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TROISIÈM E.

L

Du tissu du discours.

Il faut que dans un discours les idées principales soient liées entr'elles par une gradation sensible et par les accessoires qu'on donne à chacune; et le tissu se forme, lorsque toutes les phrases construites par rapport à ce qui précède et à ́ ce qui suit, tiennent les unes aux autres par les idées où l'on apperçoit une plus grande liaison.

Mais il y a ici deux inconvéniens à éviter l'un est de s'appesantir sur des idées que l'esprit suppléeroit aisément; l'autre est de franchir des idées intermédiaires, qui seroient nécessaires au développement des pensées. C'est au sujet qu'on traite à déterminer jusqu'à quel point on doit marquer les liaisons; et cette partie də l'art d'écrire demande un grand discernement.

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Il y a des artisans de style, qui font toujours leurs constructions de la même manière ils les jettent toutes au même moule. Les uns aiment les périodes, parce qu'ils croient être plus harmonieux ; les autres, préfèrent le style coupé et haché, parce qu'ils croient être plus vifs. Il en est enfin qui portent le scrupule jusqu'à compter les mots : ils ne se permettent pas d'en construire ensemble au-delà d'un certain nombre toute leur attention est d'entremêler les phrases courtes et les phrases longues, d'éviter les hiatus, et ils prennent leur style compassé pour de l'harmonie.

L'écrivain qui a du génie, ne se conduit pas ainsi plus il a l'esprit supérieur, plus il apperçoit de variété dans les choses: il en saisit le vrai caractère, et il a autant de manières différentes qu'il a de sujets à traiter.

Rien ne nuit plus à la clarté, que la violence que l'on fait aux idées, lorsque l'on construit ensemble celles qui voudroient être séparées, ou lorsqu'on sépare celles qui voudroient être construites ensemble. On lit, on croit entendre chaque

pensée,

pensée; et quand on a achevé, il ne reste rien, ou du moins il ne reste que des traces fort confuses.

Il n'est pas possible, Monseigneur, d'entrer à ce sujet dans le détail de toutes les observations nécessaires. Il suffira de vous en faire quelques-unes. La lecture des bons écrivains achevera de vous instruire: mon unique objet est de vous mettre en état d'en profiter.

Quand vous vous serez accoutumé à appliquer le principe de la plus grande liaison, vous saurez conformer votre style aux sujets que vous aurez à traiter ; vous connoîtrez l'ordre des idées principales ; vous mettrez les accessoires à leur place; vous éviterez les superfluités; et vous vous arrêterez sur les idées intermédiaires, qui mériteront d'être développées.

CHAPITRE PREMIER.

Comment les phrases doivent êtra construites les unes pour les

autres.

DEUX EUX pensées ne peuvent se lier l'une à l'autre que par les accessoires et par les idées principales. Commençons par un exeinple.

Quand l'histoire seroit inutile aux autres hommes, il faudroit la faire lire aux princes. Il n'y a pas de meilleur moyen de leur découvrir ce que peuvent Les passions et les intérêts, les temps et les conjonctures, les bons et les mauvais conseils. Les histoires ne sont composées que des actions qui les occupent, et tout semble y étre fait pour leur usage. Si l'expérience leur est nécessaire pour acquérir cette prudence qui fait régner, il n'est rien de plus utile à leur instruction que de joindre les exemples des siècles passés aux expériences qu'ils

font tous les jours. Au lieu qu'ordinairement ils n'apprennent qu'aux dépens de leurs sujets et de leur propre gloire à juger des affaires dangereuses qui leur arrivent par le secours de l'histoire, ils forment leur jugement, sans rien hasarder, sur les événemens passés. Lorsqu'ils voient jusqu'aux vices les plus cachés des princes, malgré les fausses louanges qu'on leur donne pendant leur vie ; exposés aux yeux de tous les hommes, ils ont honte de la vaine joie que leur cause la flatterie, et ils connoissent que la vraie gloire ne peut s'accorder qu'avec le mérite.

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Il n'y a ici que deux légères négligences: l'une à ces mots sur les événemens passés; qui font un sens louche avec sans rien hasarder. Bossuet auroit pu dire : forment, sans rien hasarder, leurjugement. L'autre est dans louanges qu'on leur donne; car leur est équivoque : d'ailleurs tout est parfaitement lié.

Pour vous mieux faire sentir cette liaison, substituons d'autres constructions à celles de Bossuet, et disons:

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