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nes qui ont prétendu que dans les loix de la Verfification, on avoit moins confulté la beauté qui plaît, que la difficulté qui étonne, enforte que, fuivant leur fentiment, nous n'admirons les vers que parce que nous admirons la peine qu'ils ont coutée à l'Auteur, & notre plaifir ne confifte que dans la réflexion que nous faifons fur la difficulté vaincue.

L'expérience détruit tous les jours cette opinion. Il eft plus aifé de danfer fur la terre, que fur une corde tendue en l'air. Cependant la grace d'un Danfeur ordinaire nous fait plus de plaifir que l'adreffe d'un Danfeur de corde. Ce dernier nous étonne, mais le plaifir qu'il nous caufe ne nous arrête pas long-tems, & nous eftimons médio. crement le mérite de celui qui nous le procure. Qu'un homme exécute parfaitement fur un inftru. ment une pièce de Mufique très-difficile, mais fans harmonie, nous vanterons l'habileté de la main qui exécute, mais nos oreilles feront mé. Ce n'eft pas ce qui nous étonne qui nous procure du plaifir, mais ce qui nous affecte.

contentes,

Si nous n'admirions les Vers qu'à caufe de la difficulté vaincue, en multipliant les difficultés de la Verfification, on auroit auffi multiplié les fujets d'admiration. Le contraire eft arrivé. On a toujours méprifé ces Vers Techniques, enfans du mauvais goût; les Rophaliques, Retrogrades, Léonins, Numéraux, Soladiques, Acroftiches, &c. & ces Piéces anciennes (car le mauvais goût est de tous les tems) que leurs formes mystérieuses ont fait nommer, la flute, l'autel, l'œuf, les alles, la bacbe, &c. & que leur antiquité ne rend pas plus refpectables. Nous avons eu, auffi bien que les Anciens, nos puérilités poëtiques: on eft fàché de voir Marot digne d'un meilleur fiécle, cher. cher des rimes artificielles, & tantôt répéter au

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commencement d'un Vers le dernier mot du précédent.

Dieu gard ma maîtreffe & régente,
Gente de corps & de façon.
Son cœur, &c.

tantôt finir fes Vers par des fyllabes répétées.

Ma blanche Colombelle belle,
Souvent je vais priant, criant;
Mais deffus la cordelle d'elle, &c.

Nos bouts rimés depuis leur défaite chantée par Sarrazin, n'ont plus amufé que des efprits trèsoififs. Nos Lays, Virelays, Ballades & Rondeaux, n'ont eu qu'une mode paffagere. Les Danfes, qui donnerent peut-être la naiffance à ces petites Piéces, furent auffi la caufe de leurs refreins, qui n'ont par eux-mêmes aucune grace; & fi quelques anciens Rondeaux fe font fauvés du naufrage, fi Rouffeau en a fait quelques-uns qui nous plaifent, ils doivent leur bonheur à un mérite véritable, plutôt qu'à la froide répétition d'un mot, qui ne pouvoit faire plaifir qu'au tems de Benferade. A la tête des Comédies de Plaute, on en trouve les argumens en acroftiches, qui font très-anciens, & peut-être de Plaute même. Un miférable Faifeur de Vers Latins, qui s'appelloit Petrus Porcius, fit une Piéce de deux cens Vers, dont tous les mots commençoient par la lettre P, & un Religieux en dédia une à Charles le Chauve, dont chaque mot commençoit par la lettre C. Les Poëtes Perfans, au rapport de Chardin, cher. chent une beauté toute oppofée à celle-ci. Ils compofent des Piéces dans lesquelles l'entrée eft interdite à une lettre de l'alphabet. Un de ces

Poë

Poëtes lifoit au Roi un Poëme dans lequel la lettre A ne fe trouvoit jamais. Le Roi, que la Piéce ennuyoit, dit au Poëte qu'il eût mieux fait de retrancher encore les autres lettres.

Nos Poëtes fameux n'ont point perdu leur tems dans des travaux puériles: il paroît même qu'ils ont fort négligé le Sonnet, autrefois fi eftimé. S'il a mérité de l'être, ce n'eft point

Parce qu'en deux quatrains de mesure pareille La rime avec deux fons frappe huit fois l'oreille,

& que fes Vers font partagés en deux tercets; mais parce que ce petit Poëme fut confacré particuliérement à la nobleffe des penfées, & au choix des mots, jufques-là que le retour du même mot y fut défendu; & quelque éloge que Boileau faffe d'un Sonnet, il donne l'építéthe de bizarre au Dieu qui en inventa les loix.

