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Comment eft difparu ce maître impitoyable,
Et comment du tribut dont nous fûmes chargés
Sommes-nous foulagés?

Le Seigneur a brifé le fceptre redoutable
Dont le poids accabloit les humains languiffans,
Ce fceptre qui frappa d'une playe incurable
Les peuples gémiffans.

Nos cris font appaifés: la Terre eft en filence,
Le Seigneur a dompté ta barbare infolence,
O fier & rigoureux tyran.

Les cédres même du Liban
Se réjouiffent de ta perte.

Il eft mort, difent-ils, & l'on ne verra plus
La montagne couverte

Des reftes de nos troncs par le fer abattus.

Roi cruel,ton afpect fit trembler les lieux fombres: Tout l'enfer fe troubla: les plus fuperbes onibres Coururent pour te voir.

Les Rois des nations defcendans de leur trône
T'allerent recevoir :

Toi-même, dirent-ils, Roi de Babylone,
Toi-même, comme nous te voilà donc percé?
Sur la pouffiere renversé

Des vers tu deviens la pâture,
Et ton lit eft la fange impure.
*

Comment es-tu tombé des Cieux,
Aftre brillant, fils de l'aurore?
Puiffant Roi, Prince audacieux,
La Terre aujourd'hui te dévore.
Comment es-tu tombé des Cieux,
Aftre brillant, fils de l'aurore?

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Dans ton cœur tu difois: A Dieu même pareil
J'établirai mon trône au-deffus du foleil,
Et près de l'Aquilon fur la montagne fainte,
J'irai m'affeoir fans crainte:

A mes pieds trembleront les humains éperdus,
Tule difois, & tu n'es plus.

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Les paffans qui verront ton cadavre paroître Diront, en fe baiffant pour le mieux reconnoître : Et-ce là ce mortel, l'effroi de l'Univers,

Par qui tant de captifs foupiroient dans les fers;
Ce mortel dont le bras détruifit tant de villes,
Sous quiles champs les plus fertiles
Devenoient d'arides deserts?

9

Tous les Rois de la Terre ont de la fépulture
Obtenu le dernier honneur:

Toi feul privé de ce bonheur

En tous lieux rejetté, l'horreur de la nature,
Homicide d'un peuple à tes foins confié,
De ce peuple aujourd'hui tu te vois oublié.

Qu'on prépare à la mort fes enfans miférables:
La race des méchans ne subsistera pas;
Courez à tous fes fils annoncer le trépas:
Qu'ils périffent: l'auteur de leurs jours déplorables.
Les a remplis de fon iniquité.

Frappez, faites fortir de leurs veines coupables
Tout le malheureux fang dont ils ont hérité.

Que d'images, que de figures le Prophéte raf femble! on entend parler tour à tour les cédres du Liban, les ombres des morts, les Juifs, le Roi de Babylone, & les paffans qui trouvent fon corps. Ces figures font fi hardies, que l'Orateur le plus

'animé n'oferoit les mettre en ufage: la Poëfie feule peut les employer.

Les exemples de cet enthoufiafme, que je regarde comme l'effence de la Poëfie, font fréquens dans l'Ecriture fainte (1). Quel homme doué d'un bon goût, quand même il ne feroit pas plein de respect pour elle, & qu'il liroit les Cantiques de Moïfe avec les mêmes yeux dont il lit les Odes de Pindare, ne fera pas contraint d'avouër que ce Moïfe, que nous connoiffons comme le premier Hiftorien & le premier Légiflateur du Monde, eft en même tems le premier & le plus fublime des Poëtes? Dans fes Ecrits la Poëfie naiffante paroît tout d'un coup parfaite, parce que Dieu même la lui infpire, & que la néceffité d'arriver à la perfection par degrés, n'eft une condition attachée qu'aux arts inventés par les hommes. Cette Poëfie fi grande & fi magnifique regne encore dans les Prophétes & dans les Pfeau. mes. Là brille dans fon éclat majeftueux cette véritable Poëfie qui n'excite que d'heureufes paffions; qui touche nos cœurs fans les féduire; qui nous plaît fans profiter de nos foibleffes; qui nous attache fans nous amufer par des contes frivoles & ridicules; qui nous inftruit fans nous rebuter; qui nous fait connoître Dieu fans nous le représenter fous des images indignes de la Divini té; qui nous furprend toujours fans nous promener parmi des merveilles chimériques. Agréable & utile; noble par fes expreffions; hardie dans fes figures; admirable par les vérités qu'elle annonce,elle feule mérite le nom de langage divin

