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'une beauté véritable; mais c'eft alors l'objet qui nous trompe. Nous l'appellons beau, parce que faute d'examen, nous le croyons conforme au modéle qu'il doit avoir; & quand nous avons reconnu qu'il n'y eft pas conforme, nous ceffons de l'appeller beau, parce que nous fommes perfuadés que la beauté poëtique confifte dans le vrai de l'imitation.

On diftingue dans l'imitation deux fortes de Vrai, le fimple & l'idéal. Le premier représente la nature telle qu'elle eft ; le fecond l'embellit, non en lui prêtant une parure étrangere, mais en raffemblant dans le même point de vue fur le même objet plufieurs beautés qu'elle a difperfées fur des objets différens. C'est dans la réunion de ces deux Vrais, c'eft-à dire, dans le Vrai composé, que confifte la perfection de la Poëfie & de la Peinture,

Mais il est très-important d'obferver, que quoique ces deux Arts qui paroiffent fi femblables, ayent le même point de perfection, ils n'ont pas tous deux la même obligation d'y atteindre. En effet plufieurs Peintres, comme le Titien, le Baffan, &c. font fameux, quoiqu'ils n'ayent posfédé que le premier Vrai, au lieu qu'on ne peut nommer aucun Poëte fameux qui n'ait eu que le même mérite. Il eft aifé d'en dire la raison.

La Peinture imitant avec les couleurs, & ne parlant qu'aux yeux, peut fe contenter de repré fenter les objets tels qu'ils font: la Poëfie qui imite dans un langage divin, & parle toujours à l'efprit, doit enchanter par fon merveilleux. Ainfi le Vrai compofé lui eft toujours néceffaire. Si fon merveilleux n'étoit pas vrai, elle ne feroit plus une imitation ; & fi fon Vrai n'étoit pas merveilleux, elle ne feroit plus un langage divin.

En fuivant cette divifion, je ferai voir que fon imitation confitte néceffairement dans la réunion

de

de ces deux Vrais; que le Vrai idéal est nécessaire dans les fujets les plus fimples, & que le Vrai fimple eft néceffaire dans les fujets les plus grands.

ARTICLE I.

De la néceffité du Vrai idéal dans les fujets les plus fimples.

'Imitation nous fait fonger à deux. chofes, à l'objet imité, & à l'art de l'Imitateur. Lorfqu'un objet imité par la Peinture n'a rien qui foit capable de plaîre, nous admirons toujours l'art de l'Imitateur, quand par la jufteffe de fon deffein, & la vérité de fon coloris, il s'eft rendu admirable. Ainfi des tableaux qui ne repréfentent que des arbres, des bâtiinens, des animaux, ou des fruits, font eftimés quand l'imitation eft vraie, parce que le Peintre peut le borner à plaîre aux yeux.. Il n'en eft pas de même du Poëte: il doit parler à l'âme, & l'enlever. Si l'objet qu'il imite n'a rien de grand ni en foimême, ni dans la maniere dont il eft imité, loin d'admirer l'Imitateur, nous le condamnons d'avoir employé le langage de la Poëfie pour ne dire que des chofes communes.

Des Idylles dans le goût de la quatrième de Théocrite, trouveroient peu de Lecteurs. Qu'un Berger fe plaigne qu'une grande épine lui eft entrée dans le pied, & que fon camarade, en la lui ôtant, lui recommande de ne pas aller nuds pieds dans les montagnes; un pareil fujet, quoique traité aufli parfaitement que Théocrite l'a traité, n'offre à l'âme rien qui l'attache: mais ce même fujet peut fournir à un Peintre un tableau charmant.

La

La Peinture nous fait regarder avec plaifir les habitans de la campagne quoique couverts de haillons, au lieu que la Poëfie ne doit point les préfenter dans leur rufticité & leur mifere: elle doit leur chercher des ornemens, non dans le luxe des villes, mais parmi les fleurs de la campagne qu'ils habitent; & c'eft dans le choix de ces fleurs que confifte le Vrai idéal. Si des Eglogues préfentent des Bergers trop grofliers, elles déplaisent faute du Vrai idéal: fi elles les préfentent trop fpirituels, elles déplaifent faute du Vrai fimple.

