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LIVRE

QUATRIÈME.

Du caractère du style, suivant les différens genres d'ou

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vrages.

Le premier livre, Monseigneur, vous à fait connoître ce qui est nécessaire à la netteté des constructions; le second vous a montré comment les tours doivent varier suivant le caractère des pensées; et le troisième a développé à vos yeux le tissu qui se forme par la suite des idées principales et des idées accessoires : il nous reste à examiner le style par rapport aux différens genres d'ouvrages.

Vous

voyez d'abord que le principe doit être le même. En effet, un discours ne diffère d'une phrase que comme un grand nombre de pensées diffère d'une seule; et, par conséquent, l'on donne un caractère à tout un discours, comme on en donne

un à une phrase: dans l'un et l'autre cas la chose dépend également de l'ordre des idées et de leurs accessoires. Il faut donc connoître en général quel est cet ordre, et quels sont ses accessoires. Nous allons commencer par quelques réflexions sur la méthode.

CHAPITRE PREMIER.

Considérations sur la méthode.

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ON méprise la méthode, ou on l'exalte. Bien des écrivains regardent les règles comme les entraves du génie. D'autres les croient d'un grand secours mais ils les choisissent si mal, et les multiplient si fort, qu'ils les rendent inutiles ou même nuisibles. Tous ont également lort: ceuxlà de blâmer la méthode, parce qu'ils n'en connoissent pas de bonne; ceux-ci de la croire nécessaire lorsqu'ils n'en connoissent que de fort défectueuse.

Un ouvrage sans ordre peut réussir par les détails, et placer son auteur parmi les bons écrivains; mais plus d'ordre le rendroit digne de plus de succès. Dans les matières de raisonnement, il est impossible que la lumière se répande également sur toutes les parties, si la méthode manque: dans les choses d'agrément, il est au moins

certain que tout ce qui n'est pas perd de sa beauté.

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Mais sans nous arrêter sur toutes ces discussions, définissons la méthode, et sa nécessité sera démontrée. Je dis donc que la méthode est l'art de concilier la plus grande clarté et la plus grande précision avec toutes les beautés dont un sujet est susceptible.

Il y a des écrivains qui ne sauroient se renfermer dans leur sujet. Ils se perdent dans des digressions sans nombre, ils ne se retrouvent que pour se répéter: il semble qu'ils croient, par des écarts et par des répétitions, suppléer à ce qu'ils n'ont pas su dire.

D'autres changent de ton, sans consulter la nature du sujet qu'ils traitent. Ils se piquent d'être éloquens, lorsqu'ils devroient se contenter de raisonner. Ils analysent, lorsqu'ils devroient peindre, et leur imagination s'échauffe et se refroidit presque toujours mal-à-propos.

Pour ne point s'égarer dans le cours d'un ouvrage, pour dire chaque chose à sa place, et pour l'exprimer convenablement, il est

absolument nécessaire d'embrasser son objet d'une vue générale. L'obscurité, lorsqu'elle est rare, peut naître d'une distraction; mais lorsqu'elle est fréquente, elle vient certainement de la manière confuse dont on saisit la matière qu'on traite. On ne juge bien des proportions de chaque partie que lorsqu'on voit le tout à-la-fois.

Les poëtes et les orateurs ont de bonne heure senti l'utilité de la méthode. Aussi a-t-elle fait chez eux les progrès les plus rapides. Ils ont eu l'avantage d'essayer leurs productions sur-tout un peuple: témoins des impressions qu'ils causoient, ils ont observé ce qui manquoit à leurs ouvrages.

Les philosophes n'ont pas eu le même

secours. Regardant comme au-dessous d'eux d'écrire pour la multitude, ils se sont fait long-temps un devoir d'être inintelligibles. Souvent ce n'étoit-là qu'un détour de leur amour-propre : ils vouloient se cacher leur ignorance à eux-mêmes, et il leur suffisoit de paroître instruits aux yeux du peuple, qui, plus fait pour admirer que pour. juger, les croyoit volontiers sur leur parole Les philosophes n'ayant donc pour juges

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