Page images
PDF
EPUB

d'ufage; & l'on admire fouvent ces tours, quoiqu'on n'y trouve pas une exacte construction.

Ne contraignons point les habiles Poëtes, ni même les habiles Orateurs à fuivre timidement une syntaxe timide. C'est à eux à parler en mattres. Les régles font établies pour qu'on écrive bien; ceux qui fçavent bien écrire n'ont pas befoin d'elles. Eft quædam negligentia diligens, dit Ciceron. Ce qu'on croit faute eft quelquefois ce que le même Ciceron appelle non ingratam negligentiam bominis de re magis quàm de verbis laboran tis. C'est ce que je pourrois prouver par un grand nombre d'exemples tirés des Oraifons Funébres de M. Boffuet; mais pour ne point quitter les Poëtes, ce Vers d'Hermione, dans Andromaque,

Je t'aimois inconftant, qu'aurois-je fait fidelle? celui de Mithridate,

Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.

& celui de Malherbe, que Boileau répétoit fouvent dans fa vieilleffe,

Je suis vaincu du tems, je céde à fes outrages.

feroient tous trois moins beaux, s'ils étoient plus réguliers. Les hardieffes, qui fans ôter à la phrafe fa clarté, la rendent plus vive, font favorables dans la Poesie, qui rejette fouvent l'exactitude grammaticale. Ce n'eft pas que je veuille que la langue Poëtique foit fans régles. Le principe de Boileau eft certain,

Sans la langue, en un mot, l'Auteur le plus divin Eft toujours, quoi qu'il faffe, un méchant Ecrivain.

On

On doit obéir aux régles; mais cette obéiffance n'eft point un efclayage pour ceux qui cherchent à plaire dans une langue vivante, parce que tant qu'elle eft foumise à l'ufage, elle peut recevoir des exceptions à fes régles, & qu'elle les reçoit fur tout des Auteurs, qui l'ayant étudiée avec foin, fe font acquis fur elle une efpéce d'autorité dont ils n'ufent qu'à fon avantage; & quand nous jugeons ces Auteurs fur la feule rigueur des régles, il nous arrive fouvent de condamner ce qui n'est pas condamnable.

Je ne puis, à cette occafion, me difpenfer de parler de deux Ouvrages connus; le rapport qu'ils ont à cette matiere m'y oblige.

S. Obfervations fur le Livre intitulé, Notes Grammaticales fur les Tragédies de R. & fur la Réponfe à ce Livre, intitulée, R. vengé.

LORSQUE le premier Ouvrage parut, quelques Lecteurs furent étonnés qu'un Poëte, dont ils avoient entendu vanter la pureté de ftile, eût cependant donné lieu à tant de Notes critiques. Les

is me dirent qu'il étoit de mon devoir de pren. dre fa défense; les autres, au contraire, foutinrent que je ne pouvois me charger de cette cause, parce qu'il s'agiffoit, difoient-ils, d'un Auteur qu'il ne m'étoit permis ni de louer, ni de reprendre.

Ce dernier fentiment feroit vrai, fi fes Tragé dies n'étoient exposées au jugement du Public que depuis quelques années: comme le fuccès en fe roit encore incertain, ce feroit à moi à l'attendre en filence; mais aujourd'hui le jugement eft prononcé, & lorfque des Ouvrages d'efprit vivent a vec gloire depuis quatre-vingts ans,

Andromaque fut jouée en 1668,

on ne doit

plus

[ocr errors]

plus douter qu'ils ne foient du petit nombre de ceux que le tems a marqué du fceau de fon approbation. Il ne s'agit donc plus d'examiner fi ces Tragédies font dignes d'ettime ou non: le tems, ce fouverain juge, a fait cet examen; ainfi je puis, comme un autre, remarquer les beautés qui ont rendu leur fuccès constant; & je puis auffi remarquer, à ce que je crois, puifqu'aucune production de l'esprit humain n'est parfaite, ces fautes legeres,

Quas aut incuria fudit,

Aut bumana parum cavit natura. Hor.

Ces fautes ne font point de tort à la réputation de l'Auteur; & loin que l'intention de M. l'Abbé d'Olivet ait été de la diminuer, l'exactitude avec laquelle il fuit cet Auteur pas à pas, prouve l'eftime qu'il en fait.

Le fils de Ciceron, qui n'eft connu que par la violence qu'il exerça contre un homme qui parloit mal de fon pere, fut d'autant plus condamnable en cette occafion, qu'on ne doit jamais s'offenfer des difcours d'un ennemi méprifable. Les jugemens dictés par la jaloufie, ou par l'ignoran. ce, ne peuvent nuire aux bons Ouvrages, qui reçoivent au contraire un nouveau luftre des cri tiques les plus féveres, quand elles font éclairées.

