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voit qu'il la détette, fævit amor ferri,& fcelerata infania belli, &c. Il fait entendre qu'on ne la doit entreprendre que malgré foi. Teftaturque Deos fe invitum ad prælia cogi. Il eft perfuadé que les Dieux, & la tranquillité de la confcience, donnent la premiere récompense de la vertu.

Pulcherrima primum

Di, morefque dabunt veftri.

Et il regarde la gloire humaine comme frivole, lorfqu'en parlant de celle de la nourrice d'Enée, qui donna fon nom à une partie du rivage de la mer, il ajoûte, Si qua eft ea gloria.

Le Poête dont il me rette à parler, femble comparable à Virgile par la douceur du caracte re, comme par la douceur de la verfification. C'est ce que je pourrai faire remarquer par plu fieurs endroits, fans parler de ces morceaux fi connus, comme le caractere de Phédre, qui eft une peinture fi vive des remords d'une âme qui abandonne la vertu, ou comme le caractere de Burrhus, qu'on ne peut avoir inventé fans une difpofition naturelle à peindre la probité.

Avec quel refpect & quelle tendresse Iphigénie parle-t-elle de fon pere, Scéne 6. Acte 3. lorf qu'elle veut calmer Achille furieux contre Agamemnon pour l'amour d'elle? Quel regret elle témoigne de la vivacité avec laquelle elle a parlé à Eriphile!

Moi-même, où m'emportoit une aveugle colere
J'ai tantôt fans refpect affligé fa mifere:
Que ne puis-je auffi-bien par d'utiles fecours
Réparer promtement mes injuftes discours!

En demandant fa liberté à Achille, elle veut avoir la fatisfaction de connoître qu'elle va époufer un héros plein d'humanité, qui, non conten de la gloire des armes Laif

Laiffe aux pleurs d'une époufe attendrir fa victoire, Et par les malheureux quelquefois defarmé, Sçait imiter en tout les Dieux qui l'ont formé.

Titus avoue les égaremens de fa jeuneffe.

Ma jeuneffe nourrie à la Cour de Néron S'égaroit, cher Paulin, par l'exemple abusée, Et fuivoit du plaifir la pente trop aifée...

Qu'a-t-il fait pour mériter l'eftime de Bérénice?

J'entrepris le bonheur de mille malheureux;
On vit de toutes parts mes bontés fe répandre:
Heureux, & plus heureux que tu ne peux compren-
dre,

Quand je pouvois paroître à fes yeux fatisfaits,
Chargé de mille cœurs conquis par mes bienfaits.

C'est en faisant fentir à Néron le bonheur de la vertu que Burrhus tâche de l'ébranler.

Ah! de vos premiers ans l'heureuse expérience: Vous fait-elle, Seigneur, haïr votre innocence?

Ces trois ans de vertus font plus d'impreffion fur Néron même, que toutes les remontrances; & il répond à Narciffe qui lui demande ce qui peut l'arrêter:

Tout: Octavie, Agrippine, Burrhus, Senéque, Rome entiere, & trois ans de vertus..

Je ferois connoître par beaucoup d'autres endroits le cœur du Poëte; mais de crainte que ce morceau, qui me paroît court, ne paroiffe trop long à d'autres, je le finis en rapportant de quelle

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maniere Acomat veut diffiper un fcrupule de Ba

jazet.

Le fang des Ottomans

Ne doit point en esclave obéïr aux fermens:
Confultez ces héros que le droit de la Guerre
Mena victorieux jusqu'au bout de la Terre.
Libres dans leur victoire, & maîtres de leur foi,
L'intérêt de l'Etat fut leur unique loi;

Et d'un trône fi faint la moitié n'eft fondée
Que fur la foi promife, & rarement gardée.
Je m'emporte, Seigneur.

Plus d'an Politique débiteroit peut-être de pareilles maximes à fon Maître dans de pareilles circonstances. Cependant ces deux mots, je m'emporte, font juger de ce qu'en penfe l'Auteur, quoiqu'il les mette- dans la bouche d'un GrandVifir.

