Page images
PDF
EPUB

PARIS.

Impr. J. CLAYE.

A. QUANTIN et C, rue Saint-Benoît.

DES

DEUX MONDES

XLVIII ANNÉE. TROISIÈME PÉRIODE

TOME VINGT-NEUVIÈME

PARIS

BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES

RUE BONAPARTE, 17

1878

LE CONSEIL D'ÉTAT

ET

LES RECOURS POUR EXCÈS DE POUVOIRS

La juridiction administrative a été, à diverses reprises, l'objet d'attaques très vives. Ce ne sont pas seulement son organisation, ses formes de procéder, l'étendue de ses attributions, qui ont été contestées; son existence même a été mise en question, et l'on a'pu croire, à certains momens, qu'elle était condamnée par l'opinion libérale. Et cependant elle est toujours debout, et les différentes assemblées législatives qui avaient entendu se produire ces attaques ont toutes, quel que fût le régime politique, ajouté des attributions nouvelles à celles dont le conseil d'état et les juridictions qui lui sont subordonnées étaient investis. Il y a là un fait dont il peut être intéressant de rechercher les causes.

l'existence de la juridiction administrative était contraire au principe de la séparation des pouvoirs, tel que l'entendait Montesquieu;

Il s'est trouvé des hommes considérables pour soutenir que

que l'assemblée constituante de 1789, en l'organisant, avait commis une erreur à laquelle l'avaient entraînée ses préjugés contre les parlemens, qu'il ne pouvait pas y avoir deux ordres de justice, que l'autorité judiciaire seule devait statuer sur les réclamations formées contre l'administration quand elles avaient pour base un texte tendre que la justice administrative était organisée pour donner de loi, de règlement ou de contrat. On a même été jusqu'à pré

toujours gain de cause à l'état, et l'on s'efforçait de le prouver en faisant ressortir les dispositions anormales qui, pendant un certain temps, ont réglé la constitution du personnel et le mode de procéder de ces juridictions. Si ces reproches eussent été fondés, l'institution attaquée aussi

énergiquement n'aurait pas survécu à cette polémique; mais il s'est élevé des voix très autorisées pour défendre, au point de vue des principes, l'œuvre de l'assemblée constituante, confirmée, après discussion, par toutes les assemblées législatives qui lui ont succédé, et l'un des hommes qui ont le plus honoré le conseil d'état par leurs travaux, M. Vivien, a publié sur cette question en 1841, dans la Revue, des pages qui n'ont rien perdu de leur force. Ce n'est pas à nous qu'il conviendrait de mettre en doute l'influence considérable qu'ont exercée sur le revirement de l'opinion publique l'habileté des défenseurs de la juridiction administrative et la solidité des argumens qu'ils ont su faire valoir. Nous n'avons pas l'intention de reprendre l'œuvre de discussion qu'ils ont menée à bonne fin; mais il faut dire que le succès de leurs théories est dû en partie à deux faits considérables : les réformes introduites dans l'organisation et la procédure de cette juridiction, et les services qu'elle a rendus au public en le protégeant contre les erreurs et les entraînemens des agens de l'administration.

Il y a eu dans le premier fait une satisfaction légitime donnée aux réclamations de ceux qui lui reprochaient de ne pas offrir les garanties extérieures qu'on trouve devant l'autorité judiciaire. A ces garanties extérieures, la jurisprudence du conseil d'état est venue ajouter une démonstration pratique de la protection efficace que les droits privés pouvaient trouver dans le contrôle de la juridiction administrative; et, comme l'expérience s'est prolongée pendant plusieurs générations, à travers différens régimes politiques, il a été bien établi que ce n'était pas seulement au mérite de quelques hommes, mais à la nature même de l'institution qu'on devait attribuer ces précieux résultats.

Un des points les plus saillans, nous dirions volontiers les plus curieux, de cette jurisprudence, c'est la création du recours pour excès de pouvoirs. Le conseil d'état, on peut le reconnaître aujourd'hui, a eu quelque peine à trouver dans les textes de loi, avant la loi du 24 mai 1872, la base de ce recours qui lui fait exercer tous les pouvoirs d'une cour de cassation sur les actes de tous les agens de l'administration, sur ceux des juridictions administratives qui statuent en dernier ressort et même sur ceux des corps électifs, comme les conseils généraux et les conseils municipaux quand ils ont une autorité propre. Cependant il a réussi dans cette tâche difficile, il a développé ses doctrines avec une persévérance et un esprit de suite qui ne se sont jamais démentis pendant plus de cinquante ans, et c'est à lui plus qu'au législateur, nous sommes autorisé à le dire, que les citoyens doivent être reconnaissans des garanties données par ce recours.

« PreviousContinue »