Page images
PDF
EPUB

hommage au mérite de Corneille. Quoique pensionnaire de Richelieu, ce poète refusa de joindre la ligue formée contre l'auteur du Cid. Le style de Rotrou est loin d'être parfait, mais il est infiniment plus pur, plus correct et plus noble que celui d'aucun de ses prédécesseurs dans la même carrière, et il mit plus d'ordre, de régularité et de décence dans ses pièces; aussi sont-elles presque les seules de cette époque, excepté celles de Corneille, qui aient un caractère classique, ce qui n'est pas un petit honneur, si l'on considère qu'il y a eu plus de cinquante poêtes français, depuis Malherbe jusqu'à lui. Il a donné plus de quarante pièces, comédies et tragédies, dont deux seulement, Cosroës et Venceslas, revues et corrigées par Marmontel, sont restées au théâtre.

Rotrou descendait d'une famille ancienne fort respectée, et il eut luimême beaucoup d'amis. Il occupait un poste honorable dans la magistrature de sa ville, lorsque ce pays fut affligé de la peste, et il mourut de cette contagion. Sa mort fut honorable par le dévouement qu'il montra en cette occasion; les remontrances et les plus pressantes supplications de ses parents et de ses amis, pour l'engager à fuir, furent inutiles; il dit que son devoir ne lui permettait point de quitter son poste au moment où ses concitoyens avaient le plus grand besoin de ses services: aussi fut-il vivement regretté.

Euvres complètes, 5 vol. in-octavo, Paris, 1820.

MÉZERAY

(FRANÇOIS EUDES DE), naquit à Ry (Seine-Inf.) en 1610, et mourut à Paris en 1683.

Jeanne d'Arc sur le bucher.

Eh bien êtes-vous à la fin de vos souhaits? m'avez-vous enfin amenée à un endroit où vous pensez que je ne vous serai plus redoutable? làches que vous êtes, qui avez eu peur d'une fille, et qui, n'ayant pu être soldats, êtes devenus bourreaux; impies et impitoyables, qui vous efforcez en vain de combattre contre Dieu, dites-moi, pensez-vous par votre tyrannie détourner les secrets de sa toute-puissance ? Ne restait-il plus, pour comble à votre orgueil et à vos injustices, qui veulent, en dépit de la Providence divine, ravir la couronne de France au légitime héritier, que de faire mourir une innocente prisonnière de guerre par un supplice digne de votre cruauté ? Celui même qui m'a donné la force de vous châtier en tant de rencontres, de vous chasser de tant de villes, et de vous mener battant aussi facilement que j'ai mené autrefois un troupeau de moutons, m'a encore, par sa divine bonté, donné le courage de craindre aussi peu vos flammes que j'ai redouté vos épées. Vous ne me faites point injure, parce que je suis disposée à tout souffrir pour sa gloire; mais, votre crime s'élevant contre

sa majesté, vous sentirez bientôt la pesanteur de sa justice, dont je n'étais qu'un faible instrument. De mes cendres naîtront vos malheurs et la punition de vos crimes. Ne vous mettez pas dans l'esprit qu'avec moi la vengeance de Dieu soit étouffée; ces flammes ne feront qu'allumer sa colère, qui vous dévorera; ma mort vous coûtera deux cent mille hommes, et, quoique morte, je vous chasserai de Paris, de la Normandie, et de la Guienne, où vous ne remettrez jamais le pied. Et, après que vous aurez été battus en mille endroits et chassés de toute la France, vous n'emporterez avec vous en Angleterre que la colère divine, qui, vous poursuivant toujours sans relâche, remplira votre pays de beaucoup plus grandes calamités, meurtres et discordes, que votre tyrannie n'en a fait naître dans ce royaume; et sachez que vos rois perdront le leur avec la vie pour avoir voulu usurper celui d'autrui. C'est le Dieu des armées, protecteur des innocents et sévère vengeur des outrages, qui vous l'annonce par ma bouche.* (Hist. de France.)

