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CHAPITRE I I.

Conditions les plus propres à rendre une langue harmonieuse.

ON conçoit qu'une langue pourroit exprimer toutes sortes de mouvemens, si la durée de ses syllabes étoit dans le même rapport que les blanches, les noires, les croches, etc.; car elle auroit des temps et des mesures aussi variés que la mélodie.

Si cette langue avoit encore des accens, en sorte que, d'une syllabe à l'autre, la voix pût s'élever et s'abaisser par des inflexions déterminées, sa prosodie approcheroit d'autant plus du chant, qu'il y auroit, entre l'accent le plus grave et l'accent le plus aigu, un plus grand nombre d'intervalles appréciés.

La langue grecque a été en cela supérieure à toutes les autres. Denis d'Halycarnasse, qui traite de la prosodie avec plus de soin qu'aucun rhéteur, distingue dans la musique la mélodie, le nombre, la

variété,

variété, le convenable; et il assure que l'harmonie oratoire à les mêmes qualités. Il remarque seulement que le nombre n'y est pas marqué d'une manière aussi sensible et que les intervalles n'y sont pas aussi grands.

pas aussi

de

1°. Le nombre oratoire n'étoit sensible ni aussi varié que le nombre musical, parce qu'il ne pouvoit renfermer que deux temps, des longues et des brèves; c'étoit un chant qui n'étoit formé que noires et de croches. Les Grecs, à la vérité, avoient des longues plus longues, des brèves plus brèves; mais cette différence étoit inappréciable, et on n'y avoit aucun égard dans la mesure.

La mesure contenoit un certain nombre de pieds, et le pied un certain nombre de temps, c'est-à-dire, deux ou trois syllabes, toutes longues, toutes brèves, ou mêlées de longues et de brèves. Par ce moyen, l'harmonie oratoire ou poétique avoit ses chûtes, comme la musique a ses cadences. Quand on lit, dans Denis d'Halycarnasse, que chaque pied avoit un caractère particulier, on comprend combien le nombre

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pouvoit alors contribuer à l'expression des

sentimens.

2o. Lorsque cet écrivain dit que dans l'harmonie oratoire les intervalles ne sont pas aussi grands que dans l'harmonie mu sicale, il remarque qu'elle a toute l'étendue d'une quinte, c'est-à-dire, qu'elle parcourt trois tons et demi,

Dans cet intervalle on en distinguoit plusieurs autres; car la voix s'élevoit, de l'accent le plus grave au plus aigu, par différentes inflexions. Ainsi, les trois tons et demi qui forment la quinte étoient plus ou moins divisés, et ces divisions étoient marquées par autant d'accens.

Les grammairiens ne s'accordent point sur le nombre des accens. Il est vraisem

blable que ce peu de conformité vient des temps où ils ont écrit. Comme rien ne varie tant que la prononciation, le nombre des accens a dû augmenter ou diminuer. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Grecs en avoient beaucoup, et que les Romains qui, dans les commencemens, en avoient fort peu, en ont, dans la suite, introduit dans leur langue autant qu'il leur a été possible.

Il faut considérer qu'il y avoit alors deux sortes d'inflexions, celles qui appartenoient à la syllabe, quelle que fût la signification du mot, et celle qui appartenoit à la pensée. Nous ne connoissons plus les inflexions syllabiques, et ce n'est pas sur le mot, mais sur la pensée que les orateurs élèvent ou abaissent la voix. Chez les Grecs, l'art de l'orateur consistoit encore dans le choix et dans l'arrangement des syllabes; il falloit que les inflexions syllabiques fussent d'accord avec les inflexions de la pensée. Alors le méchanisme du style avoit l'harmonie convenable, c'est-à-dire, une harmonie qui contribuoit à l'expression du sentiment, et qui avoit avec lui la plus grande liaison possible. Ainsi, dans cette partie comme dans tout le reste, l'art oratoire étoit subordonné au principe que nous avons établi.

L'harmonie imite certains bruits, exprime certains sentimens, ou bien elle se borne seulement à être agréable. Dans les deux premiers cas, il y a un choix qui est déterminé; dans le dernier, le choix est arbitraire. Les écrivains n'étoient donc bornés

à un certain genre de mélodie, que lorsqu'ils avoient quelque chose à peindre; dans tout le reste il leur suffisoit d'être harmonieux. L'harmonie expressive étoit plus particulière aux poëtes et aux orateurs. Peut-on croire qu'il n'y eut qu'une harmonie sans expression dans ces périodes dont les chûtes faisoient un si grand effet? Sans doute on étoit remué par l'énergie des sons comme par la force de la pensée.

Une erreur de Denis d'Halycarnasse nous apprend quelle étoit la force des prestiges de l'harmonie du style. Lorsqu'il cherche ce qui fait la beauté des vers d'Homère, il demande si c'est le choix des expressions, et il ne le croit pas par une raison bien fausse. C'est, remarque-t-il, que ce poëte n'emploie que des mots qui sont dans la bouche de tout le monde. Il imagine ensuite que les mots doivent être arrangés suivant la subordination des idées; le nom,puis le verbe, puis le régime, etc.; mais il change bientôt de sentiment, parce qu'il trouve des exemples où d'autres arrangemens plaisent davantage. Il continue, il épuise toutes les combinaisons, et parce

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