Je répéte donc que tout Poëte, fans y penfer, laiffe échapper des traits qui font connoître fon caractere; qu'il fe peint toujours dans fes Ouvrages; & que comme ce portrait de fon âme le fera toujours mieux connoître que les traits de fon vifage, confervés dans le tableau le plus reffemblant, tout Poëte en comparant fon propre Ouvrage avec celui du Peintre qui a fait fon portrait, peut dire comme Martial: Certior in noftre carmine vultus erit.

CHA

CHAPITRE VI.

DU VRAI DANS LA POESIE.

EN examinant la nature de la Poëfie, j'ai fait voir jufqu'ici les diverfités qui fe trouvent dans les loix de la Verfification, dans l'ufage des figures, & dans l'imitation des mœurs; diverfités qui ont pour caufe, les unes la différence des langues, les autres la différence des tems & des nations: mais comme dans tous les tems & dans toutes les nations, la Poëfie a eu un agréable empire fur les hommes, je vais chercher fi, indépendamment du génie des langues, du goût des nations, & des modes paffageres, elle ne doit pas cet empire à une beauté certaine & invariable.

M. Pascal femble avoir cru qu'elle n'en avoit aucune qui fût certaine, fi l'on juge de fon fenti. ment par l'une de fes penfées, où l'on eft étonné de lire: Qu'on ne dit point beauté géométrique, mais qu'on dit beauté poëtique, parce qu'on fait bien quel eft l'objet de la Géométrie, mais qu'on ne fait pas en quoi confifte l'agrément qui eft l'objet de la Peëfie.On ne fçait, ajoûte M. Pafcal, quel eft ce modèle qu'il faut imiter. Faute de le connoître, on a inventé cer tains termes bifarres, fiécle d'or, bel aftre, & on a appellé ce jargon beauté poëtique.

y a apparence que ce jargon méprifable, qui étoit encore fort commun du tems de M. Pafcal, lui avoit infpiré un mépris général pour toute Poëfie; & ce mépris, quoiqu'injufte, & conçu faute d'examen, ne deshonoreroit pas un fi grand

gé.

génie, toujours plongé dans des études plus férieufes. On peut cependant mieux expliquer cette penfée, qui n'eft pas affez dévéloppée, & à laquelle, comme à plufieurs autres, l'Auteur n'a pas donné tout le jour qu'elle devoit avoir.

L'objet de la Géométrie est de convaincre; celui de la Poëfie eft de plaire; & l'on n'appelle beauté que ce qui plaît. On ne dit point d'une propofition géométrique, Voilà qui est beau, on dit, Voilà qui eft vrai; & ce jugement eft prononcé par notre raison fur des principes certains. Dans les chofes d'agrément nous difons: Voilà qui est beau, c'est-à dire, Voilà qui nous platt, & ce jugement eft prononcé par l'imagination fans examen; ou plutôt nous ne jugeons point, parce que nous n'examinons point fi cette chofe a le droit infaillible de nous plaire. Nous affurons feulement que dans le moment même elle nous plaît, ce qui ne prouve pas qu'elle doive nous plaire également dans la fuite, parce que la raifon que le tems & la réflexion appellent, réforme fouvent les jugemens précipités de notre imagination.

L'Architecture Gothique qui nous parut belle autrefois, ne nous le paroît plus depuis que le tems nous a fait connoître celle qui prend la nature pour modélé: nous vantons encore la hardieffe de l'Architecture Gothique, elle nous étonne; mais comme elle ne nous plaît plus, nous ne difons plus qu'elle eft belle, nous difons feulement qu'elle eft hardie. Ce modèle qu'il faut imiter, fuivant les termes de M. Pascal eft le même pour la Poëfie; & depuis que nous le fçavons, nous! n'appelions plus beauté, comme autrefois, un ridicule amas de métaphores outrées. Cependant il nous arrive encore de nous tromper, par. ce que l'imagination promte à adınirer ce qui la flatte, prend quelquefois une beauté fardée pour

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