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bliques. Les femmes ne rêvèrent plus qu'aérostat; chacune voulut lancer le sien, et la police se vit obligée de réprimer par une ordonnance un amusement qui compromettait la sûreté publique, en exposant au danger d'un incendie la maison ou la grange sur laquelle pouvait s'arrêter le ballon armé d'un réchaud suspendu à son ouverture. » Ce goût frivole, qui jusque-là ne différait guère de celui des enfans pour les bulles de savon, devint de l'enthousiasme lorsqu'on annonça qu'il se trouvait un homme assez audacieux pour confier sa vie à ce fragile soutien, et pour suivre les chances de sa périlleuse élévation. Un' jeune physicien, nommé Charles, perfectionnant la découverte de Montgolfier, imagina d'employer le gaz hydrogène comme moyen d'ascension. Il construisit un ballon en taffetas gommé, au-dessous duquel il suspendit une petite nacelle, et le 27 août 1783 il s'éleva du milieu du Champde-Mars, et donna pour la première fois, au monde, le spectacle d'un homme envahissant le domaine des oiseaux.

» Il est impossible de vous donner une idée de l'effet que produisit un pareil spectacle sur la multitude qui en fut témoin. Des cris d'admiration suivirent dans les airs l'audacieux aéronaute, dont l'entreprise eut un grand nombre d'imitateurs.

» A Paris, à Versailles, à Lyon, MM. Pilatre Desrosiers, d'Arlandes et Saint-Romain, exécutèrent plusieurs ascensions dans des montgolfières.

» M. Blanchard, qui s'occupait, sous la direction de l'abbé de Viennai, de la construction d'un bateau-volant, à l'époque où M. de Montgolfier fit sa découverte, répéta, dans le Champ-de-Mars, au mois d'avril 1784, l'expérience de M. Charles, et s'éleva beaucoup plus haut que ses prédécesseurs.

» Aucun événement funeste n'avait encore signalé cette découverte; l'abbé Miaulant, messieurs Pilatre Desrosiers et Saint-Romain en furent les premières victimes. Ces derniers entreprirent de traverser la Manche, au moyen d'une machine où ils avaient combiné les deux procédés de la raréfaction de l'air et du gaz hydrogène, c'est-à-dire, de l'action du feu avec son principe. Cette expérience eut le plus fatal résultat : l'aérostat prit feu, et les deux voyageurs aériens, précipités d'une hauteur de huit cents toises, tombèrent à quelque distance de Boulogne. Un modeste monument, élevé sur la plage, y conserve le souvenir de leur courage et de l'affreuse catastrophe qui en fut la suite.

» Ce triste exemple n'effraya point Blanchard : un mois après, le 7 octobre 1785, il s'éleva de Douvres, traversa

Ja Manche, et vint descendre à Calais, où sa nacelle est déposée, comme un monument, dans une des salles de l'Hôtel-de-Ville.

» Blanchard, étranger à la science, était doué d'une intrépidité qui le tira souvent du mauvais pas où l'engageait son ignorance. Je puis vous en citer un trait qui eut pour témoin une ville entière dans une ascension qu'il fit à Berlin, le mauvais choix des matières qu'il avait employées dans la composition de l'air dont son ballon était rempli, ne lui permettant pas de s'élever avec la totalité de son poids, il eut l'audace de se débarrasser de sa nacelle et de se laisser emporter à une hauteur prodigieuse en s'accrochant, comme il put, aux mailles du filet de son ballon.

» Toutes les expériences qui se succédèrent en différens pays, dans l'espace de dix ans, n'eurent d'autre effet que de satisfaire une vaine curiosité, et de perfectionner la théorie des ballons sans rien ajouter à leur utilité. L'ap-, plication qu'on en fit à l'art militaire, à l'époque de la bataille de Fleurus, faisait espérer des résultats qu'on n'en a point obtenus..