Tout

(1) M. Rollin, Hift. Anc. c. 1. fur les Poëtes, m'a fait l'honneur d'y inférer cet endroit, qu'il avoit tiré de ma Differtation imprimée dans le 6. volume des Memoires de l'Académie; mais comme il a oublié de me citer,je fuis obligé de faire cette note, dans la crainte que quelqu'un ne me foupçonne de copier ici M. Rollin.

Tout ce que je viens de dire fur la Poëfie en général, ne peut être mieux confirmé que par ces paroles de M. Boffuet dans fes Réflexions fur l'Hif toire Univerfelle. Son ftile bardi, extraordinaire, naturel toutefois en ce qu'il eft propre à représenter la nature dans fes tranfports, qui marche par cette raifon par de vives & impétueuses faillies, affranchi des liaisons ordinaires que recherche le difcours uni, renfermé d'ailleurs dans des cadences nombreu Jes, qui en augmentent la force, Surprend l'oreille, Jaifit l'imagination, émeut le cœur, & s'imprime plus aifément dans la memoire.

Ces fix lignes de M. Boffuet contiennent le germe de tout ce que je dirai fur la Poëfie. Qui a fçu en dire tant de chofes,en fi peu de mots, la devoit connoître. Il femble cependant qu'il ait eu toujours quelque mauvaise humeur contre elle : je n'en foupçonnerai pas une raison pareille à celle que la mauvaise humeur de Platon m'a fait foupçonner.

Il ne fuffit pas que le ftile hardi de la Poëfie marche par des faillies impétueufes, ce n'eft encore que le langage de la nature: il faut qu'il obferve dans fa marche la mefure & les cadences qui conviennent à chaque nation, c'eft le langage de l'art: celui-là feul ett Poëte qui fçait réunir ces deux langages.

Je vais examiner féparément l'un & l'autre. J'examinerai d'abord ce qui diftingue le ftile de la Poëfie du ftile de la Profe, & ce qui fait que les Poëtes ont, pour ainfi dire, une langue particuliere. J'examinerai ensuite les loix de la Verfifcation.

CHA.

茶茶

CHAPITRE III.

DU STILE POETIQUE

L'EXPRESSION eft l'âme de tous les ouvra

ges qui font faits pour plaire à l'imagination. On n'exige de l'Hiftorien que la vérité des faits: on ne demande au Philofophe que la jufteffe des raifonnemens. Lorsqu'à ces qualités qui font indifpenfables pour eux, ils ajoutent celles qui font l'agrément du ftile, on les lit avec plus de plaifir; mais de quelque façon qu'ils ayent écrit, l'utilité qu'on retire de leurs Ouvrages, oblige à les lire. Il n'en eft pas de même de l'Orateur & du Poëte. L'un veut nous émouvoir pour nous perfuader; l'autre veut nous amufer agréablement: il faut que l'un & l'autre nous réveillent continuellement par des impreffions qui nous rendent attentifs à ce qu'ils nous difent: nous ne les écoutons qu'autant qu'ils plaifent à nos oreilles par les charmes de l'expreffion.

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Le fuccès de leurs Ouvrages dépend plus fouvent de l'expreffion que de la régularité du deffein, & de la jufteffe des penfées; & l'expreffion eft bien plus difficile à trouver pour eux que le refte. Un homme d'efprit peut trouver par la réflexion, l'exacte ordonnance d'un fujet, & les pensées convenables à ce fujet; mais la réflexion n'apprend point à les bien exprimer, c'est le don du génie. L'expreffion diftingue le grand génie

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