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moyen de m'apprendre, pendant les cinq minutes de conversation que nous eûmes ensemble, «< qu'il avait vingt-huit ans; qu'à défaut d'une compagnie de hussards qu'il sollicitait, il y a trois ou quatre ans, il avait obtenu, à sa grande surprise, une place de conseiller dans une cour supérieure; qu'il l'avait acceptée pour faire quelque chose; mais qu'il finirait un jour ou l'autre par troquer sa simarre contre un dolman, qui lui siérait beaucoup mieux; qu'au demeurant, il avait reçu mon mémoire ; qu'il me promettait de s'en occuper, et de faire pour moi tout ce qui serait en son pouvoir; puis, se rappelant tout-à-coup qu'il m'a-' vait vu chez Mme de Lorys, il m'assura, en termes pleins d'obligeance, qu'il prenait à mon affaire l'intérêt le plus vif; » mais comme il s'aperçut que je me préparais à mettre sa bienveillance à l'épreuve en entrant avec lui dans quelque explication sur la nature et l'origine de mon procès, « il me pria de remettre l'entretien à la première assemblée de Mme de Lorys, où il ne manquerait pas de se trouver tout exprès pour m'entendre. » Cela dit, en me reconduisant jusqu'au bas de l'escalier, il sauta dans son cabriolet, et disparut au grand trot de son cheval.

J'étais bien tenté de borner là le cours de mes visites, dont je n'apercevais encore ni le but ni l'utilité; le nom de Laxeuil, que je trouvai sur ma liste, en me rappelant celui d'un magistrat dont la réputation héréditaire avait traversé sans tache les années orageuses de notre longue révolution, me décida sans peine à remplir envers lui une formalité qui pourrait fort bien n'être qu'un abus.

Je me fis conduire chez ce magistrat : il habite une petite maison dans l'île Saint-Louis, dont l'extérieur décent prévient en faveur de l'ordre et de l'aisance de celui qui l'occupe. Au coup de sifflet du portier, un domestique vint me recevoir, et me conduisit dans une salle du rez-dechaussée, où M. de Laxeuil déjeûnait en famille; il tenait sur ses genoux un enfant de cinq ans auquel il s'amusait à faire épeler le frontispice d'un Télémaque; une de ses filles, âgée de douze ou treize ans, dessinait dans l'embrasure d'une croisée, et Mme de Laxeuil faisait à sa bellemère, infirme, la lecture d'un journal.

Ce magistrat, dont la gravité n'a rien d'austère, me reçut avec une politesse froide, la seule qu'on soit en droit d'exiger de l'homme en place qui ne vous connaît pas; il remit son fils à sa gouvernante, et me pria de passer dans son cabinet; tout y inspirait le respect et la confiance : une antique bibliothèque en garnissait le pourtour; sur la cheminée, un buste en bronze du chancelier de Lhô

pital servait de pendant à celui de d'Aguesseau, un beau portrait de Mathieu Molé se trouvait en regard avec celui de M. Malesherbes. Des mémoires de parties, des rapports, plusieurs dossiers étiquetés avec soin, étaient rangés sur un vaste bureau placé au milieu du cabinet.

M. de Laxeuil me parla de mon affaire avec autant de précision que de clarté, et, sans me laisser même entrevoir son opinion, il me dit en souriant que le nom de mon adversaire était de bon augure pour ma cause. En me reconduisant jusqu'à la porte extérieure, par un excès de civilité dont j'étais redevable à mon âge, il s'éleva poliment contre cette coutume abusive des visites en matière de procédure, dont la séduction, en dernière analyse, était toujours le motif, quelquefois même à l'insu de ceux dont elle dirigeait les démarches.

La leçon ne fut point perdue; j'achevai de payer mon tribut à l'usage, en me faisant écrire chez ceux de mes juges à qui j'évitai l'ennui de ma visite; et, tranquille autant qu'on peut l'être en se reposant sur son bon droit j'attendis mon jugement.

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Quid est suavius quàm bene rem gerere bono publico!

PLAUTE, les Captifs, acte 3, sc. 2.

Quoi de plus honorable que de bien s'acquitter d'un devoir qui tend à l'utilité publique !