C'est ici un des plus anciens et des meilleurs historiens français. Fils d'un médecin, il fit ses études au collège de Caen, où il montra de grandes dispositions pour la poésie; il publia des vers français et des vers latins qui le firent regarder comme un poète de mérite. Arrivé à Paris, il se livrait depuis quelque temps à l'étude de l'histoire, lorsqu'il fut nommé commissaire de la guerre, place qu'il occupa pendant deux ou trois campagnes, et se retira pour continuer ses recherches historiques. Encouragé par Richelieu, il publia son Histoire de France, en 3 volumes in-folio, et le roi lui accorda une pension de 4000 livres, avec le titre d'historiographe de France. Son Abrégé chronologique de l'Histoire de France parut en 1668, ouvrage aussi estimé que le précédent; mais l'historien y ayant parlé des impots d'une manière un peu sévère pour le gouvernement, Colbert en fut offensé, et Mézeray perdit sa pension. Ce fut lui qui obtint la place devenue vacante par la mort de Voiture à l'Académie, dont il fut nommé secrétaire perpétuel en 1675.

Dans le commerce de la vie, Mézeray était juste, sincère, plein de droiture et de probité, mais naturellement d'une humeur sévère et satirique; et cette disposition, comme le dit La Harpe, se fait sentir même dans ses écrits. Comme historien, ennemi de toute flatterie, il fut toujours consciencieux, indépendant et vrai; et, quoiqu'il soit tombé dans quelques erreurs qu'on a relevées depuis, il occupe un rang distingué parmi les historiens, et on le lit toujours avec plaisir: il juge très-bien les hommes et les choses. Son style, quoique un peu diffus, est naturel, hardi, énergique, vigoureux, comme celui de Tacite; mais il est souvent négligé, défaut d'ailleurs commun aux écrivains de la même époque. C'est dans ses harangues surtout qu'il a égalé les grands maîtres de l'antiquité.

Ses autres ouvrages sont: un Traité de l'origine des Français; un Traité de la Vérité de la religion, traduit de Grotius; l'Histoire de la mère et du fils (Marie de Médicis et Louis XIII.); la Vanité de la cour,

etc.

* Après avoir été traînée de prison en prison, Jeanne d'Arc fut enfin conduite à Rouen, et là elle fut condamnée à mort et brûlée comme sorcière, le 31 mai 1431. (N. E.)

SCARRON

(PAUL), né à Paris en 1610, mort dans la même ville en 1660.

Sonnet.

Superbes monumens de l'orgueil des humains,
Pyramides, tombeaux, dont la vaine structure
A témoigné que l'art, par l'adresse des mains
Et l'assidu travail, peut vaincre la nature;

Vieux palais ruinés, chefs-d'œuvre des Romains,
Et les derniers efforts de leur architecture;
Colysée, où souvent ces peuples inhumains
De s'entr'assassiner se donnaient tablature;

Par l'injure des ans vous êtes abolis,
Ou du moins la plupart vous êtes démolis.

Il n'est point de ciment que le Temps ne dissoude.

Si vos marbres si durs ont senti son pouvoir,
Dois-je trouver mauvais qu'un méchant pourpoint noir
Qui m'a duré deux ans, soit percé par le coude ?

Forcé par son père d'embrasser l'état ecclésiastique, Scarron renonça bientôt à ce genre de vie tout-à-fait incompatible avec son caractère gai et mondain. Il aimait les plaisirs à la folie, et s'y livra avec tant d'excès qu'il ruina sa santé: il devint perclus de tous ses membres. Il avait de la fortune, mais il eut bientôt dissipé tout ce qu'il possédait, et fut réduit à vivre du produit de ses écrits et d'une pension de la cour. Toujours gai malgré ses infirmités et sa pauvreté, il réunissait chez lui la meilleure société de la capitale. Mlle. d'Aubigné, devenue si célèbre sous le nom de Mme. de Maintenon, lui plut et il l'épousa. Lorsqu'il fut question de dresser le contrat de mariage, Scarron dit qu'il reconnaissait à l'accordée "deux grands yeux fort mutins, un très-beau corsage, une paire de belles mains, et beaucoup d'esprit." Le notaire demanda quel douaire il assurait: "l'immortalité, répondit Scarron, le nom des femmes des rois meurt avec elles; celui de la femme de Scarron vivra éternellement." meilleur ouvrage de cet auteur, et celui qu'on lit encore aujourd'hui avec plaisir, est son Roman comique; il est bien écrit, et il y règne une gaité vraiment rare. Ses autres productions sont des comédies; deux poèmes burlesques, la Gigantomachie et l'Enéide travesti ; des Epîtres, des Odes, des Chansons, des Sonnets, etc.

