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tous préfens à cet affreux fpectacle, & que les tons que Lully ajoutoit aux paroles, leur faifoient dreffer les cheveux à la tête. Ce que certains hommes, font ainfi fur le champ, lorfque leur imagination eft vivement échauffée, eft quelquefois préférable à tout ce qu'ils font dans leur cabinet avec étude. On rapporte que Mr. Le Brun voyant paffer une criminelle qu'on condui foit à la Grève pour y être brulée, crayonna fes traits fur un papier, & ce crayon fut regardé comme fon chef-d'œuvre. Cet objet d'horreur étoit, comme le chant de Lully, dont je viens de parler, admirable par l'imitation.

Quelques perfonnes fçavantes en Mufique trouvent celle de Lully trop fimple: pour moi je fuis charmé de n'avoir pas des oreilles fi fçavantes, & je regarde Lully dans la Mufique, comme Ho mere dans la Poëfie, & Raphaël dans la Peinture.

Une Mufique, quoique parfaite par les accords, fi elle n'imite point, ne plaira jamais; parce qu'en Mufique, comme dans les Vers, la vérité de l'imitation doit fe trouver dans l'harmonie. A ceux qui ne fentent point cette beauté, j'adreffe ces paroles de Ciceron, quas aures babeant, aut quid in bis bominis fimile fit, nefcio.

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f. I. Si notre Langue a une véritable
Harmonie.

POUVONS-NOUS nous vanter, difent quelques ,, perfonnes, d'avoir une véritable harmonie, nous qui ne parlons qu'un jargon formé de la , corruption de la Langue Latine dans les fiécles de la barbarie? Il étoit permis aux Grecs & ,, aux Romains de vanter leur Poëfie. Celle mê»me des Orientaux eft préférable à la nôtre. Chardin affure que celle des Perfans eft fi har

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» mo.

»monieufe, qu'un homme même qui n'entend ,, pas cette langue, eft fenfible à la cadence & à l'harmonie des Vers Perfans. "

A ceux qui parlent ainfi je commence par leur demander d'où leur vient ce mépris pour leur propre bien, tam infolens domefticarum rerum faftidium (a). Si en lifant une Ode de Malherbe ils ne fentent pas une harmonie, je n'ai rien à leur prouver, ce feroit parler Mufique à qui n'a point d'oreilles; mais s'ils fentent dans cette Ode un arrangement de mots harmonieux, ils doivent donc avouer que notre Langue a, comme une autre, fon harmonie.

J'avoue que l'harmonie des Vers dans une Langue où ils ne font réglés que par le nombre des fyllabes, eft beaucoup inférieure à celle des Vers réglés par la valeur des fyllabes; & fi les Romains difoient que les Mufes avoient particuliérement favorifé les Grecs du don de parler ore rotundo, nous avons plus fujet de nous plaindre nous qui fommes encore bien moins favorifés que les Romains. Il eft vrai que les Mufes prodiguerent leurs bienfaits à ces deux peuples; mais s'enfuitil de-là qu'elles n'ayent traité les autres qu'avec rigueur? Ne fongeons point à ce qu'elles nous ont refufé, fongeons à ce qu'elles nous ont donné. Que dirions-nous d'un homme, qui dans une fortune plus que fuffifante pour fe procurer les principaux agrémens de la vie, foutiendroit qu'il ett pauvre, parce qu'il pourroit nommer deux hommes plus riches que lui? Pourquoi, lui diroit-on, voulez-vous envier le fort de ces favoris de Plutus? regardez plutôt le nombre de ceux dont la fortune eft moins avantageuse que la vôtre.

Nos plaintes contre notre Langue font égale. (a) Ciceron.

ment

ment injustes, & nous ferions contens de notre fort, fi au lieu de le comparer à celui des Grecs & des Romains, nous le comparions à celui de ces peuples du Nord, dont tous les mots font hériffés de confonnes, tandis que notre Langue flatte l'oreille par une douce abondance de voyelles. C'est par un heureux choix de mots pleins de voyelles, que Malherbe eft fi harmonieux.

Quand l'imitation demande de la rudeffe dans les fons, nos bons Poëtes fçavent appeller les confonnes à leur fecours, & dire, pour dépein dre un monftre, .

