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qu'il voit que toutes les phrases qu'il est obligé d'admirer sont harmonieuses quoique construites différemment, il conclut que la beauté du style ne consiste pas dans les constructions, et il l'attribue uniquement à l'harmonie.

Il auroit dû voir qu'indépendamment de l'harmonie, il y a, suivant les cas, différens choix à faire dans les termes et dans les tours; que les plus communs ont des droits sur nous; si l'application en est juste et que dans telle construction une inversion est un vice, tandis que dans une autre elle est une beauté. Mais il étoit frappé de l'harmonie; et parce qu'elle se trouvoit dans tous les exemples, sur lesquels il faisoit ses observations, il croyoit qu'elle renfermoit seule tout le secret de l'art d'écrire.

Les langues grecque et latine ayant beaucoup d'harmonie, devoient avoir une énerсопр gie dont il n'est pas possible aujourd'hui de se faire une idée. Cette harmonie devenoit même souvent la principale partie du style, celle à laquelle l'orateur et le poëte sacrifioient tout: plus proportionnée au grand nombre des auditeurs, l'effet en

étoit plus sûr. C'est pourquoi il ne seroit pas étonnant de trouver dans les plus beaux endroits de ces écrivains des termes et des constructions qui ne s'accorderoient pas tout-à-fait avec le principe de la plus grande liaison des idées. Mais alors ce défaut étoit sauvé par un plus grand accord qui se trouvoit dans l'harmonie. Au reste, il n'est pas douteux que ces morceaux n'eussent été plus beaux encore, si, sans rien perdre d'ailleurs, ils s'étoient conformés en tout au principe que j'ai établi.

CHAPITRE II I.

De l'harmonie propre à notre
langue.

E

Le français n'ayant point d'accent, n'a pint d'inflexion syllabique. Il n'a donc pas une prosodie propre à former un chant, et on ne comprend pas comment quelques écrivains ont pu penser qu'il est aussi susceptible d'harmonie que le grec et le latin. Nous ne l'imaginons pas seulement, cette harmonie des langues anciennes, et nous voulons, par des raisonnemens, la trouver dans la nôtre? Mais pourquoi disputer sur une chose dont le sentiment est le seul juge? Qu'on nous fasse entendre des poëtes et des orateurs qui fassent, sur notre oreille, des ces impressions qui ravissoient les Grecs et les Romains, et il sera prouvé que notre langue est aussi harmonieuse que les langues grecque et latine.

La longueur de nos syllabes est inappréciable. Nos longues et nos brèves sont

comine ces longues plus longues, et ces brèves plus brèves, auxquelles les anciens n'avoient nul égard. Il y a du nombre dans notre langue comme il y en a dans un chant composé de notes de même va leur. Tous les temps de chaque mesure sont égaux, ou du moins on compte pour rien la différence qui est entre eux. Les pieds de nos vers sont uniquement marqués par le nombre des syllabes, et ce n'est que dans la rime que nous consultons la longueur ou la briéveté. Aussi la mesure n'est-elle pas égale dans deux vers de même espèce.

Traçât à pas tardifs un pénible sillon

est plus long que

Le moment où je parle est déjà loin de moi.

sont pas

Les hémistiches même ne sont égaux: un pénible sillon est plus court que tracát à pas tardifs. Nous sommes donc obligés d'altérer continuellement la mesure; nous la retardons ou nous la précipitons. Les latins, au contraire, la

conservoient toujours la même, et cependant ils avoient l'avantage d'exprimer à leur gré la rapidité ou la lenteur. Notre langue et donc beaucoup moins propre peindre le mouvement.

à

Cependant elle n'est pas à cet égard sans expression. Nous exprimons la rapidité par une suite de syllabes brèves ;

Le moment où je parle est déjà loin de moi.

et la lenteur par une suite de syllabes longues.

Traçât à pas tardifs un pénible sillon.

Quand Boileau dit:

Et lasse de parler, succombant sous l'effort,
Soupire, étend les bras, ferme l'oeil et s'endort.

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Il exprime le caractère de la mollesse par un mouvement lent. Car les repos du second vers ralentissent les syllabes ire bras, œil, et le rendent sensiblement plus long que le premier. Le le premier. Le passage au sommeil se peint aussi dans la prononciation du mot s'endort, parce que la voix qui

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