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Dans ces Vers, Britannicus eft le fils d'un Empereur; Agrippine eft la fille de ce Germanicus tant chéri des Romains; & Néron n'est que le fils d'un Enobarbus.

S. II. De la Métaphore.

C'EST par elle que tout eft vivant dans la Poëfie. Moïfe, non content de donner des armes à Dieu, donne du fentiment à fes armes.

Oui, ma colere enfin va punir leurs forfaits:
De leur fang criminel j'enivrerai mes traits:
Mon glaive, n'épargnant ni le fexe ni l'âge,
Sera raffafié de meurtre & de carnage. Deut. 32.

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Dans la Poëfie d'Homere, non feulement les fléches ont des aîles, l'ardeur de la vengeance les anime.

Et la fléche en furie, avide de fon fang,

Part, vole à lui, l'atteint, & lui perce le flanc.

Lorsque de tant de traits lancés contre Ajax, les uns percent fon bouclier, les autres tombent en chemin: ces derniers font en fureur.

Et fur la terre épars, de leur rage fruftrés
Ils demandent le fang dont ils font altérés.

L'Araxe paroît à Virgile indigné du pont que fait conftruire le vainqueur, pontem indignatus Araxes.

Cette hardieffe qui donne du fentiment aux êtres qui n'en ont point, eft ordinaire aux paffions; ce que n'ont point obfervé ceux qui ont critiqué ce Vers:

Le

Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

La douleur, difent-ils, ne cherche pas les or nemens. Ce n'eft pas non plus un ornement que cherche Téramène, il parle le langage de la douleur, qui lui fait croire que toute la nature a horreur comme lui de ce monstre.

Par ce ftile qui personifie tout, les chofes les plus communes deviennent nobles dans la bouche des Poëtes. Que de Poëfie Rouffeau employe pour faire entendre qu'on ne doit pas compter fur un de ces beaux jours qui femblent annoncer la fin de l'hyver! il s'adreffe à un arbriffeau.

Jeune & tendre arbriffeau, l'efpoir de ce verger,
Fertile nourriffon de Vertumne & de Flore,
Des fureurs de l'hiver redoutez le danger,
Et retenez vos fleurs qui s'empreffent d'éclore,
Séduites par l'éclat d'un beau jour passager.

Aux confeils il ajoute les exemples:

Imitez la fage Anémone;
Craignez Borée & ses retours;
Attendez que Flore & Pomone
Vous puiffent prêter leur fecours.
Philoméle eft encor muëtte;
Progné craint de nouveaux friffons,
Et la timide Violette

Se cache encor fous les gazons.

Le même Poëte nous préfente fouvent des métaphores qui nous furprennent par leur agréable nouveauté, comme quand il fait dire à un Rimeur qui fe vante de ne rien devoir aux Anciens;

Mon Apollon ne régle point fa note
Sur le clavier d'Horace & d'Ariftote.

Et

Et quand il lui dit:

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Trouveras-tu, raisonnons de fang froid,
Dans les tiroirs de ton génie étroit
Ces grands pinceaux? &c.

Tant d'autres exemples qu'on peut tirer de fes Ouvrages, prouvent que notre langue n'eft pas fi timide qu'on le croit, & que fa hardiesse dépend de l'habileté de ceux qui s'en fervent, comme je le ferai voir dans la fuite.

Il est vrai que certaines images peuvent être agréables dans une langue, & defgréables dans une autre; nous n'oferions pas donner des pieds au tonnerre, & dire à Dieu, comme Pindare:

Puiffant Maître des Cieux, dont les mains redouta. bles

Font rouler le tonnerre aux pieds infatigables.

Nous ne dirons point avec l'Auteur du Pfeaume 4. Mes larmes font mon pain: & ce Vers d'O. vide qui rend la même métaphore, cura, dolor• que animi, lacrimæque alimenta fuere, ne plairoit pas en notre langue: mes chagrins & mes pleurs furent mes alimens.

Nous faifons courir la flamme de l'amour dans les veines:

Je fens de veine en veine une fubtile flamme, &c. Boileau.

mais nous ne pouvons la faire couler jufques dans la moëlle des os, comme a fait Virgile, eft flam ma medullas; & ces expreffions d'une de nos Hymnes, totis amor æftuans medullis, ne peuvent être rendues littéralement en notre langue.

Telle image déplaît à un peuple, & plaît à un autre,

autre, fans qu'on puiffe en donner d'autre raison, que le caprice des langues. Quelquefois auffi des opinions particulieres à un peuple en font la,caufe. L'Auteur du Pf. 17. peint la colere de Dieu, en difant: La fumée monte à fes narines, ce que Buchanan a traduit:

Fumeus afflatu de naribus æftus anbelo
Undabat.

Cette image ne choquoit ni les Hébreux ni les Grecs, qui regardoient le nez comme le fiége de la colere; mais comme nous n'avons pas la même opinion, & que d'ailleurs le nez, par une de ces bizarreries de langue dont j'ai parlé, & dont on ne peut rendre raifon, ne peut être nommé dans le ftyle noble, comme le front, les yeux, &c. cette image ne peut plaire dans nos Vers, & nous ne pouvons goûter aujourd'hui la maniere dont Marot a rendu cet endroit du Pfeaume:

En fes nazeaux lui monta la fumée,
Feu âpre iffoit de fa bouche allumée,
Si enflambé en fon courage étoit

Qu'ardens charbons de toutes parts jettoit.

Quoique l'image fous laquelle le Prophéte repréfente Dieu faisant boire la coupe de fa colere aux pécheurs, foit heureufement rendue dans Athalie:

Ils boiront dans la coupe affreufe, inépuisable, Que tu préfenteras au jour de ta fureur

A toute la race coupable.

cette image eft cependant moins naturelle aujourd'hui que dans les tems reculés, parce qu'elle faiTim. V.

D

foit

foit alors allufion à ces Rois des feftins, qui forçoient les conviés à boire.

nes,

Comme la force des taureaux eft dans les corces expreffions cornua peccatorum, cornua jufti, font fréquentes dans les Pfeaumes. Le vin, dit auffi Horace, addit cornua pauperi. Cette métaphore qu'ont encore employé Pétrarque & le Taffe, nous eft interdite, & nous ne parlons pas même des cornes des fleuves, quoiqu'ils en ayent de poëtiques, que Malherbe a voulu leur conferver.

Qui n'a vu dans leurs combats

Le Pô mettre les cornes bas?

Indépendamment des opinions particulieres à. certains peuples, il eft certain que notre imagination, moins vive que celle des Orientaux, re'jette des images qui leur paroiffoient belles. Nous ne dirions pas, pour exprimer la famine, Dieu a brifé le baton du pain, métaphore qu'on trouve dans le Pf. 104. Et la maniere dont Job dépeint l'Eclipfe, quoiqu'elle repréfente la facilité avec laquelle Dieu fait les plus grandes choses, ne plairoit pas dans notre langue.

Ce Dieu tient dans fa main l'aftre de la lumiere:
Il la ferme, & pour nous le foleil eft perdu.
Il la rouvre: à nos yeux le foleil eft rendu. Job. 36.

La defcription d'un poiffon monftrueux que fait Job c. 41. ne peut jamais être agréable dans notre langue. Qui ofera ouvrir les portes de fa gueule? la terreur habite autour de fes dents. Ses écail les font comme des boucliers d'airain fondu. Lorfqu'il éternue, il jette des éclats de feu qui brillent comme la lumiere du matin: il vomit des lampes qui brillent comme des torcbes ardentes: fes narines jet

tent

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