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le plus léger tort; et ceux qui lui déplaisent ne sauraient sous aucun rapport, trouver grâce à ses yeux: serait-il vrai qu'on ne l'aimât pas moins pour ses défauts aimables, que pour ses qualités précieuses? C'est une question que je me fais à moi-même : j'ai besoin d'y réfléchir.

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MONSIEUR de Gréville* écrit ses Mémoires, qu'il doit publier sous le titre de Mémoires dramatiques. Il m'a communiqué plusieurs des cahiers dont ils se composent, et m'a permis d'en extraire, à mon profit, le chapitre suivant, où j'ai trouvé la peinture fidèle d'un travers à la mode.

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« Vous êtes donc sourd, Lapierre ? je sonne, j'appelle depuis un quart d'heure. Je n'ai pas entendu. Où done étiez-vous ? Dans l'antichambre, où je lisais le journal; il est si intéressant aujourd'hui. — L'imbécille.... Qu'y compreniez-vous ? Dame, Monsieur, on est bien aise de savoir comment vont les affaires; on aime la chose publique. Eh morbleu ! aimez à remplir vos devoirs; battez mes habits, cirez mes bottes ; occupez-vous de votre besogne, et que chacun en fasse autant, tout ira bien. Dites à Marguerite de m'apporter mon chocolat, et venez m'habiller.

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Lapierre sort, et rentre un moment après : nous procédons à ma toilette. Ce pauvre Lapierre, il grille de parler et de me conter les nouvelles du quartier, que j'ai quelquefois la complaisance d'entendre, parce que je me réserve le privilége de ne pas écouter; mais mon air sévère lui coupe la parole. La toilette s'achève en silence ; je passe dans mon cabinet ; il est

* Voyez l'Hermite de la Guiane page 115 N° XXI, et page 243 No XLIV.

dix heures, je sonne deux coups, Marguerite paraît. « Mon déjeûner? Monsieur.. Qu'est-ce? Monsieur. Eh bien? Il est tombé dans les cendres.

le chocolat.

Maladroite! Monsieur, je lisais !

sans doute ?

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Oh!

Monsieur ! que non

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sinier, peut-être ? J'en sais plus que lui.

...

Quelque roman,

Le Parfait Cui--
Vous verrez

que Mademoiselle lisait aussi le journal.-Précisément, Monsieur. Mais c'est donc une rage! Monsieur, je vais préparer d'autre chocolat; c'est l'affaire d'un moment. » L'impatience me gagne ; je prends ma canne et mon chapeau, et je sors brusquement, pour ne pas me mettre tout-à-fait en colère. D'assez mauvaise humeur, je traverse le marché des Jacobins; une dispute de harengères attire mon attention par certaines expressions qui m'en indiquent le sujet : ces dames faisaient en commun la lecture du Journal de Paris. Je doublai le pas; à l'autre extrémité du marché, les fruitières épelaient une page du Moniteur.

J'entre pour déjeûner au café Tortoni, où, dans l'espace d'un moment j'entends plus de niaiseries, de mensonges et d'absurdités politiques qu'on n'en débite ailleurs pendant vingt-quatre heures: je savais à quoi m'en tenir avant d'entrer, et je m'étais cuirassé de patience.

Après avoir été faire quelques emplettes chez des marchands de la rue Vivienne, dont aucun n'était à son comptoir, je passai chez mon tailleur, que je trouvai disputant avec sa femme sur le budget.

Il était près d'une heure. J'allai faire une visite du matin à Mme de Florbelle: je la trouvai avec ses deux filles, assises autour d'une table ronde surchargée de brochures que je reconnus à leur forme extérieure: la politique a tout envahi, jusqu'au domaine des grâces.

Cette dame, à trente-cinq ans, brille encore de tous les avantages de la jeunesse et de la beauté, et n'a de rivales que ses filles, que l'on prendrait pour ses sœurs.

