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sérieusement ce qu'il seroit ridicule de révoquer en doute.

Cette critique n'est pas fondée. Il est vrai qu'à considérer la chose en elle-même, il y auroit de la puérilité, non-seulement dans les vers de Malherbe, il y en auroit encore dans le fond de la pensée, que la puissance et la grandeur des rois ne les affranchissent pas de la mort. Mais le poëte parle d'après les idées du commun des hommes qui, étant éblouis de l'éclat du trône, sont presqu'étonnés que les rois

meurent comme nous.

Il y auroit plus de raison à critiquer ce

vers:

Le

pauvre en sa cabane où le chaume le couvre.

Car, quel est l'objet de Malherbe ? C'est de montrer que rien ne résiste à la mort. Or c'est à quoi le toit de chaume est toutà-fait inutile. On ne s'apperçoit pas d'abord de ce défaut, parce que cette image plaît. par son constraste avec le Louvre. Mais ce n'est pas assez que deux parties d'un tableau soient liées, il faut encore qu'elles concourent à la même expression. Horace

a dit: la pále mort frappe du méme pied les cabanes des pauvres et les tours des rois. Ce tour n'a rien d'inutile. Horace s'est plus attaché à peindre la mort en action. Malherbe, au contraire, a préféré de peindre la puissance des rois qui succombent.

L'abbé Desfontaines traduit ainsi le poëte latin : le pied de la pále mort frappe également à la porte des cabanes et des palais. Mais également au lieu du méme pied, palais au lieu de tours sont foibles. D'ailleurs ce n'est pas montrer la puissance de la mort que de la représenter frappant à la porte.

-Les quatre premiers vers de Malherbe sont mauvais. Les expressions n'en sont pas nobles, elles sont même fausses; car se boucher les oreilles aux cris, est l'action d'un caractère qui craindroit de se laisser toucher.

Ces êtres moraux qu'on fait agir ou parler appartiennent plus particulièrement à la poësie. La règle est de les caractériser relativement aux idées reçues, et aux actions qu'on leur attribue. J'aurai plus d'une

fois occasion de vous faire faire l'appli cation de cette règle, qui n'est qu'une conséquence du principe de la liaison des idées.

Quand vous lirez la fable, vous verrez jusqu'où on a multiplié les êtres imaginaires, et de quelle ressource étoient, pour l'ancienne poësie, des fictions qui ne sont presque plus, pour la nôtre, que des allégories froides. Nous examinerons l'usage que les poètes en peuvent faire.

CHAPITRE XIV.

Des inversions qui contribuent à la beauté des images.

LES formes qui consistent dans le seul arrangement des mots ne changent rien au fond des pensées, elles n'ajoutent même aucune modification; mais elles placent chaque idée dans son vrai point de vue: c'est un clair-obscur sagement répandu.

Vous avez vu que pour écrire clairement, il faut souvent s'écarter de la surbordination où l'ordre direct met les idées; et je vous ai suffisamment expliqué quel est, en pareil cas, l'usage qu'on doit faire des inversions. Mais cette loi que prescrit la clarté est encore dictée par le caractère qu'on doit donner au style, suivant les sentimens qu'on éprouve. Unhomme agité et un homme tranquille n'arrangent pas leurs idées dans le même ordre: l'un peint avec chaleur, l'autre juge de sang-froid. Le langage de celui-là est l'expression des

:

rapports que les choses ont à sa manière de voir et de sentir le langage de celuici est l'expression des rapports qu'elles ont entr'elles. Tous deux obéissent à la plus grande liaison des idées, et chacun cependant suit des constructions différentes.

Lorsqu'une pensée n'est qu'un jugement, il suffit, pour bien construire une phrase, de se souvenir de ce qui a été dit dans le premier livre. Mais un sentiment, ainsi qu'une image, demande un certain ordre dans les idées, et il faut que cet ordre se rencontre avec la clarté.

Dans un tableau bien fait, il y a une subordination sensible entre toutes les parties. D'abord le principal objet se présente accompagné de ses circonstances de temps et de lieu. Les autres se découvrent ensuite dans l'ordre des rapports qu'ils ont à lui; et par cet ordre la vue se porte naturellement d'une partie à une autre, et saisit sans effort tout le tableau.

Cette subordination est marquée par le caractère donné aux figures, et par la manière dont on distribue la lumière sur chacune.

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