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d'Homere, Iliade 18. quand Thétis demande des armes à Vulcain pour Achille: Vulcain, fers promp tement Thétis dans fan befoin; il dit en jettant tous fes Vers dans le feu, Vulcain, fers promptement Platon dans fon befoin; & qu'enfuite choififiant un genre dans lequel il pût exceller, il s'attacha à la Philofophie. Peut-être conferva-t-il quelque chagrin contre la Poëfie qui ne lui avoit pas été favorable, & chercha-t-il à la rabaiffer par un refte de mauvaife humeur, dont les grands Hommes ne font pas exempts.

On ne peut attribuer la févérité de M. Boffuet qu'à fes grands fentimens de Religion. Ne pouffet-il pas cependant la févérité trop loin quand il dit que Boileau, dans fa Satire fur l'Homme, attaque en forme la Raifon fans fonger qu'il dégrade image de Dieu? Le Poëte fait bien connoître dans cette Satire qu'il ne parle pas férieufe

ment.

En même tems que je crois qu'on peut perdre d'agréables momens dans la lecture des Poëfies innocentes, je ne puis qu'admirer celui qui ne voulant s'occuper que de faintes vérités, néglige tout ouvrage qui n'a pas la Religion pour objet; & j'avoue qu'à fes yeux le Livre d'Homere, quoi. que le plus précieux Ouvrage de l'efprit humain, comme l'a dit Pline, pretiofiffimam bumani ingenii opus, n'eft cependant qu'un Livre, fuivant les termes de faint Auguftin, agréablement frivole, dulciffimè vanus. Mais comine ces perfonnes fi parfaites & fi heureufes ne doivent pas condamner celles qui fe délaffent en lifant des Poëfies fages, elles ne doivent pas mépriser la Poësie en général.

Horace dit qu'un Poëte doit être le premier précepteur d'un enfant; c'eft à lui à former cette langue novice; à infpirer à cette tendre oreille de l'averfion pour les difcours deshonnêtes, &

à écarter les paffions dangereufes de ce jeune

cœur.

Os tenerum pueri balbumque Poëta figurat,
Torquet ab obfcanis jam nunc fermonibus aurem,
Mox etiam pectus præceptis format amicis,
Afperitatis & invidia corrector & ira, &c.

Voilà ce que peu de Poëtes font capables de faire, & voilà cependant le principal objet de la Poëfie. Soit qu'elle donne des préceptes comme la Lyrique & la Didactique, foit que comme l'Epique & la Dramatique, elle donne des exemples par l'i mitation d'actions véritables ou feintes, elle doit toujours avoir pour but de rendre les Hommes meilleurs, & ne doit jamais peindre nos paffions, que pour nous apprendre à modérer celles dont l'excès eft dangereux, ou à fuir celles qui font criminelles. C'eft de cette feule Poëfie que j'ai entrepris la défenfe.

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CHAPITRE II.

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DE L'ESSENCE DE LA POESIE.

PRES avoir reconcilié, comme je l'efpere,

bles, je vais m'occuper de fes différentes beautés, & en chercher la fource dans la nature.

Les peuples les plus barbares ont eu toujours une espéce de Poëfie & une espéce de Mufique'; parce que la nature a donné à tous les hommes, & même aux animaux, des oreilles fenfibles à l'harmonie. C'est en chantant que les nourrices appaifent les cris de leurs nouriffons: c'eft en chantant que l'artifan s'anime dans fon travail. A ces oreilles fenfibles à l'harmonie, la nature a ajouté en nous, pour le bien de la fociété, un cœur fi fenfible aux paffions, que l'homme eft comme une Lyre dont chaque corde toujours tendue eft prête à répondre à la plus legere impreffion: nous avons en même tems un efprit toujours avide d'apprendre, & curieux de nouveautés.

