré sa vie, on dou

terait si Socrate, avec tout son esprit, fût autre chose qu'un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale; d'autres, avant lui, l'avaient mise en pratique; il ne fit que dire ce qu'ils avaient fait; il ne fit que mettre en leçons leurs exemples.

Aristide

la

avait été juste avant que Socrate eût dit ce que c'était que justice. Léonidas était mort pour son pays avant que Socrate eût fait un devoir d'aimer la patrie. Sparte était sobre avant que Socrate eût loué la sobriété ; avant qu'il eût loué la vertu, la Grèce abondait en hommes vertueux. Mais où Jésus avait-il pris chez les siens cette morale élevée et pure, dont lui seul a donné les leçons et l'exemple? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fit entendre, et la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu'on puisse désirer; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé, maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate, prenant la coupe empoisonnée, bénit celui qui la lui présente et qui pleure. Jésus, au milieu d'un affreux supplice, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. (Emile.)

Lever du Soleil.

On le voit s'annoncer de loin par des traits de feu qu'il lance au-devant de lui. L'incendie augmente, l'orient paraît tout en flammes à leur éclat, on attend l'astre long-temps avant qu'il se montre; à chaque instant on croit le voir paraître : on le voit enfin. Un point brillant part comme un éclair, et remplit aussitôt tout l'espace; le voile des ténèbres s'efface et tombe; l'homme reconnaît son séjour, et le trouve embelli. La verdure a pris, durant la nuit, une vigueur nouvelle; le jour naissant qui l'éclaire, les premiers rayons qui la dorent, la montrent couverte d'un brillant réseau de rosée, qui réfléchit à l'œil la lumière et les couleurs. Les oiseaux en chœur se réunissent et saluent de concert le père de la vie : en ce moment pas un seul ne se tait. Leur gazouillement, faible encore, est plus lent et plus doux que dans le reste de la journée : il se sent de la langueur d'un paisible réveil. Le concours de tous ces objets porte aux sens une impression de fraîcheur qui semble pénétrer jusqu'à l'âme. Il y a là une demi-heure d'enchantement auquel nul homme ne résiste: un spectacle si grand, si beau, si délicieux, n'en laisse aucun de sang-froid.

(Emile.)

Le Duel

Gardez-vous de confondre le nom sacré de l'honneur avec ce préjuge féroce qui met toutes les vertus à la pointe d'une épée, et n'est propre qu'à faire de braves scélérats.

En quoi consiste ce préjugé ? Dans l'opinion la plus extravagante et la plus barbare qui entra jamais dans l'esprit humain, savoir, que tous les devoirs de la société sont suppléés par la bravoure; qu'un homme n'est plus fourbe, fripon, calomniateur; qu'il est civil, humain, poli, quand il sait se battre, que le mensonge se change en vérité, que le vol devient légitime, la perfidie honnête, l'infidélité louable, sitôt qu'on soutient tout cela le fer à la main; qu'un affront est toujours bien réparé par un coup d'épée, et qu'on n'a jamais tort avec un homme, pourvu qu'on le tue. Il y a, je l'avoue, une autre sorte d'affaire où la gentillesse se mêle à la cruauté, et où l'on ne tue les gens que par hasard; c'est celle où l'on se bat au premier sang! Au premier sang! grand Dieu! Et qu'en veux-tu faire de ce sang, bête féroce? le veux-tu boire ?

Les plus vaillants hommes de l'antiquité songèrent-ils jamais à venger leurs injures personnelles par les combats particuliers? César envoya-t-il un cartel à Caton, ou Pompée à César, pour tant d'affronts réciproques? Et le plus grand capitaine de la Grèce fut-il déshonoré pour s'être laissé menacer d'un bâton? D'autres temps, d'autres mœurs, je le sais ; mais n'y en a-t-il que de bonnes, et n'oserait-on s'enquérir si les mœurs d'un temps sont celles qu'exige le solide honneur ? Non, cet honneur n'est point variable, il ne dépend ni des temps, ni des lieux, ni des préjugés ; il ne peut ni passer, ni renaître, il a sa source éternelle dans le cœur de l'homme juste et dans la règle inaltérable de ses devoirs. Si les peu

ples les plus éclairés, les plus braves, les plus vertueux de la terre, n'ont point connu le duel, je dis qu'il n'est point une institution de l'honneur, mais une mode affreuse et barbare, digne de sa féroce origine.

L'homme droit, dont toute la vie est sans tache, et qui ne donna jamais aucun signe de lâcheté, refusera de souiller sa main d'un homicide, et n'en sera que plus honoré. Toujours prêt à servir la patrie, à protéger le faible, à remplir les devoirs les plus dangereux, et à défendre en toute rencontre juste et honnête, ce qui lui est cher, au prix de son sang, il met dans ses démarches cette inébranlable fermeté qu'on n'a point sans le vrai courage. Dans la sécurité de sa conscience, il marche la tête levée, il ne fuit ni ne cherche son ennemi. On

voit aisément qu'il craint moins de mourir que de mal faire, et qu'il redoute le crime et non le péril. Si les vils préjugés s'élèvent un instant contre lui, tous les jours de son honorable vie sont autant de témoins qui les récusent; et, dans une conduite si bien liée, on juge d'une action sur toutes les autres.

Les hommes si ombrageux et si prompts à provoquer les autres, sont pour la plupart de malhonnêtes gens, qui, de peur qu'on n'ose leur montrer ouvertement le mépris qu'on a pour - eux, s'efforcent de couvrir de quelques affaires d'honneur l'infamie de leur vie entière.

Tel fait un effort et se présente une fois, pour avoir le droit de se cacher le reste de sa vie. Le vrai courage a plus de constance et moins d'empressement; il est toujours ce qu'il doit être, il ne faut ni l'exciter ni le retenir : l'homme de bien le porte partout avec lui; au combat, contre l'ennemi; dans un cercle, en faveur des absents et de la vérité; dans son lit, contre les attaques de la douleur et de la mort. La force de l'âme qui l'inspire est d'usage dans tous les temps: elle met toujours la vertu au-dessus des événements, et ne consiste pas à se battre, mais à ne rien craindre.

Les Enfants.

(Nouvelle Héloise.)

Les petites filles presque en naissant aiment la parure: non contentes d'être jolies, elles veulent qu'on les trouve telles; on voit dans leurs petits airs que ce soin les occupe déjà, et à peine sont-elles en état d'entendre ce qu'on leur dit, qu'on les gouverne en leur parlant de ce qu'on pensera d'elles.

Les enfans des deux sexes ont beaucoup d'amusemens communs, et cela doit être. Ils ont aussi des goûts propres qui les distinguent. Les garçons cherchent le mouvement et le bruit; des tambours, des sabots, de petits carosses: les filles aiment mieux ce qui donne dans la vue et sert à l'ornement; des miroirs, des bijoux, des chiffons, surtout des poupées; la poupée est l'amusement spécial de ce sexe.

Voyez une petite fille passer la journée autour de sa poupée, lui changer sans cesse d'ajustement, l'habiller, la déshabiller cent et cent fois; chercher continuellement de nouvelles combinaisons d'ornemens, bien ou mal assortis, il n'importe les doigts manquent d'adresse, le goût n'est pas formé, mais déjà le penchant se montre; dans cette éternelle occupation le temps coule sans qu'elle y songe; les heures passent, elle n'en sait rien; elle oublie les repas mêmes, elle a plus faim de

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