Le

LA ROCHEFOUCAULD

(FRANÇOIS, DUC DE), né en 1613 et mort en 1680, à Paris.

Réflexions Morales.

L'amour-propre est le plus grand des flatteurs.

La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir, mais les maux présens triomphent d'elle.

Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune que le mauvaise.

Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres. Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.

Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donné l'orgueil pour nous épargner la douleur de connaître nos imperfections.

Ceux qui s'appliquent trop aux petites choses, deviennent ordinairement incapables des grandes.

La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l'esprit.

Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement.

On ne donne rien aussi libéralement que des conseils.

Il est aussi facile de se tromper soi-même, sans s'en apercevoir, qu'il est difficile de tromper les autres sans qu'ils s'en aperçoivent.

On n'est jamais si aisément trompé, que quand on songe à tromper les autres. La finesse est la marque d'un petit esprit. On parle peu quand la vanité ne fait pas parler. Bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu'on puisse avoir dans la conversation.

C'est le caractère des grands esprits de faire entendre en peu de paroles beaucoup de choses; les petits esprits, au contraire, ont le don de parler beaucoup, et de ne rien dire.

Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer.

La jeunesse est une ivresse continuelle: c'est la fièvre de la raison.

On ne doit pas juger du mérite d'un homme par ses grandes qualités, mais par l'usage qu'il en sait faire.

On est quelquefois sot avec de l'esprit; mais on ne l'est jamais avec du jugement.

Le travail du corps délivre des peines de l'esprit, et c'est ce qui rend les pauvres heureux.

L'humanité est l'autel sur lequel Dieu veut qu'on lui offre des sacrifices.

La sagesse est à l'ame ce que la santé est pour le corps. Un véritable ami est le plus grand de tous les biens, et celui de tous qu'on songe le moins à acquérir.

On ne se blâme que pour être loué.

Il n'est jamais plus difficile de bien parler que quand on a honte de se taire.

Il est plus difficile de dissimuler les sentimens que l'on a, que de feindre ceux qu'on n'a pas.

Il est plus honteux de se défier de ses amis que d'en être trompé.

Le vrai moyen d'être trompé, c'est de nous croire plus fins que les autres.

Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien. L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Le trop grand empressement qu'on a de s'acquitter d'une obligation est une espèce d'ingratitude.

Ce n'est pas un grand malheur d'obliger des ingrats; mais c'en est un insupportable d'être obligé à un malhonnête homme. Louer les princes des vertus qu'ils n'ont pas, c'est leur dire impunément des injures.

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.

Le plus grand défaut de la pénétration n'est pas de n'aller point jusqu'au but, c'est de le passer.

Nos actions sont comme les bouts-rimés, que chacun fait rapporter à ce qui lui plaît.

L'esprit nous sert quelquefois à faire hardiment des sottises. Rien n'empêche tant d'être naturel que l'envie de le paraître. Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d'essayer de paraître ce que nous ne sommes pas.

Doué d'un esprit pénétrant, ce moraliste se fit de bonne heure une étude du cœur humain. Ayant été entraîné dans les troubles politiques de son temps, il vit les hommes dans toute l'effervescence des passions, ce qui lui fournit l'occasion de les mieux juger. Dès que les querelles de la Fronde furent finies, il ne songea plus qu'à jouir des doux plaisirs de l'amitié et de la littérature: sa maison devint le rendez-vous de tout ce que Paris et Versailles avaint de plus distingué en mérite. Les Racine, les Boileau, les Sévigné et les Lafayette trouvaient dans sa conversation des agréments qu'ils cherchaient vainement ailleurs. Mme. de Maintenon disait de lui, qu'elle n'avait jamais connu d'ami plus solide, plus ouvert, ni de meilleur conseiller. Ses Réflexions et Maximes, qui lui ont donné une si grande célébrité, portent toutes sur une seule vérité, c'est que l'amourpropre est le mobile de toutes nos actions. Quelque jugement qu'on porte de cet ouvrage, on sera forcé de convenir qu'il est un des livres originaux du siècle de Louis XIV, et le premier modèle de ce style précis qui fortifie la pensée en la resserrant.—1 vol. in-8vo, 1825.

2

« PreviousContinue »