Page images
PDF
EPUB

tent une fumée pareille à celle de l'eau qui boût fur un brafier: fon baleine allume les charbons, & la famine marche devant lui. Cette description poëtique nous fait connoître jufqu'où les Orientaux pouffent l'Hyperbole & la Métaphore.

Chardin, qui dans fes Voyages foutient que la Poëfie eft le talent des Perfans, & la partie de la Litterature dans laquelle ils excellent, rapporte quelques endroits de Sadhy, leur fameux Poëte. On y trouve cette même hardieffe de Métaphore. Selon lui, Dieu met à l'un la couronne fur la tête, jette l'autre dans la boue; pare l'un d'un manteau de félicité, couvre l'autre d'un fac de malbeur, du bout du doigt porte le foleil d'Orient en Occident, d'un fouffle fait voguer les grands navires, & de l'abime du néant fait revenir dans les plaines de l'être.

§. III. De la Comparaison.

NOTRE imagination, moins vive que celle des Orientaux, emploie cette figure avec plus de ménagement. Un amas de comparaifons entaffées les unes fur les autres nous fatigueroit. Rouffeau, dans fa belle Imitation du Cantique d'Ezéchias, ne rend pas non plus toutes celles de l'Original, dont quelques-unes ne feroient pas de notre goût. Nous ne dirions pas, ma vie eft roulée, comme la tente que roule un berger pour l'emporter. Le fil de mes jours eft coupé par le Seigneur, comme le fil de la toile eft coupé par le tillerand. Le même Poëte, dans fon Imitation du Pf. 18. n'a pu ren. dre dans toute leur étendue les deux comparaifons qui peignent dans l'Original le lever & la marche du Soleil. Cet aftre paffe la nuit dans la tente que Dieu a dreffée pour lui à une extrémité du Ciel. Le matin il en fort, comme un époux brillant fort de fa couche; enfuite il part d'une extrémité du Ciel pour arriver à l'autre, comme une athléte qui vient dispu

D 2

ter

ter le prix de la courfe, & entrer en lice. Quelque majestueufes que foient ces comparaifons, elles le font moins pour nous que pour les Hébreux, parce qu'elles n'ont plus rien de conforme à nos coutumes.

Les Poëtes tirent ordinairement leurs images des objets qui leur font les plus familiers. C'est par cette raison que dans la Poëfie des Hébreux, les montagnes, les cédres, les taureaux, les tentes, & tous les objets de la campagne, fournissent fi souvent des images. La Poëfie d'Homere eft admirable par le nombre & la variété des comparaifons: il femble qu'Homere mette à contribution toute la Nature, pour qu'elle lui fourniffe à tout moment de nouveaux objets. Ceux qui lui reprochent de trop étendre les comparaifons, & de les charger de détails inutiles, ne font pas attention que dans les récits que fait le Poëte, il peut s'arrêter à ces détails. Une comparaison est un tableau qu'il préfente, & pourvu que les principales figures du tableau ayent avec l'objet un jufte rapport, le rapport exact des autres parties du tableau n'eft pas néceffaire. Le Peintre ajoûte des objets qui ne fervent que d'ornemens.

C'eft avec la même injuftice qu'on reproche à Virgile la baffeffe de quelques-unes de fes comparaifons i les choifit à deffein pour délaffer le Lecteur par la variété des objets. Quand il parle de grandes chofes, il tire fes comparaifons de chofes très-fimples qu'il ennoblit par l'expreflion; il compare les travaux immenfes d'un peuple qui bâtit une ville, aux travaux des abeilles. Mais quand il parle de petites chofes, il tire fes comparaifons des plus grands objets, & il compare les abeilles aux Cyclopes.

Les comparaifons étant employées pour répan dre plus de lumiere, elles font trés-condamnables quand elles font obfcures, & ce défaut eft com

mun

mun à celles de Milton, qui d'ailleurs défigne fouvent les chofes par des périphrafes que les Sçavans feuls peuvent entendre. Lorfqu'il compare la matiere du Soleil à l'or potable; en comparant ensemble deux objets inconnus, il appelle l'or potable, cette compofition que les Philofopbes cherchent vainement, quoiqu'ils ayent pouffé le grand art jufqu'à fixer le mercure volatile, & qu'ils faffent fortir de l'Océan, fous des formes différentes, le vieux Protée deffécbé.

Non feulement les objets comparés doivent être connus, mais leurs rapports, doivent l'être auffi; & quels rapports peut-on trouver dans cette comparaison que va chercher le Taffe Chant XVII? De même, dit-il, qu'un Muficien, avant le concert, prélude à baffe voix pour difpofer les oreil les de l'auditeur à l'harmonie; de même Armide avant que de parler à Renaud, prélude par des foupirs, pour le difpofer à entendre fes reproches. Tout eft faux dans cette comparaifon.

