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D'ÉCRIRE.
D' É C R I R E.

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où vous les considérez, soit par rapport aux sentimens dont vous êtes affecté. Si vous les employez toujours avec ce discernement, vous ne devez pas craindre de les trop multiplier.

CHAPITRE IV.

Des comparaisons.

Les rayons de lumière tombent sur les

corps, et réfléchissent des uns sur les autres. Par-là les objets se renvoient mutuellement leurs couleurs. Il n'en est point qui n'emprunte des nuances, il n'en est point qui n'en prête; et aucun d'eux, lorsqu'ils sont réunis, n'a exactement la couleur qui lui seroit propre s'ils étoient séparés.

De ces reflets naît cette dégradation de lumière qui, d'un objet à l'autre, conduit la vue par des passages imperceptibles. Les couleurs se mêlent sans se confondre; elles se contrastent sans dureté; elles s'adoucissent mutuellement; elles se donnent mutuellement de l'éclat, et tout s'embellit. L'art du peintre est de copier cette harmonie.

C'est ainsi que nos pensées s'embellissent mutuellement : aucune n'est par elle-même ce qu'elle est avec le secours de celles qui

la

la précèdent et qui la suivent. Il y a, en quelque sorte, entre elles, des reflets qui portent des nuances de l'une sur l'autre ; et chacune doit à celles qui l'approchent, tout le charme de son coloris. L'art de l'écrivain est de saisir cette harmonie il faut qu'on apperçoive dans son style ce ton qui plaît dans un beau tableau.

Les périphrases, les comparaisons, et en général toutes les figures sont trèspropres à cet effet; mais il y faut un grand discernement. Quels que soient les tours dont on fait usage, la liaison des idées doit toujours être la même : cette liaison est la lumière dont les reflets doivent tout embellir.

Il ne s'agit donc pas d'accumuler au hasard les figures; c'est aux circonstances à indiquer les modifications qui méritent d'être exprimées, et c'est à l'imagination à fournir les tours qui donnent un coloris vrai à chaque pensée.

La beauté d'une comparaison dépend de la vivacité dont elle peint ; c'est un tableau dont l'ensemble veut être saisi d'un clin-d'œil et sans effort.

Il faut donc qu'un écrivain apperçoive

toujours en même temps les deux termes qu'il rapproche; car il ne lui suffit pas de dire ce qui convient à chacun séparément, il doit dire ce qui convient à tous deux à-la-fois; encore même ne s'arrêterat-il pas sur toutes les qualités qui appartiennent également à l'un et à l'autre. Il se bornera, au contraire, à celles qui se rapportent au but dans lequel il les envisage. S'il n'a pas cette attention, il perdra son objet de vue, et fera des écarts.

En pareil cas, on peut pécher dans le choix des comparaisons, et dans la manière de les développer,

La Bruyère a, ce me semble, employé. une comparaison bien extraordinaire dans son discours de réception à l'académie française.

Rappelez, dit-il, à votre mémoire, (la comparaison ne vous sera pas injurieuse) rappelez ce grand et premier concile où les pères qui le composoient étoient remarquables chacun par quelque membre mutilé, ou par les cicatrices qui leur étoient restées des fureurs de la persécution; ils sembloient tenir de

leurs plaies le droit de s'asseoir dans cette assemblée générale de toute l'église: il n'y avoit aucun de vos illustres prédécesseurs qu'on ne s'empressát de voir, qu'on ne montrát dans les places, qu'on ne désignât par quelqu'ouvrage fameux qui lui avoit fait un grand nom, et qui lui donnoit rang dans cette académie.

Quel rapport peut-il y avoir entre les membres mutilés, les cicatrices, les plaies des pères de l'église, et les ouvrages des

académiciens?

Le méme regret qu'auroient eu Apelles et Lysippe de laisser en quelqu'un de leurs chefs-d'œuvres, l'un des deux yeux à achever d'une autre main que la leur, il (Louis XIV) le sentoit toutes les fois qu'il pensoit à se retirer ajouter la prise de Gray à celle de Dole. Pellisson.

que

sans

Voilà Gray et Dole Pellisson compare à deux yeux. Cette comparaison est froide, parce qu'elle est tirée de loin. En rapprochant Apelles qui peint deux yeux à Louis XIV qui prend deux villes, cet écrivain rapproche des couleurs qui ne

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