>> En 1797, M. Garnerin réveilla l'enthousiasme qui commençait à s'assoupir, en annonçant l'expérience la plus hardie que l'imagination puisse concevoir. Opposant la surface à la pesanteur, et la résistance de l'air à la chute des corps, il parvint à se rassurer lui-même sur les dangers d'une descente en parachute, dont toutes les lois de la physique lui garantissaient le succès, sans penser que, dans l'exécution, l'erreur la plus légère, le moindre incident pouvait ramener la question à son expression la plus simple, c'est-àdire, à la chute de l'aéronaute, d'après la loi des graves abandonnés à leur pesanteur spécifique. Les spectateurs, au nombre desquels je me trouvais, à Mousseaux, en eurent un moment l'angoisse: le parachute éprouva quelque retard dans son développement, et M. Garnerin paraissait devoir retomber sur la terre, en raison directe de sa masse multipliée par le carré de sa vitesse; mais, heureusement, le parachute s'ouvrit, et la descente s'acheva sans accident.

»J'aurais encore à vous parler (continua mon compagnon de promenade) de l'ascension équestre de M. Testu-Bissy, de celles de Mmes Blanchard et Garnerin, des belles expériences du docteur Zambeccari et de M. Robertson; des ridicules essais de deux voleurs à tire-d'ailes, en 1801 et en 1802; mais nous arrivons à Tivoli, et vous avez mieux à faire que de m'écouter. »>

Pour juger de l'attention que je prêtais à ce discours, et de l'admiration que m'a causée un spectacle auquel j'assistais

pour la première fois, il faut se rappeler que je n'avais aucune idée de ce qu'on me racontait et de ce que j'allais voir. Instruit, qu'on se portait en foule à ce jardin, les jeudis et les dimanches, pour y jouir du spectacle insipide des danseurs de corde, de l'illumination et du feu d'artifice, je craignais que l'enceinte de Tivoli ne pût, cette fois, contenir la multitude des spectateurs que cette étonnante expérience me semblait devoir attirer; tout concourait à en augmenter l'intérêt la hardiesse de l'entreprise, qui n'avait encore été tentée que deux fois à Paris; le sexe, la jeunesse de celle qui se dévouait à cet essai périlleux; la noble et touchante résolution qui le lui faisait entreprendre, dans la seule vue d'être utile à sa famille: quels motifs plus puissans et plus honorables pouvait-on offrir à la curiosité! Je fus étrangement surpris, en entrant, de la solitude qui régnait dans un lieu où je croyais trouver la moitié de Paris. « Vous faites trop d'honneur aux hommes, me dit mon compagnon, si vous croyez qu'un sentiment de générosité les guide jamais dans leurs plaisirs : cette expérience aura autant de spectateurs qu'elle peut en avoir; mais tous, ou presque tous, ont calculé qu'elle était de nature à ce qu'ils pussent en jouir gratis; aucune autre considération ne s'est présentée à leur esprit si vous vous transportiez sur les hauteurs de Montmartre et dans les plaines de Mousseaux, vous y trouveriez deux mille personnes de la classe opulente, qui s'y sont rendues pour éviter les frais de leur billet d'entrée à Tivoli. »

Un Anglais qui nous écoutait se mêla poliment de la conversation: « Je vois ici, nous dit-il, plus de mille écus de dépense, et je n'y vois pas quinze cents francs de recette; à Londres, une pareille expérience aurait rapporté, par souscription, trois ou quatre mille guinées à la jeune personne qui va l'entreprendre sans aucun profit.-Pourquoi donc, Monsieur, lui répondis-je, ne vois-je pas ici un plus grand nombre de vos compatriotes?—Nous ne sommes pas curieux à Paris; vos journaux n'auraient pas manqué de vous donner le mérite d'une recette dont nous aurions fait les frais.Vous ne rendez pas justice à nos journalistes ; ils sont, pour la plupart, aussi bons Anglais que vous-même; ils vous auraient laissé tout l'honneur de la fête.-Nous avons plus d'amour-propre chez nous qu'en pays étranger; ce que nous faisons à Paris, nous ne l'aurions pas fait à Londres, et nous serions honteux d'aller nous placer, dans nos carrosses, hors de l'enceinte où l'on paie, comme le font en ce moment vos Parisiens. Cette observation était plus juste que polie; j'y répondis en m'éloignant.

