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re, s'il eft vrai, comme le dit Homere dans l'Odyffée, qu'Egythe ne put triompher de la pudeur de Clytemnestre, qu'après avoir écarté d'elle ce Muficien Poëte, qu'Agamennon en partant de Troye avoit laiffé auprès d'elle, & qui la foutenoit dans la vertu par fes Chants: les Chants des Poëtes étoient donc alors bien différens de ceux qu'ils ont compofés depuis pour plaire aux Princes & aux Princeffes. Lorfqu'ils fe virent engagés à les amufer, ils furent moins empreffés qu'auparavant à compofer des Hymnes pour les Dieux. Ils s'attacherent à la Poëfie imitative, qui produifit d'abord le Poëme Epique.

Homere qui en donna le modéle, connoiffant bien que l'utile doit toujours accompagner l'a. gréable, non feulement prit pour fondement de fes deux Poëmnes deux points de Morale convenables à l'état où étoit alors la Gréce, mais il fema ces deux Poëmes de tant d'instructions con. venables à tous les hommes, qu'il a été appellé le Philofophe des Poëtes.

Il ne s'amufe point à des peintures voluptueufes, quoiqu'il en trouve tant d'occafions dans fes récits, comme l'Ile de Calipfo, le Palais de Circé. On n'y voit point, comme dans le Taffe, des héros languiffans dans les chaînes de l'amour. S'il fait chanter les amours de Vénus & de Mars, c'est à la table d'Alcinoüs, pour montrer qué de pareils Chants ne conviennent que chez le Roi d'un peuple plongé dans la molleffe & l'oifiveté.

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Je ne prétens pas excufer Homere en tout. eft vrai qu'il fait faire à Vénus auprès d'Heléne un perfonnage fort odieux, & que fa Junon, quand elle prend la ceinture de Vénus, n'eft pas fort ref pectable: il femble, par une raifon que je dirai dans la fuite, qu'il ait voulu rendre fes Dieux méprifables. Ses Héros font toujours bien plus eftimables, & Heléne paroît plus fage que Vénus.

Lorf

Lorsqu'elle eft au haut de la tour, Iliade 3. & que Priam lui demande les noms des chefs de l'armée Grecque, qu'il découvre de loin, Heléne après avoir gémi de fa faute qui eft la caufe des malheurs de Troie, lui répond,

Mon crime devant vous me condamne à me taire : Mais puifqu'il faut enfin, Seigneur, vous fatisfaire,

Ce guerrier dont l'éclat vous frappe avec raison,
Eft le chef des guerriers, l'illuftre Agamemnon.
Il eft auffi grand Roi, que vaillant Capitaine.
Il étoit mon beau frere. O malheureuse Heléne!
C'est ce nom, (puis-je vivre, hélas! & le pen-
fer?)

Ce nom qu'il ne m'eft plus permis de prononcer.

Quelle horreur Homere nous donne des crimes, quand il fait parler ainfi Jupiter dans l'affemblée des Dieux, au fujet de la mort d'Egifthe! Ody Jée l. 3.

Tandis que les mortels par d'infolens blafphêmes Ofent de leurs malheurs nous accufer nous - mê◄ mes,

Leurs folles paffions précipitent leurs pas

Vers des maux que les Dieux ne leur deftinoient pas.

Egifthe fervira d'exemple aux adulteres.
N'avoit-il pas reçu nos avis falutaires,
Quand Mercure par nous vers lui fut député?
Mais Mercure par lui ne fut point écouté:
Par une mort fanglante il a payé fa dette, (1)
La juftice fuprême eft enfin fatisfaite.

Périf

(1) Ce que je dis en deux Vers, Homere le dit bien mieux en un demi-Vers: νῦν δ'αθρον πἀντὶ ἄπετιτε. Ι

Périffent comme lui tous fes imitateurs,
Dit la fage Minerve, &c.

Ce Mercure envoyé du Ciel pour donner à Egifthe des avis falutaires, eft cette loi naturelle qui inftruit tous les hommes, qu'une telle action eft un crime qui les rendra comptables à la divine Justice.

Les Héros d'Homere ont de grands défauts, mais ils les avouent, & reconnoiffent que les Dieux les puniffent juftement. Lorfque le fier Agamemnon eft humilié par le malheur, Nettor lui rappelle l'offenfe qu'il a faite à Achille. Agamemnon touché de ce reproche lui répond, Ilia de 9.

Oui, la vérité fort de ta bouche fincere,
D'Achille injustement j'enflammai la colere.
Ma fierté m'emporta : j'en rougis aujourd'hui.
Je devois ménager un Héros tel que lui.
Un homme aimé des Dieux vaut lui feul une armée;
De ces Dieux maintenant la Justice animée
Pour venger ce Héros, punit mon peuple & moi.