Si nos célébres Auteurs revenoient parmi nous, charmés de voir toujours leurs Ecrits entre nos mains, quel plaifir auroient-ils de fe voir cités encore au tribunal de la Critique? Ils fe foumettroient fans peine à des cenfures où l'envie n'a plus de part, comine à la naiffance de ces Ouvra. ges; & ils avoueroient des négligences que peut-être ils n'ofoient avouër pendant leur vie, quoiqu'en fecret ils s'en fiffent des reproches.

Tom. V.

E

Les

Les grands hommes font ceux qui apperçoivent le mieux leurs fautes, & qui fe les pardonnent le moins. Les critiques que je crains le plus, font celles que je me fais à moi même, difoit Boileau. Ce lui qui approche le plus près de la perfection, voit mieux que les autres ce qui lui manqué pour y atteindre; & comme il travaille toujours pour y arriver, il est toujours mécontent de lui-même. Virgile, en mourant, condamna au feu un Ouvrage admirable à nos yeux, & imparfait aux fiens. Ovide fe plaint de ce qu'on lui a enlevé fes Métamorphofes fans lui laiffer le tems d'y mettre la derniere main. Le Taffe corrigeoit fans ceffe fa Jérufalem; & emporté même par un excès de févérité, il défigura fon Poëme, en voulant y apporter une trop grande réforme. La mort empêcha l'Ariofte d'exécuter le deffein qu'il avoit de corriger fon Roland. Sannazar, qui étoit, fuivant l'Auteur de fa vie, Lucubrationum fuarum triftis ac morofus cenfor, laiffa vingt ans fous la lime fon Poëme de partu Virginis. Dans les examens que Corneille a fait de fes Tragé dies, on voit par les endroits qu'il s'attache à juftifier, qu'il eft comme ces peres qui parlent avec avantage de ceux de leurs enfans, dont ils font quelquefois le moins contens, & qui par une tendreffe naturelle cherchent à en cacher les défauts. Les Notes Grammaticales de M. l'Abbé d'Olivet auroient été moins nombreuses, fi nous n'avions pas perdu un exemplaire des Tragédies qu'il a critiquées: cet exemplaire, que l'Auteur avoit rempli de corrections, fut brulé par fon ordre quelque tems avant fa mort: il crut devoir faire alors à la Religion le facrifice d'un travail qui n'avoit pour objet qu'une gloire frivole. Il ne fut jamais du nombre de ceux que l'amour propre aveugle fur leurs productions, puifque dans fa jeuneffe il facrifia à une fage réflexion de Boi

[ocr errors]

leau

leau une Scéne entiere de Britannicus, quoique cette Scéne, qui n'a jamais été imprimée, & que je rapporterai dans une autre occafion, répondit par les fentimens & par la verfification au refte de la Tragédie.

Soyons donc perfuadés que rien n'est parfait, & que l'attention continuelle que les Ecrivains, jaloux de leur réputation, donnent aux différentes parties de leurs Ouvrages, eft caufe qu'occupés uniquement des chofes importantes, ils laiffent quelquefois échapper des fautes de ftile. Dans le même Ouvrage où Boileau recommande un fi grand refpect pour la langue, en déclarant que la pompe d'un Vers n'excufe pas un follécifme, il en laiffa lui-même fubfifter un, dont pendant tren. te ans, ni fes amis, ni fes ennemis ne s'apperçurent. Au-lieu de dire que vos mœurs peintes dans vos Ouvrages, il avoit laiffé fubfifter dans toutes les éditions, que votre ame & vos mœurs peints dans tous vos Ouvrages.

Convaincu de ces négligences qui échappent aux Ecrivains les plus attentifs, lorfque M.T'Abbé Desfontaines oppofa à M. l'Abbé d'Olivet fa Réponse intitulée R. vengé, malgré toute la reconnoiffance que je lui devois, il me parut un défenfeur quelquefois trop zélé, & je trouvai que ces deux adverfaires alloient trop loin, que l'un critiquoit avec trop de févérité, & que l'autre juftifioit avec trop d'indulgence. Heureux fans doute les Ecrits qui, filong tems après leur naiffance, méritent un pareil critique, & un pareil vengeur. Je crois auffi que, fans faire aucun tort à ces mêmes Ecrits, on y peut reconnoître quelques petites fautes, comme dans ces Vers.

Ne vous informez pas ce que je deviendrai....

E 2

Mais

« PreviousContinue »