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l'esprit, dans l'autre, elles doivent se montrer successivement. Pour bien écrire, ce n'est donc pas assez de bien concevoir : il faut encore apprendre l'ordre dans lequel vous devez communiquer l'une après l'autre des idées que vous appercevez ensemble, il faut savoir analyser votre pensée. Accoutumez-vous de bonne heure à concevoir avec netteté, et familiarisez-vous en même temps avec le principe de la plus grande liaison.

CHAPITRE X.

Des constructions elliptiques.

IL L ne s'agit pas ici seulement des ellipses qui sont d'un usage général, et dont nous avons parlé dans la grammaire; il s'agit encore de celles qui sont plus rares, et que les bons écrivains se permettent, pour donner plus de vivacité au discours.

Nous voudrions donner à nos expressions la rapidité de nos pensées. Ainsi, non-seulement le style doit être dégagé de toute superfluité, il doit être encore débarrassé detout ce quise supplée facilement: moins on emploie de mots, plus les idées sont liées.

Une femme inconstante est celle qui n'aime plus; une légère, celle qui déjà en aime une autre; une volage, celle qui ne sait si elle aime, ni ce qu'elle aime; une indifférente, celle qui n'aime rien. La Bruyère.

Le retranchement du verbe rend ici le style plus vif.

avare,

Si j'épouse, Hermas, une femme elle ne me ruinera point; si une joueuse, elle pourra s'enrichir; si une savante, elle saura m'instruire; si une prude, elle ne sera point emportée ; si une emportée, elle exercera ma patience; si une coquette, elle voudra me plaire; si une galante, elle le sera peut-être jusqu'à m'aimer; si une dévote, répondez, Hermas, que dois-je attendre de celle qui veut tromper Dieu et qui se trompe elle-même ?

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La Bruyère paroît aimer ce tour, et en fait usage assez souvent; mais il feroit encore mieux de supprimer les si et de dire si j'épouse, Hermas, une femme elle ne me ruinera pas; une joueuse, elle pourra s'enrichir ; une savante, etc. Vous sentez qu'il s'agit d'une fausse dévote.

avare

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J'accepterois les offres de Darius, si j'étois Alexandre; et moi aussi, si j'é

tois Parménion.

Suppléez dans le second membre je les * accepterois.

Quelquefois on sous-entend avec une négation un verbe qui a été employé affirmativement.

Il y avoit tout à redouter de la fureur d'Annibal, et rien à craindre de la modération de Fabius. S. Evremont.

Suppiéez il n'y avoit rien. D'autrefois on sous-entend, sans négation, un verbe qui a été pris négativement.

La frugalité des remains n'étoit point un retranchement des choses superflues ou une abstinence volontaire des agréables; mais un usage grossier de ce qu'on avoit entre les mains. S. Evremont.

Suppléez c'étoit; sous-entendez aussi choses devant agréables.

Enfin on sous-entend des mots qui n'ont pas été énoncés.

aussitôt aimés qu'amoureux, On ne vous force point à répandre des larmes.

Des Houlières.

Le premier vers est elliptique: comme vous êtes aimé, aussitôt que vous êtes

moureux.

Madame de Sévigné écrit à sa fille;

Je vous en prie, ne donnons point désormais à l'absence l'honneur d'avoir remis entre nous une parfaite intelligence, et de mon côté la persuasion de votre tendresse pour moi.

Cette construction est fort claire, et par conséquent, elle est bonne. Cependant des grammairiens demanderont qu'est-ce qu'avoir remis de mon côté la persuasion de votre tendresse pour moi? Et ils condamneront ce tour, parce qu'ils n'en trouvent pas d'exemple. Plus occupés des mots que des pensées, ils désapprouvent les ellipses, lorsqu'elles paroissent rapprocher des mots qu'on n'a pas encore vus ensemble. Mais soyez persuadé qu'une phrase claire, vive et précise est bonne, quand même la langue ne fourniroit pas de moyen pour remplir l'ellipse. Ces grammairiens savent si une chose a été dite ou non; mais ils paroissent ignorer que ce qui n'a pas été dit, peut se dire. Assujettis à des règles qu'ils ne sauroient fixer, et souvent en contradiction avec eux-mêmes, ils voient d'un jour à l'autre le succès des tours, contre

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