La révolution a produit bien des maux : elle a causé de grands ravages, de grands malheurs, de grandes injustices; tout le monde en convient; la révolution a déraciné de honteux préjugés, d'intolérables abus : elle a amené des réformes indispensables et fondé des institutions utiles; voilà ce qu'on ne saurait nier, et ce dont il importe de convaincre des hommes dont la mémoire est sujette à tromper le jugement, et qui s'arment trop souvent des regrets du passé contre les espérances de l'avenir.

Au premier rang de ces institutions utiles fondées au sein

de nos orages politiques, comme le nid de l'alcyon au milieu des vagues, il faut compter l'établissement de la Garde nationale. Rien de plus noble dans son but, de plus généreux dans son exécution que cette association volontaire des habitans d'une même ville, où chacun, tour-à-tour soldat et citoyen, veille pour le repos de tous, et s'endort le lendemain dans une sécurité dont il trouve à son tour la garantie dans la vigilance des autres.

Je conçois tout ce qu'un pareil état de choses doit avoir eu de pénible, dans le principe, pour cette classe de Parisiens à qui il en coûte tant de se désheurer, comme dit le cardinal de Retz; qui, totalement étrangers à la discipline militaire, n'avaient jamais reçu d'ordres que de leurs femmes, et dont la pendule réglait invariablement les pacifiques habitudes; mais d'un autre côté, j'ai vécu si long-tems parmi les nations sauvages, pour qui le mot patrie est synonyme de famille, où les charges et les bénéfices de la société sont si également répartis, où l'intérêt de l'individu est si étroitement lié à l'intérêt de la peuplade, que je n'estime peut-être pas assez les avantages de cette civilisation européenne à laquelle nous devons ces armées régulières sur qui reposent au-dehors la défense et la gloire de la patrie, et ces légions de gendarmes, chargées dans l'intérieur du maintien de l'ordre et de la tranquillité publique.

Un petit billet que j'ai trouvé la semaine dernière chez mon portier a donné lieu à ces réflexions, et me fournira la matière de ce Discours : c'était un billet de garde. En achevant de le lire, avec le secours de mes lunettes, je jetai malhereusement les yeux sur une glace en face de laquelle j'étais placé, et où je trouvai la preuve que le sergent-major de ma compagnie, en me commandant de service, n'avait pas consulté mon extrait de baptême. Pour toute réclamation, je résolus de me présenter en personne, et je mis à honneur de passer, à près de quatre-vingts ans, une nuit au corps-de-garde. N'ayant pas dû compter sur l'invitation qui m'était adressée, je n'avais pas songé à me faire faire un uniforme; en conséquence, je me rendis au lieu qui m'était assigné, muni de deux ou trois gilets bien chauds, recouverts d'une redingote bleue, laquelle, à l'aide d'un petit chapeau à trois cornes et de deux baudriers en sautoir, me donnait une certaine tournure militaire qui pouvait, à la rigueur, me tirer de la classe des bisets *.

Ma présence dans les rangs excita un mouvement de surprise auquel je m'étais attendu; mes camarades, parmi lesquels je ne comptais pas de contemporains, paraissaient vouloir

* Nom que l'on donne familièrement aux gardes nationaux qui ne peu vent ou ne veulent pas s'habiller.

se contenter de cette preuve de mon dévouement, et l'officier s'approchant de moi avec un respect tout-à-fait lacédémonien, m'autorisa très-obligeamment à regagner mon logis; je tenais à mettre à fin mon entreprise : je ne profitai point de la permission.

Notre poste était composé de vingt hommes, commandés par un sous-lieutenant. Nous partîmes de la cour de la Bibliothèque, où nous avions été réunis, pour nous rendre dans la rue du Lycée, près du Palais-Royal. Nous prîmes possession du poste avec tous les honneurs militaires, le sergent numérota ses hommes pour les factions, et, afin de m'en éviter la fatigue, on exigea que je fisse les fonctions de caporal.