Il n'eft donc pas étonnant qu'on ait rendu de tout tems de grands honneurs à la Poëfie. Quels hommes pourroient être infenfibles aux douceurs d'un langage qui fçait tout à la fois charmer nos oreilles, émouvoir nos cœurs, contenter notre efprit, & entretenir notre curiofité? C'est parlà que les Poëtes ont trouvé le fecret infaillible de nous plaire. En même tems qu'ils flattentnos oreilles par la cadence harmonieufe des Vers;

Lan

tantôt en nous communiquant les transports qui les animent, ils rempliffent nos cœurs de fentimens agréables; tantôt par une fidelle imitation fouvent plus agréable que la préfence des objets imités, ils contentent notre efprit qui fe plaît à juger de la vérité de l'imitation; & tantôt ils nourriffent notre curiofité par des Fictions amufantes.

La Verfification, l'Imitation, la Fiction, l'Enthou fafme, font donc les principaux refforts qui rendent la Poëfie vivante; mais comme ils ne l'animent pas toujours tout ensemble, je vais chercher la caufe principale de fon empire fur nous, & tâcher de faire connoître quel eft ce caractere qui n'eft propre qu'à elle, & qui la diftingue effentiellement de la prose.

Quoique la Verfification foit toujours néceffaire, & que le peuple donne communément le nom de Poëte à tout homme qui fait des Vers, ce glorieux titre ne s'acquiert pas fi aifément. La fcience de renfermer des mots dans une certaine me. fure, n'a rien de grand ni d'admirable. Quel que étroite que foit la gêne de la verfification, elle ne procure aucune gloire à celui qui fçait uniquement s'y affervir: l'Ecrivain le plus médiocre s'y habitue fans peine : le Poëte le plus fublime s'y foumet aulli, parce qu'on eft toujours obligé d'obeïr aux Loix de fon art. Mais ce n'est pas · à cette obéillance qu'il doit fa grandeur..

Neque enim concludere verfum
Dixeris effe fatis.

Je ne m'arrêterai pas à prouver que l'Imitation, quoiqu'elle foit un des grands charmes de la Poëfie, n'eft pas feule ce qui fait fon pouvoir: on n'en peut douter. Quoique la Comédie foit une imitation des actions & des paffions humaines,

plu

plufieurs perfonnes, comme dit Horace, difputent même à la Comédie le nom de Poëme, parce que fon ftyle n'a ni force ni élévation.

Quod acer Spiritus ac vis

Nec verbis, nec rebus ineft, nifi quod pede certo
Differt fermoni fermo merus.

L'élévation qui régne dans Platon & dans Demofthene feroit regarder leur ftyle comme une Poësie, plutôt que le ftyle des Poëtes comiques, qui n'eft différent du ftyle ordinaire, dit Ciceron, que parce qu'il eft renfermé dans une mefure de vers. Nihil aliud eft quotidiani dissimile fermonis, nifi quod verficuli fint.

J'ai fait voir dans le Chapitre précédent que c'étoit peu connoître la grandeur de la Poëfie, que de la croire inféparable des Fables, & qu'elle peut ailément le paffer de la Fiction, fi par ce mot on entend les Fictions de (1) recit.

Puifque la Fiction ni l'Imitation ne font point effentielles à la Poëfie, & qu'on ne doit pas non plus prodiguer le nom de Poête à ceux qui ne fçavent que faire des Vers, il me refte à chercher quel eft celui à qui on ne peut refufer ce titre:

Ingenium cui fit, cui mens divinior, atque os
Magna fonaturum, des nominis bujus honorem.

On doit donner ce titre honorable, fuivant Horace, à celui qui a un génie divin, & une bouche capable de faire entendre de grandes chofes.

Il faut, fuivant Pétrone, que le Poëte parle un langage entièrement éloigné du langage du peu.

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}

(1) Dans le Chapitre fur la Poëfic Didactique, je ferai voir qu'il faut diftinguer la Fiction de récit, & la Fiction de ftyle, & qu'il n'y a point de Poëfie fans la Fiction de ftyle.

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