Le petit nombre de spectateurs que nous trouvâmes à Tivoli

se composait d'étrangers de marque, et de quelques dames qui se sont chargées de leur faire les honneurs de la capitale. J'aurais pu trouver là matière à de singulières observations, mais mon attention était absorbée sur un seul objet. Pendant qu'on remplissait le ballon, je me faisais expliquer, par mon savant ami, le but des différens préparatifs que je voyais s'achever avec une anxiété inexprimable. Elle augmenta beaucoup à la vue de la jeune personne qui en était l'objet.

Mlle Garnerin, vêtue d'une robe blanche, et le front couronné de fleurs comme une victime, se fit précéder par un petit ballon d'essai qu'elle suivit un moment des yeux; et, s'apercevant qu'il se dirigeait dans l'auréole du soleil couchant, qui le déroba dans un moment au regard, elle prévint, avec beaucoup de modestie, l'assemblée qu'elle attendrait, pour partir, que le soleil, plus près de l'horizon, permît aux spectateurs de la suivre des yeux dans sa course. Le moment arrivé, la gondole, surmontée du parachute, fut attachée au ballon; Mlle Garnerin s'y plaça légèrement, et, sans donner le moindre signe d'inquiétude, elle salua les spectateurs du drapeau blanc qu'elle tenait à la main, et donna l'ordre à dix hommes qui le retenaient avec effort de lâcher les cordes du ballon: sa force d'ascension était telle qu'il s'élança comme un trait dans les airs aux acclamations des spectateurs: je n'y mêlai pas les miennes; j'étais oppressé par un sentiment plus pénible; les larmes roulaient dans mes yeux.

Il avait été convenu avec la jeune aéronaute qu'elle se séparerait du ballon au signal de la détonation de trois boîtes d'artifice on le donne, et les yeux s'attachent avec effroi sur la frêle machine qui continue à s'élever. Déjà elle avait atteint une prodigieuse hauteur; les uns craignaient que cette jeune fille, qui montait pour la première fois dans un aérostat, ne s'y fût évanouie; les autres, et c'était le plus grand nombre, supposaient que, retenue par une frayeur (que chacun éprouvait, à l'abri même du danger), elle ne pouvait se décider à couper, comme une parque fatale, le fil qui la retenait encore à la vie; mais tout-à-coup un cri général d'épouvante a retenti; la pâleur est sur tous les fronts le lien est coupé, la nacelle, séparée du ballon s'abîme dans l'espace.... Au même moment, le parachute se déploie, le gouffre se ferme et l'intrépide aéronaute, mollement balancée dans les airs, semble redescendre à regret sur la terre, où tous les voeux la rappellent.

Mule Garnerin a reçu le prix de son rare courage : S. M. a daigné permettre qu'elle lui fût présentée.

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COMME il pourrait fort bien m'arriver d'avancer, à ce sujet, des propositions mal sonnantes à certaines oreilles, je ne ferai pas mal de les mettre tout de suite à l'abri d'un nom dont on ne s'avisera pas de me contester l'autorité. « Si l'on vient à peser mûrement (remarquez bien, lecteurs, que c'est Boerhaave qui parle) le bien qu'ont fait au monde, depuis l'origine de l'art, une demi-douzaine de vrais fils d'Esculape, et le mal que la multitude immense des docteurs de cette profession a fait au genre humain, on pensera, sans aucun doute, qu'il serait beaucoup plus avantageux qu'il n'y eût jamais eu de médecins dans le monde. » Habemus confidentem reum; et j'en prends acte.

Il y a long-tems qu'on a fait l'observation qu'il n'y avait qu'une route pour entrer dans la vie, et qu'il y en avait mille pour en sortir; eh bien, ôtez seulement la guerre et la médecine, et si vous dites encore, avec Virgile, que les portes de la mort sont ouvertes jour et nuit; ne vous plaindrez plus du moins qu'elles soient obstruées par la foule qui s'y précipite.

*

Vous

et

Je soutiens, depuis long-tems, un paradoxe, de la vérité duquel je me donne moi-même comme une preuve vivante : c'est que les maladies ne sont point dans la nature, qu'elles n'ont d'autre source que notre intempérance, à prendre ce mot dans sa plus grande acception. Je suis né avec un tempérament très-faible; je n'ai jamais été malade, et je suis arrivé doucement à un âge où l'on ne meurt plus que de la mort, comme dit Montaigne. Quel remède ai-je. employé pour vieillir ? Celui que Zadig prescrit au seigneur

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