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Quoiqu'Homere chante les armes & les combats, on voit ce qu'il penfe de ces fureurs dans cette apoltrophe au Dieu de la Guerre.

Mars, homicide Mars, arbitre des batailles.
Toi dont le bras cruel renverfe les murailles;
Dieu que nourrit le fang, deftructeur des mortels.

Tou

a payé tout ce qu'il avoit accumulé. J'imiterai quelquefois des endroits des Poëtes Grecs, pour orner ces réflexions par des Vers François; mais je ne prétens pas dans une traduction rendre toute la beauté des originaux. Je fens combien je fuis toujours au - deffous. Je n'en accuse ni notre rime, ni notre langue.

Toujours fage, & vrai dans fes confeils, quand il fait exhorter Télémaque à foutenir fa naiffance, il a attention auffi de ne lui. pas donner trop de vanité.

Télémaque, fongez quelle eft votre naiffance; Le fang dont vous fortez, foutient mon efpé.

rance;

Et fi d'Ulyffe en vous je ne voyois le fils,

Je craindrois que mes vœux ne fuffent point remplis.

Toutefois, pardonnez ces paroles finceres,
Peu d'enfans aujourd'hui ressemblent à leurs peres,
Ils dégénérent tous, &c. Odyffée 3.

Les Poëtes qui ont fuivi Homere n'ont pas tous été fi fages que lui. Les deux Odes qui nous reflent de Sapho doivent nous convaincre que tous fes Vers bruloient du feu qui confumoit fon cœur: & qu'attendre autre chofe d'une fille qui laffe de chanter fa paffion à celui qu'elle ne put attendrir, fe précipita dans la mer?

Lorsqu'Hipparchus, fils de Pifistrate, envoya à Anacréon un vaiffeau de cinquante rames avec des lettres pour l'inviter à venir à Athénes, en l'affurant que fa vertu y trouveroit des admirateurs; une pareille ambaffade faite à un homme qui ne chantoit que l'amour & le vin, fut fatale à la Poëfie. Ceux qui la cultivoient trouverent qu'il étoit plus facile & plus avantageux d'amufer que d'inftruire; alors ils s'attacherent davantage à l'imitation; & la Poëfie Dramatique n'eut pas dans fa naiffance l'inftruction pour objet. Quelle morale pouvoient prêcher de jeunes gens, qui pleins de vin, & barbouillés de lie, parcouroient les bourgades dans des tombereaux? Ceux qui peu de tems après donnerent à la Tragédie fa véritable forme, fe rappellerent leur premier de

voir. Il eft vrai que la Comédie fe fentit plus longtems de la débauche où elle avoit pris naiflance; mais enfin Ménandre la reconcilia avec la fageffe.

Je ferai voir dans la fuite que Pindare a donné de mauvais exemples aux Poëtes, mais il ne leur a pas du moins donné celui d'avilir la Poëfie Lyrique par des fujets indignes d'elle. Nous pouvons juger par ce qu'Horace dit de fes Odes, dont nous avons perdu une grande partie, que tous les fujets qu'il avoit traités convenoient à l'élévation de l'Ode.

La Poëfie Bucolique paroit n'avoir eu d'autre objet que l'amufement, peut-être parce qu'elle fait parler des gens dévoués à l'oifiveté. D'ailleurs les auteurs des petits Ouvrages furent ceux qui fe donnerent le plus de licence; mais il refta toujours pour conftant que les grandes productions de l'esprit, les Poëmes Epiques & Dramatiques, devoient tous tendre au même but, c'est-àdire, à rendre les hommes meilleurs. Ariftote en a établi le précepte conforme aux exemples d'Homere, de Sophocle & d'Euripide.

Il faut avouer que ce précepte fit peu d'impreffion fur les Poëtes Latins. Les fpectacles des Romains commencerent au milieu d'une licence trèsgroffiere. Leurs Stoïciens leur difoient qu'il n'y avoit rien d'obscéne en foi-même. Augufte faifoit lui-même des Vers très-libres, & il est étonnant que Térence & Virgile ayent été fi sages dans un fiécle fi corrompu. Le reproche qu'Ovide fait à Virgile eft injufte. Virgile a dépeint l'amour comme on doit dépeindre les paflions criminelles. Didon intéreffe le, lecteur, qui condamne fa faute en partageant fes larmes.

Les Poëtes Chrétiens de l'Italie méritent le reproche qu'on leur fait. Quoiqu'on ait dit du Dante, qu'il eft auffi pur pour les mœurs que

pour

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