Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

à écarter les paffions dangereufes de ce jeune

cœur.

Os tenerum pueri balbumque Poëta figurat,
Torquet ab obfcanis jam nunc fermonibus aurem,
Mox etiam pettus præceptis format amicis,
Afperitatis & invidia correttor & ira, &c.

[ocr errors]

Voilà ce que peu de Poëtes font capables de faire, & voilà cependant le principal objet de la Poëfie. Soit qu'elle donne des préceptes comme la Lyrique & la Didactique, foit que comme l'Epique & la Dramatique, elle donne des exemples par l'imitation d'actions véritables ou feintes elle doit toujours avoir pour but de rendre les Hommes meilleurs, & ne doit jamais peindre nos paffions, que pour nous apprendre à modérer celles dont l'excès eft dangereux, ou à fuir celles qui font criminelles. C'eft de cette feule Poëfie que j'ai entrepris la défense.

CHA

CHAPITRE II.

DE L'ESSENCE DE LA POESIE.

PRES avoir reconcilié, comme je l'efpere,

bles, je vais m'occuper de fes différentes beautés, & en chercher la fource dans la nature.

Les peuples les plus barbares ont eu toujours une espéce de Poëfie & une efpéce de Mufique; parce que la nature a donné à tous les hommes, & même aux animaux, des oreilles fenfibles à l'harmonie. C'eft en chantant que les nourrices appaifent les cris de leurs nouriffons: c'eft en chantant que l'artifan s'anime dans fon travail. A ces oreilles fenfibles à l'harmonie, la nature a ajouté en nous, pour le bien de la fociété, un cœur fi fenfible aux paffions, que l'homme eft comme une Lyre dont chaque corde toujours tendue eft prête à répondre à la plus legere impreffion: nous avons en même tems un efprit toujours avide d'apprendre, & curieux de nouveautés.

Il n'eft donc pas étonnant qu'on ait rendu de tout tems de grands honneurs à la Poëfie. Quels hommes pourroient être infenfibles aux douceurs d'un langage qui fçait tout à la fois charmer nos oreilles, émouvoir nos cœurs, contenter notre efprit, & entretenir notre curiofité? C'est parlà que les Poëtes ont trouvé le fecret infaillible de nous plaire. En même tems qu'ils flattentnos oreilles par la cadence harmonieufe des Vers;

tan

ple, enforte qu'il puiffe s'écrier, loin d'ici profane Vulgaire. Sumenda voces à plebe fummota, ut fiat, odi profanum vulgus. Le langage Poëtique eft bien plus éloigné du langage ordinaire dans les langues anciennes que dans les nôtres: j'en examinerai les raifons dans la fuite. Cette maniere de parler, différente de la maniere vulgaire, donna à la Poëfie une élévation que les Anciens regarderent comme une fureur divine, à laquelle ils donnerent le nom d'Entboufiafme. Ciceron s'excufant auprès de fon frere de n'avoir pas compofé les Vers qu'il lui avoit demandés, lui dit que l'enthoufiafme lui manque. Abest ivdovciacμos..

Nous pouvons, en nous fervant du même terme, regarder l'Entboufiafme comme l'effence de la Poëfie: mais pour ne nous pas contenter d'un mot vague, il faut en même tems déterminer l'idée que nous y devons attacher.

Comme il paroît que Platon, dans le Dialogue qu'il a intitulé Ion, n'a d'autre but que de railler un rapfode, nous regardons comme un jeu d'ef prit ce qu'il met dans la bouche de Socrate fur I'Enthousiasme. Si l'on en croit ce Philofophe, ce n'eft point l'art qui conduit les Poëtes, c'eft un fouffle célefte qui les emporte. Semblables aux Corybantes & aux Bacchantes qui ne danfent qu'au moment que leur efprit ett aliéné, les Poëtes ne peuvent chanter qu'au moment qu'une fureur pareille les faifit. Cette fureur leur eft infpirée par les Mufes: ils l'infpirent à leur tour à ceux qui les écoutent; & de même qu'une pierre d'aiman communique fa vertu aux anneaux qu'elle attire, enforte que ces premiers anneaux en atti rent d'autres, & forment une chaîne fufpendue à la pierre; ainfi l'homme qui récite bien les Vers d'un grand Poëte, infpire à fes auditeurs le feu dont il eft faifi: ce feu lui eft infpiré par le Poëte dont il récite l'ouvrage, & le Poëte l'avoit reçu

d'un

d'un Dieu; enforte que de chaque auditeur, fi l'on remonte à celui qui récite les Vers, & à celui qui les a compofés, l'on trouve une longue chaîne, dont le dernier anneau eft fufpendu à un Dieu.