Je venais de placer ma dernière sentinelle au bas du grand escalier du Palais, quand on vint nous requérir en toute hâte pour porter du secours à un malheureux renversé par un cabriolet qui lui avait cassé la jambe, au coin de la rue du Coq : aussitôt on tire de dessous le lit de camp la civière dont chaque corps-de-garde est muni. On envoie chercher des portefaix; il ne s'en trouve pas sur la place: deux de nos jeunes gardes nationaux, les plus étrangers à ce métier par leur rang dans le monde, s'offrent obligeamment à en servir; ils endossent la bricole, et je les suis avec quatre hommes armés. Nous arrivons; la foule se pressait autour du blessé gémissant entre les bras de quelques femmes qui lui prodiguaient des secours et sollicitaient pour lui la pitié publique, dont il avait déjà reçu de nombreux témoignages; nous nous faisons jour jusqu'à lui. Je donne ordre de le placer sur la civière : il ouvre languissamment les yeux, et n'aperçoit pas plutôt la garde nationale, qu'à la grande surprise des spectateurs il se relève avec l'agilité d'un écureuil, et s'enfuit à toutes jambes. Nos camarades, non moins alertes que lui, se mettent à sa poursuite, l'amènent au corps-de-garde, où il nous fait l'aveu d'un genre d'industrie déjà signalé, au moyen duquel il mettait un impôt sur la pitié publique. Quelques jours de prison ne l'auront probablement pas décidé à renoncer à une profession qu'il exerce depuis plusieurs années avec autant d'habileté que de profit.

Installés dans notre corps-de-garde, le tambour se mit en devoir d'allumer le poële avec quelques coterets de bois vert, dont l'épaisse fumée nous força bientôt d'abandonner la place, et d'aller pendant quelques momens chercher un refuge dans le café voisin : les camarades, en attendant l'heure de la faction, se mirent à jouer aux dames et aux dominos.

Les alertes sont fréquentes dans le voisinage du Palais-Royal: la première eut pour objet un filou qui s'était glissé à la Bourse, et qui, malgré nos recherches, parvint à se perdre dans la

foule; la seconde fois, il était question d'un scandale donné en plein jour par quelques demoiselles qui n'ont d'immunités pour l'exercice de leur profession qu'après le coucher du soleil. Nous fûmes requis, une heure après, pour prêter main-forte à des agens de police chargés d'une saisie chez un libraire : à l'air calme et presque satisfait de celui-ci, pendant qu'on enlevait de chez lui une centaine d'exemplaires d'un ouvrage mis à l'index, j'aurais parié que le contrebandier littéraire avait mis la plus grande partie de l'édition en sûreté, et qu'il avait compté sur cette visite de la police pour donner à un insipide libelle la vogue d'un livre défendu.

La nuit approchait; chacun revenait au poste après avoir été dîner chez soi ou chez les restaurateurs des environs. Le tambour apportait au corps-de-garde les carricks, les manteaux, les capotes et les bonnets fourrés dont les plus prévoyans ont soin de se munir pour passer la nuit; ceux-ci marquaient, par un oreiller ou par une couverture, leur place sur le lit de camp; ceux-là jouaient à la triomphe ou au piquet sur le poële; d'autres fumaient; d'autres, en cercle autour de la lampe, écoutaient la lecture d'un journal que faisait à haute voix l'un des camarades ; et l'officier, la cigare à la bouche, dans son grand fauteuil, donnait ses ordres pour le service de la nuit avec autant de sang-froid que Chevert au siège de Prague.

La première patrouille que nous fîmes sortir et que je commandais, fut appelée par la clameur publique, sous les galeries du Palais-Royal, dans une maison de jeu où un jeune homme venait de se brûler la cervelle, sans que cet événement eût interrompu la taille. Pendant que le commissaire de police dressait procès-verbal, dans la chambre voisine, d'une catastrophe dont la victime expirait sous nos yeux, un homme de notre escouade, que j'avais posé en faction à la porte de la salle où l'on jouait, s'amusa à perdre tout l'argent qu'il avait sur lui. A en juger par la fureur où l'avait mis la somme qu'il avait déjà perdue, il est permis de croire que si je ne l'eusse pas relevé à tems, il eût pu fournir au commissaire de police l'occasion d'un second procès-verbal : tant il est vrai qu'en fait de passion il faut éviter l'occasion qui séduit toujours, sans compter sur l'exemple, qui ne corrige presque jamais! Nous ramenâmes au corps-de-garde un officieux qui se trouva nanti, par hasard, de la montre du jeune homme mort qu'il s'était empressé de secourir.

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En achevant notre tournée sous les arcades nous réglâmes plus d'un différend entre les nymphes qui peuplent ces galeries et quelques officiers étrangers disposés à croire que le droit de conquête s'étend aussi sur cette espèce de muséum,

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