Au moment où j'entrai, une discussion très-vive paraissait établie entre ces dames : il s'agissait des élections. On voulut avoir mon avis sur ce sujet avant que j'eusse achevé mes salutations; je crus me tirer d'affaire en les assurant que je ne connaissais pas de chambre où ce projet de loi dût souffrir plus de difficultés. Mme de Florbelle me pria, d'un air sec que je ne lui connaissais pas, de faire trève aux madrigaux, et de vouloir bien parler sérieusement. Je répondis alors que, sur cette question politique, comme sur toutes les autres, j'en référais à la Charte, d'où je ne sortais pas. Ce mot réchauffa la dispute; les deux jeunes personnes, réunies d'opinion, ne craignaient pas de manquer aux égards, au respect dus à une mère, alors

même qu'elle se trompe: deux étrangers, le maître de musique et le maître de danse, arrivèrent fort à propos. Ces dames se levèrent pour les recevoir, et Mme de Florbelle s'adressant à ses filles « Allons, Emma, répétez votre gavotte, je serai charmée de vous la voir danser; vous, Clémentine, passez dans le salon de musique, dans un moment j'irai entendre votre nouvelle romance. » ́

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Pendant que le prévôt accordait sa pochette, le maître de danse, faisant l'agréable, remit à Mme de Florbelle quelques pamphlets nouveaux, qu'elle reçut comme un cadeau précieux, et dont elle se hâta de parcourir les titres. Le prévôt profita de ce moment pour donner furtivement à Mlle Emma... un billet doux peut-être. point du tout, une caricature politique, et des couplets contre quelques hommes en place: le tout fut promptement caché dans le portefeuille de dessins, et la leçon commença. J'ai tant vu danser de gavottes, que je ne jugeai pas à propos d'assister à celle-ci; j'aimai mieux voir ce qui se passait au salon de musique, où j'entrai avec Mme de Florbelle. Le signor maestro débitait gravement à son écolière attentive les mille et une absurdités qu'inventent chaque jour les oisifs et les malveillans, que les gobe-mouches recueillent avec tant de soin, et colportent avec tant de plaisir et de crédulité.

On annonce le docteur Z***; il s'approche, en sautillant,' de Mme de Florbelle, lui demande des nouvelles de ses nerfs; et, sans attendre sa réponse, il lui conte mystérieusement quelques on dit de la plus grande authenticité. Le duc de... lui a dit ceci; le ministre de.... lui a confié cela; le général... vient de lui assurer le reste. «Mon père vous attend avec impatience, docteur, lui dit Mlle Clémentine, il a souffert toute la nuit.-Je passe dans sa chambre. »Je suivis le docteur, curieux d'entendre la consultation d'un pareil original.

M. de Florbelle me parut en effet très-abattu. Le docteur s'approche du lit du malade, lui tâte le pouls, paraît réfléchir attentivement; et, lorsque je m'attendais à quelque ordonnance : « Savez-vous bien, M. le marquis, que la séance d'hier fut très-orageuse? Et voilà mon homme lancé et dissertant à perte de vue sur les finances, auxquelles il n'entend pas un mot. Le marquis ne s'y connaît pas davantage, mais il ne partage pas l'opinion du docteur; son abattement se dissipe, son teint se colore, son oeil s'anime; il interrompt l'orateur avec impatience, et le réfute avec aigreur; le docteur réplique avec vivacité; la discussion dégénère en dispute, la dispute en querelle; les sarcasmes répondent aux épigrammes, les personnalités aux sarcasmes; le marquis exaspéré perd toute mesure, s'élance de son lit comme un spectre, et poursuit le docteur,

qui sort en protestant qu'il ne remettra plus les pieds dans la maison. Il rencontre en passant Mme de Florbelle, lui raconte l'aventure, et se plaint amèrement du marquis : comme de raison, Madame n'est pas de l'opinion de Monsieur, et lui donne complètement tort; Miles Emma et Clémentine ont adopté les sentimens de leur père, et le défendent contre la marquise et le docteur; le combat politique s'engage de nouveau; tout le monde parie à-la-fois; on ne s'entend plus; Mlle Emma est rouge d'indignation; Mlle Clémentine pâle de colère; la marquise succombe à une crise nerveuse, et le docteur sort au lieu de les secourir.

Je m'esquive moi-même un moment après, maudissant de bon cœur cette manie de politique qui dénature si complètement le caractère aimable des Français, et sur-tout des Françaises.