Platon, après avoir plaifanté dans ce difcours, parle férieufement dans le Phedrus, lorsqu'il dit: Quiconque fans être en fureur, vev paviás, approche de la Poefie, perfuadé que l'art feul le foutiendra, ne fera jamais rien que d'imparfait. La Poëfie d'un d'un bomme de fang froid, difparoît devant celle d'un furieux. Ciceron étoit dans le même fentiment, lorfqu'il difoit que toutes les autres fciences ont befoin des préceptes & de l'art; que le Poëte feul tire toute fa force de la nature, de fon génie, & de quelque infpiration célefte. (a) Poëtam naturd ipfa valere, & mentis viribus excitari & quafi divino quodam fpiritu afflari. Cette idée faifoit regarder les Poëtes comme des perfonnes facrées, & ils eurent grand foin de confirmer une opinion fi avantageuse pour eux.

Sans m'arreter à ce qu'ils ont dit de leur ivreffe caufée par les eaux de l'Hippocrene, & des nuits qu'ils paffoient à dormir fur le Parnaffe, en même tems que je crois pouvoir avancer que l'effence de la Poëfie confifte dans l'Entboufiafine, loin de regarder cet Enthoufiafme comme l'effet d'une inspiration divine, je ne le regarde que comme un effet naturel des paffions humaines; & c'est par cette raifon qu'il eft abfolument néceffaire à la Poëfie, qui est toujours le langage de quelque paffion.

Pour en être convaincus, il fuffit de confiderer l'état violent où nous nous trouvons quand une paffion nous agite, & le langage rapide & hardi, conforme à cet état, langage que la nature

(a) Pro Archia Poëta.

? nous

1

nous infpire, comme je l'expliquerai plus au long quand je parlerai du ftyle figuré.

[ocr errors]

Ceux qui font nés avec une forte & heureuse imagination, avec ce que nous appellons le génie, fçavent imiter ce langage rapide des paffions: la vivacité qui les tranfporte comme hors d'eux. mêmes leur infpire alors de fublimes pensées. Les paroles conformes à ces pensées, les expreffions nobles & hardies, s'arrangent toutes feules dans une cadence harmonieufe comme ces pierres qui, au rapport des Poëtes, marchant en cadence au fon de la Lyre d'Amphion, s'élevoient en ordre, & formoient les murs de Thébes. Une méditation profonde, éclairée par une raison scru. puleufe, ne produiroit pas de pareils miracles. Auffi les Vers qui font le fruit de cet enthousiasme ont une beauté, dont celle de la Profe n'approche jamais; & quand on les lit, on fe fent échauffé du même feu qui échauffoit le Poëte quand il les compofoit.

Voilà ce que Platon & Ciceron ont appellé fureur & infpiration divine, & ce que nous appellons Enthoufiafme & Verve. Comme dans cet état le fang eft dans un mouvement extraordinaire, & que l'ivreffe poëtique reffemble en quelque façon à l'ivreffe naturelle, on a dit que Bacchus étoit le Dieu des Poëtes, & que les Vers compofés par des buveurs d'eau, quæ fcribuntur ab aquæ potoribus, ne pouvoient être bons. Mais malgré l'éloge qu'Horace fait du vin, parmi les Poëtes fameux je ne connois qu'Efchyle, dont il foit dit dans Athénée, qu'il étoit ivre quand il écrivoit fes Tragédies. Si le fait eft vrai, il n'eft pas étonnant qu'elles exercent la patience des Sçavans qui veulent les entendre.

Le mouvement violent des efprits animaux étant voifin de leur défordre, & du trouble dans toute la machine, on a accufé de folie les Poë

tes,

« PreviousContinue »