La jufteffe des rapports, toujours néceffaire, n'empêche pas que deux objets d'une nature toute différente ne puiffent être comparés ensemble, lorfque l'habileté du Poëte y fait trouver un rapport de fiction: ces comparaifons allégoriques font même plus agréables que les autres, parce qu'elles font moins attendues. On voit avec plaifir dans la Henriade la vertu toujours pure d'un homme qui vit à la Cour, comparée à cette fameuse fontaine qui coule dans la mer, au rapport des Poëtes, fans y perdre la douceur de fes eaux.

Jamais l'air de la Cour, & fon foufle infecté
N'altéra de fon cœur l'auftere pureté.
Belle Arethufe, ainfi ton onde fortunée
Roule au sein furieux d'Amphytrite étonnée,
Un crystal toujours pur, & des flots toujours clairs,
Que jamais ne corrompt l'amertume des mers...

D 3

L'im

L'immobilité d'un homme, qui, quoiqu'agité intérieurement à la vue d'un grand danger, pa. rolt tranquille, parce qu'il fonge au parti qu'il doit prendre, eft ingénieufement comparée par Homere, à ce calme qui regne fur la mer, malgré la noirceur qui fe répand fur fa furface, un moment avant l'orage. Iliade 14..

Neftor, que tant de maux frappent d'étonnement, "Immobile & muët, les contemple un moment. Ainfi lorfque les vents méditant le ravage, Pour forcer leur prifon réüniffent leur rage, Et font prêts à s'ouvrir un chemin dans les airs; Quoique dans cet inftant qui menace les mers, Une épaiffe noirceur couvre l'onde immobile, Son empire jamais ne parût plus tranquile. Les vents partent, la mer fe fouléve en fureur: Son empire eft celui du trouble & de l'horreur.

On fent affez que les comparaifons étendues ne peuvent trouver place dans la Tragédie, quoiqu'on en trouve dans les Tragédies Angloifes & Italiennes. Elles ne conviennent pas entre des perfonnes qui s'entretiennent: c'eft au Poëte à les faire, quand il parle lui-même, & quand il eft dans l'enthoufiafme. Quoiqu'Homere en foit fi prodigue, fa fageffe eft remarquable; il n'en met aucune dans le premier Livre de l'Iliade; il n'eft pas encore affez animé: mais dans la fuite, & fur-tout lorsqu'il décrit les combats, il les entaffe les unes fur les autres. Dans l'Odyffée, où il raconte tranquillement, on ne trouve prefque point de comparaifons, excepté dans le Livre 22. parce qu'il eft plein de combats. La comparaison qui orne infiniment la Poëfie Epique, convient auffi à l'enthoufiafme de la Poe fie Lyrique: une Ode peut commencer heureuse. ment par une double comparaison, comme celle

d'Ho

d'Horace L. 4. Qualem miniftrum fulminis alitem, &c. Boileau commence un Chant de l'Art Poëtique par une comparaison. Telle qu'une bergere aux plus beaux jours de fête, &c. & j'ai vu plufieurs perfonnes ne pas defapprouver ce début d'un Chant d'un autre Poëme.

Tel que brille l'éclair qui touche au même inftant Des portes de l'Aurore aux bornes du Couchant; Tel que le trait fend l'air fans y marquer fa trace, Tel & plus prompt encor part le coup de la Grace.

Je n'ai rapporté cet exemple, que parce que je n'en connois point d'autre, d'un Chant didactique, commençant par une double comparaison.

S. IV. Le ftile figuré eft, nécessaire à
toute Poefie.

Tous les Poëtes doivent pratiquer le confeil que leur donne Boileau.

De figures fans nombre égayez vos ouvrages,
Que tout y faffe aux yeux de riantes images.

Ce ftile de fiction qui doit regner dans les Poëmes de tout genre releve la féchereffe de la Poëfie didactique, comme je le ferai voir lorsque je parlerai des Poëmes de ce genre. C'eft par ce ftile plein d'images, qui fe trouve rarement dans Lucréce, & toujours dans Virgile, que tout parolt vivant dans les Géorgiques, de même que dans les Epitres d'Horace, où fans l'harmonie d'une verfification nombreufe nous trouvons une agréable Poësie. Les comparaifons étendues ne conviennent point à la Tragédie; mais les comparaisons abrégées, c'eft-à dire, les métaphores, y font néceffaires, & elle fait ufage de toutes les

D 4

figu

« PreviousContinue »