Le Baffan a peint en quatre tableaux les travaux qui occupent les habitans de la campagne dans les quatre faifons de l'année; & comme il s'eft contenté du Vrai fimple, il n'a parlé qu'aux yeux; au lieu qu'Horace & Virgile, qui à ces mêmes objets ajoutent le Vrai idéal, parlent à l'âme, & en nous rendant aimables les occupations: champêtres, nous font envier le bonheur d'un féjour où regne la paix & l'innocence. Secura quies & nefcia fallere vita. Ces mêmes objets n'at tirent point notre attention quand ils font peints par le Marini. Là, dit-il, on a pour palais fa cabane, Jon baton pour fceptre, un ruisseau pour nettar, Jes valets, pour mattres, fes chiens pour amis, fes agneaux pour courtisans. Point de fang dans ce féjour, il n'y coule que du lait: point de mains ava res qui dépouillent le pauvre, on n'y tond que les brebis; & le feul éguillon qu'on y connoiffe, eft celus: qui perce le flanc des bœufs. Le plus aríde defert eft moins ennuyeux, que la plus belle campagne peinte avec de pareilles couleurs.

Si la Fontaine fe fût borné à ce Vrai fimple, quoique charmant, qui regne dans fa premiereFable, & dans quelques autres, il n'eût point laiffé un nom qu'ont rendu fameux tant de gra

ces

ces, par lesquelles il s'eft formé un Vrai dont le choix n'appartient qu'à lui feul.

La Comédie elle-même ne peut fe contenter du Vrai fimple, quoiqu'elle imite les actions les plus fimples des hommes, & qu'elle admette jufqu'aux perfonnages les plus vils. Les valets & les payfans peuvent paroître fur la Scéne comique, & y parler un langage conforme à leur état ; mais ils ne doivent pas y paroître souvent, ni y refter long-tems: on fçait avec quel ménagement Moliere les introduit: je parle de fes belles Comédies, & non des farces qu'il faifoit par com. plaifance, voulant accorder du bas comique au bas peuple. Dans ces Piéces même, il est un pein. tre fidéle de la nature, qu'il ne perd jamais de vue: bien différent de ces Auteurs qui croient annoblir le comique, quand ils s'évaporent dans une abftraite Métaphyfique, & qu'ils nous offrent des portraits que nous ne pouvons reconnoître, parce que les originaux ne font nulle part.

Si dans la Comédie même le Vrai fimple ne peut plaire long-tems, il eft difficile qu'il foit heureufement placé dans les Poëmes Epiques & Tragiques. On a reproché à Homere les perfonnages de Therfite & d'Irus, & l'on peut reprocher à Euripide les réflexions de sa Médée fur le malheur des femmes: elles font dans le Vrai fimple. Il eft affez ordinaire d'entendre dire aux femmes, qu'elles font plus malheureufes que les hom mes; que fi les hommes font exposés aux dangers de la guerre, elles font exposées à ceux de l'accouchement: mais ces réflexions conviennent-elles dans la Tragédie, & doit-on entendre dire à une Médée?

Pour moi j'aimerois mieux cent fois courir aux armes,

Et

Et cent fois des combats affronter les allarmes, Que d'un enfantement, toujours fi dangereux Eprouver une fois le moment douloureux.

Lorfque le Vrai fimple eft annobli par les circonftances, il devient alors un Vrai compofé; & la fimplicité des paroles d'un enfant convient à la Tragédie, lorfque cet enfant, comme le petio Joas, parle à une Reine cruelle, qui médite fa perte.

Qu'un mendiant accablé d'années, s'appuyant fur un bâton, & entrant dans une ferme, foit affailli par des chiens de garde, accoutumés à s'irriter contre des hommes mal vêtus; que pour calmer leur fureur, cet homme par prudence, jette d'abord fon bâton, & fe couche à terre; qu'au bruit des chiens, le fermier accoure, les écarte à coup de pierre, & fauve ce malheureux, cette peinture fi fimple ne paroît pas convenir à la noble Poëfie: mais que ce tableau eft intéreffant, quand ce vieillard mendiant eft le fameux Ulyffe, qui caché fous cette figure par Minerve, entre après vingt ans d'abfence chez Eumée (*), s'y voit reçu, quoique vieux & couvert de haillons, avec tant de charité, eft témoin de la compaffion avec laquelle fon ancien ferviteur reçoit les pauvres, de la fincérité avec la quelle il regrette fon maître, & de fon attachement pour Pénélope & Télémaque, dont il lui entend faire les éloges!

L'effroi que caufe à un enfant la vue d'un cafque eft dans le Vrai fimple; mais Homere en a rendu la peinture digne du Poëme Epique, par la circonftance. Hector prêt à partir pour le combat, fe fépare d'Andromaque, qui lui préfente fon fils Aftyanax. Le pere veut le prendre pour

(*) Odyssée 14,

l'eme

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