Je suis dehors, et n'ayant pas envie de recommencer une nouvelle expérience, dont je craindrais d'obtenir un semblable résultat. Je retourne chez moi, je fais seller mes chevaux; et, suivi de Lapierre, me voilà sur la route du bois de Boulogne, méditant sur les folies humaines. Le chapitre est vaste, j'ai de quoi m'occuper pendant toute ma promenade. A moitié de l'avenue des Champs-Elysées, je reconnais la voiture de Mme de B***; elle est arrêtée; je m'avance pour offrir mes hommages. Une de mes amies et le colonel D*** étaient dans la voiture; les deux dames paraissaient fort émues, et le colonel assez embarrassé. « Mon cher Gréville, me dit Mme de B***, vous arrivez à propos pour nous mettre d'accord.- Voyons, de quoi s'agit-il?-Croiriez-vous que Madame me soutient.... Que votre chapeau n'est pas joli peut-être? Que la Comédienne 'est un détestable ouvrage ? Que Mile Bourgoin joue mieux que Mile Mars?-Rien de tout cela. Que le coche d'Auxerre est préférable au bateau à vapeur?-Gréville, vous m'impatientez. Je me tais, et je vous écoute. C'est fort heureux! Vous croyez donc, Monsieur, que nous ne savons nous occuper que de bagatelles? Apprenez que nous parlions d'un objet important, très-important, de la répartition de l'impôt foncier, basé sur un nouveau cadastre.-L'impôt ! le cadastre! » m'écriai-je en enfonçant mes éperons dans les flancs de mon cheval, et je partis au grand galop, sans regarder derrière moi, aut risque de passer pour un fou ou pour un impertinent.

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Árrivé dans le bois de Boulogne, je modéraima course pour attendre Lapierre, dont le cheval n'était pas en état de suivre le mien. Je n'avais pas fait cent pas que j'entends, non loin de moi, le rapport de deux coups de pistolet. Je m'avance vers l'endroit d'où vient le bruit, et j'arrive sur le lieu de la scène. Deux hommes, l'épée nue, semblaient vouloir commencer un

nouveau combat, malgré les efforts et les discours de leurs té moins: ceux-ci cherchaient vainement à leur persuader qu'ils avaient satisfait à l'honneur; que deux braves gens ne devaient pas s'égorger pour un malentendu.... Dans l'un des deux antagonistes je reconnus Dolban, l'un de mes amis particuliers: je crois alors pouvoir m'interposer dans la querelle; j'en demande le sujet... Une disputesurvenue sur l'initiative royale!... Je me joins aux témoins, et nous amenons enfin une réconciliation sincère à la suite de laquelle nous allâmes dîner tous ensemble.

Sept heures sonnent: je courus aux Français, Mlle Mars devait jouer dans les Femmes Savantes. J'eus le malheur de me trouver placé au balcon, à côté d'un monsieur à besicles, qui. aurait pu faire l'économie d'un verre, attendu qu'il me parut n'avoir qu'un œil: il passa tout le tems du spectacle à prouver à ses voisins que Mlle Mars n'était qu'une actrice médiocre ; que Talma était tout au plus digne de figurer sur les tréteaux d'Angleterre, et que Mlle Duchesnois n'avait ni sensibilité, ni énergie, ni charme dans la voix ; ce qu'il prouvait merveil leusement en attaquant leurs opinions politiques. Comme ces argumens-là ne me persuadaient pas, et que j'aimais mieux écouter l'actrice que son détracteur, je le priai si poliment de se taire, qu'il abandonna la place, en glissant sur moi un regard où il y avait quelque chose de louche.

J'avais l'espoir de me dédommager de tout l'ennui de ma journée. A minuit je me rendis chez Mme d'Etival; le boston, l'écarté même était fini; l'ennuyeux Maizières, qui ne s'en va jamais, était au bas de l'escalier: je témoignai mon bonheur à Mme d'Etival de me trouver seul avec elle. « Je suis désespérée que vous ne soyez pas arrivé plus tôt, me dit-elle ; vous auriez entendu M. de Maizières. -Eh! Madame, je n'ai entendu que lui depuis que je suis au monde. J'avais mon système aussi, mais il l'a combattu victorieusement par le sien: le moyen est trouvé.-Quel moyen?-Celui de payer la dette sans augmenter l'impôt d'un centime. - Maizières est un sot, et son projet une impertinence. C'est un point décidé, vous seul avez de l'esprit. Ce n'est point avec de l'esprit qu'on fait des lois et des plans de finances; il faut des connaissances positives..... Mais de quoi vous occupez-vous, mon aimable amie?-Vous pensez que les femmes ne doivent jamais se mêler de discussions politiques. Personne ne les juge avec des préventions plus favorables; cela n'est pas étonnant, je vois en vous tout votre sexe : la nature les a douées des grâces et de la beauté ; elle leur a donné une pénétration plus ; vive, un esprit plus fin, un goût plus délicat et plus sûr que les nôtres aussi jugent-elles presque toujours sainement les

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