On dit à ce propos qu'un jour ce Dieu bizarre Voulant pouffer à bout tous les Rimeurs François, Inventa du Sonnet les rigoureuses loix.

Un Rimeur, qui ne trouvoit point ces loix affez rigoureuses, adreffa, à Louis XIV. un Sonnet en acroftiches & en échos. C'eft acheter bien chérement le mépris.

Turpe eft difficiles babere nugas,

Et ftultus labor eft ineptiarum.

Tout ce qui fent l'artifice ne peut plaire, parce que rien n'eft beau que ce qui imite la Nature, dans le fein de laquelle nos plaifirs prennent leur fource. Les loix de la Verfification en font forties, & c'eft dans cette fource que je vais chercher la caufe du plaifir qu'elle nous procure.

E 6

ON

Notre âme & notre corps font fi étroitement unis enfemble, que leurs plaifirs & leurs peines font prefque toujours inféparables. Les paroles frappent d'abord nos oreilles, qui font chargées de les recevoir, & de les faire arriver à l'âme: il faut donc que pour y arriver heureufement, & en être bien reçues, elles foient agréables à celles qui font chargées du foin de les introduire. Si elles déplaifent dans le veftibule, dit Quintilien, elle ne feront pas introduites. Nibil intrare poteft in affectum, quod in aure velut quodam veftibuloftatim offendit. La néceffité de plaire aux oreilles eft donc indifpenfable; mais comme elles font diffi ciles, dédaigneufes, & même inconftantes, que les mots qui leur ont plû pendant un tems, quel. quefois dans un autre tems peuvent les choquer, ce font ces caprices différens qu'étudient ceux qui veulent nous plaire, & l'étude qu'ils en ont faite, a donné lieu aux régles de la Verfification, qui ne tend qu'à la perfection de l'har monię.

Le bruit d'une eau qui tombe d'un rocher, fait un certain plaifir à notre oreille, par la mesure qu'elle obferve dans fa chute; mais l'uniformité de cette même mefure nous endort fi nous l'écoutons long-tems. L'harmonie des fons confifte dans le rapport qu'ils ont entre eux: fi ce rapport étoit uniforme il feroit ennuyeux: leur variété en rend le plaifir plus durable. Quand les fons expriment des penfées, ils doivent non feulement avoir entr'eux ce rapport jufte & varié qui contente l'oreille: pour contenter encore notre âme, ils doivent avoir un rapport avec les pensées qu'ils expriment. Voilà le fondement de tout ce que je dirai fur la Verfification.

:

L'harmonie du difcours confifte donc en deux chofes dans l'arrangement des mots, ce que j'appellerai l'Harmonie mécbanique; & dans le rapport

de

de cet arrangement avec les penfées, ce que j'appellerai l'Harmonie imitative.

L'unique but des régies de la Verfification dans toutes les langues a été la réunion de ces deux harmonies, pour contenter à la fois l'òreille & l'âme. C'eft ce que je vais tâcher d'éclaircir.

ARTICLE 1.

De l'Harmonie Mécanique.

Les loix de tous les Arts, qui ont pour objet

l'imitation, furent le fruit de nos obfervations fur la Nature, notatio naturæ peperit artem, dit Ciceron. Les premiers Poëtes chantoient leurs Vers, & les mêmes obfervations qui firent régler la me fures des airs, firent auffi régler la mefure des pa. roles qui accompagnoient ces airs. Les régles de la Poëfie & de la Mufique fortant de la même fource, eurent la même fin; mais celles de la Poëfie ne furent pas les mêmes, à caufe de la dif férence des langues.

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On remarqua d'abord que pour rendre le difcours harmonieux, il falloit lui donner une mefure, & rendre cette mefure fenfible à l'oreille. Le moyen de la rendre fenfible étoit d'établir des repos dans la prononciation; ce qui fit établir la céfure, qui eft commune à toutes les langues. Il ne fut pas fi aifé de fixer la mefure: il falloit la régler ou fur le nombre, ou fur la valeur des fyllabes, Les peuples qui purent la régler fur la valeur des fyllabes, furent les peuples particuliérement favorisés des Mufes. Les autres qui, dans leur prononciation, ne faifoient pas fentir fi diftinctement la valeur de toutes leurs fyllabes, furent

E 7

obli

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