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figure a besoin d'être préparée, toutes les fois que le terme substitué n'a pas une analogie assez sensible avez celui qu'on rejette. Vous voyez aussi qu'une figure est soutenue, lorsque vous conservez la même analogie dans tous les termes que vous employez.

CHAPITRE VI 1 I.

Considérations sur les tropes.

Vous savez, Monseigneur, comment les mêmes noms ont été transportés des objets qui tombent sous les sens, à ceux qui leur échappent. Vous avez remarqué qu'il y en a qui sont encore en usage dans l'une et l'autre acception, et qu'il y en a qui sont devenus les noms propres des choses, dont ils avoient d'abord été les signes figurés.

Les premiers, tels que le mouvement de l'ame, son penchant, sa réflexion, donnent un corps à des choses qui n'en ont pas. Les seconds, tels que la pensée, la volonté, le désir, ne peignent plus rien, et laissent aux idées abstraites cette spiritualité qui les dérobe aux sens. Mais si le langage doit être l'image de nos pensées, on a perdu beaucoup, lorsqu'oubliant la première signification des mots, on a effacé jusqu'aux traits qu'ils donnoient aux

idées. Toutes les langues sont en cela plus ou moins défectueuses; toutes aussi ont des tableaux plus ou moins conservés.

Voulez-vous, Monseigneur, en sentir les beautés? Il faut vous accoutumer de bonne heure à saisir cette analogie, qui fait passer les mots par différentes acceptions; il faut apprendre à voir les couleurs où elles sont. Dur, par exemple, signifie dans le propre un corps dont les parties résistent aux efforts qu'on fait pour les séparer; et cette idée de résistance l'a fait étendre à bien d'autres usages: c'est cette idée qui est le fondement de l'analogie. Ainsi, ce mot représente un homme sévère, dur à lui-même, dur aux autres; insensible, cœur dur; qui ne peut rien apprendre, téte dure; chagrinant, cela m'est bien dur, etc. Vous pouvez remarquer une grande différence entre chagrinant et qui ne peut rien apprendre : mais vous voyez que dès qu'on sait la signification propre au mot dur, et à ceux auxquels on le joint, l'analogie montre sensiblement le sens de la figure.

Si l'on ne saisit pas cette analogie, la

plupart des beautés du langage échappent. On ne voit plus dans les termes figurés que des mots choisis arbitrairement pour exprimer certaines idées. Dans examen, par exemple, un Français n'apperçoit que le nom propre d'une opération de l'ame: un Latin y attachoit la même idée, et voyoit de plus une image comme nous dans peser et balancer. Il en est de même des mots ame et anima, pensée et cogi

tatio.

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Souvent le fil de l'analogie est si fin, qu'il échappe, si l'on n'a pas de la vivacité dans l'imagination, de la justesse et de la finesse dans l'esprit. C'est en cela que consiste le goût.

Un des devoirs de l'écrivain, c'est de rendre le fil facile à saisir, et pour cela il doit se faire une loi de tirer ses figures des objets familiers à ceux pour qui il écrit. Tels sont les arts, les coutumes, les con noissances communes, les préjugés reçus, toutes les choses que l'usage met dans le

commerce.

Les objets sont nobles ou bas, tristes ou rians, etc., et il semble qu'avec leure noms

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on transporte leurs qualités. Mais tous les peuples n'ont les mêmes usages, les

pas

mêmes préjugés ; tous n'ont pas fait les mêmes progrès dans les arts et dans les sciences. Voilà pourquoi les mêmes figures ne sont pas reçues dans toutes les langues, et celles qui sont communes à plusieurs, n'ont pas dans chacune le même caractère. Mais chaque langue doit s'assujettir au principe de la plus grande liaison des idées si les plus parfaites s'en écartent, elles ne le sont pas encore assez.

:

Une langue n'est riche, qu'autant que le peuple a plus de goût, que les arts et les 3 sciences se sont perfectionnés, et que les connoissances en tout genre se sont répandues.

Mais il est à souhaiter que les arts, les sciences et le langage fassent leurs progrès ensemble. Si un peuple, à peine sorti de la barbarie, vouloit subitement cultiver les arts et les sciences, il seroit obligé d'emprunter de ses voisins, et les connoissances et les mots. Les expressions, qui seroient des figures pour les peuples, chez qui il les auroit prises, ne seroient donc

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