Indomptable taureau, dragon impétueux,

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Sa croupe fe recourbe en replis tortueux. Pbédre.

Ou faire entendre les ferpens fur la tête des Euménides, en multipliant la confonne qui imite le fifflement.

(1) Pour qui font ces ferpens qui fifflent fur vos têtes?

En lifant ces deux Vers de Boileau,

Andr

N'attendoit pas qu'un bœuf preffé de l'éguillon
Traçât à pas tardifs un pénible fillon.

on eft contraint de les prononcer lentement, aulieu

(1) Ce Vers, où la lettre S eft multipliée, m'en rappelle un autre, où la lettre H eft auffi multipliée à deffein, parce que la Phyfique de Newton eft remplie de calculs algébriques. L'Algébre avec honneur débrouillant ce cabos, de fes hardis calculs hériffe fon Héros. C'eft un pareil exem ple de fons imitatifs: mais après les Vers que j'ai cités, ceux-ci ne peuvent paroître que dans une Note,

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lieu qu'on eft emporté malgré foi dans une prononciation rapide par celui-ci.

Le moment où je parle, eft déja loin de moi.

Et cet autre Vers du même Poëte,

Le chagrin monte en crouppe, & galoppe avee lui.

n'eft-il pas plus rapide dans fa cadence, & plus expreffif par la double image que celui d'Horace, Poft equitem fedet atra cura?

Chaque Langue à fes richeffes & fes beautés : les habiles Ecrivains les font connoître. Quoique la Langue Italienne ne femble faite que pour la douceur, le Dante fçait lui donner une force convenable aux grands fujets. On croit entendre le bruit de la trompette infernale, dans ces Vers du Taffe, ch. 4.

Chama git babitatori de l'ombre eterne
Il rauco fuon de la Tartarea tromba,
Treman le fpaciofe atre caverne

E l'aer cieco à quel rumor rimbonba.

& le bruit d'une tempête dans ceux-ci:

La pioggia, à i gridi, à i venti, à i tuoni s'accorda D'borribile armonia, cb'l mondo afforda.

N'appellons donc point jargons barbares, des Langues comme l'Italienne & la Françoise, qui fçavent exprimer tout ce qu'elles veulent. Admirons leurs richeffes, quoiqu'inférieures à celles des Langues Grecque & Latine; & reconnoiffons l'avantage de notre E muët qui procure à notre verfification l'harmonieux mêlange des rimes fé

minines & mafculines, variété qui rend la rime plus agréable encore dans notre Langue que dans les autres. Cette charmante variété manque à la rime Italienne, qui, quoique plus riche que la nôtre, parce qu'elle demande les deux dernieres fyllabes, fatigue par la répétition continuelle des quatre fons que produifent ce quatre voyelles A, E, I, O.

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§. II. Si nous pouvons juger de l'harmonie des Lan gues mortes, & fi nous devons faire des Vers dans ces Langues.

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Tout ce que je viens de dire fur l'harmonie ne perfuade point ceux qui étendent leur efprit de Pyrrhonifme jufques fur les matieres de fentiment. Ce n'eft, difent-ils, que par préjugé & par habitude qu'un certain arrangement de mots nous paroît plus harmonieux qu'un autre. Comment pouvons-nous juger de l'harmonie des Vers Grecs & Latins, puifque nous ignorons la véritable prononciation de ces Langues? Nous n'élevons Homere & Virgile au- deffus des autres Poëtes, que parce qu'on nous a nourris dans cette opinion. Ceux de leurs Vers que nous admirons le plus, ne nous paroiffent plus beaux que les autres, que par une fuite du même préjugé.'

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Nous ignorons fans doute la véritable prononciation des Langues mortes, & par conféquent toute la délicateffe de leur harmonie ne nous eft pas connue; mais elles nous affectent toujours par une harmonie principale, & nous en jugeons, non par préjugé, mais par fentiment. Les Vers d'Ennius, & ceux de Lucréce, ne flattent point notre oreille comme ceux de Virgile. L'eftime que nous faifons de Properce pour Elégie, ne

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nous

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