Page images
PDF
EPUB

PRONEURS. Espèce d'oiseaux criards, instruits à répéter: Psaphon est un dieu ! Les prôneurs, formés en jurande, font aujourd'hui le monopole des réputations; les journalistes ont un gros intérêt dans l'entreprise.

ROMANTIQUE. Terme de jargon sentimental, dont quelques écrivains se sont servis pour caractériser une nouvelle école de littérature germanique. La première condition qu'on y exige des élèves, c'est de reconnaître que nos Molière, nos Ra cine, nos Voltaire, sont de petits génies, empêtrés dans les règles, qui n'ont pu s'élever à la hauteur du beau idéal dont la recherche est l'objet du genre romantique. Ce mot envahisseur n'a d'abord été admis qu'à la suite, et dans le sens du mot pittoresque, dont on aurait peut-être dû se contenter; mais il a passé tout-à-coup du domaine descriptif, qui lui était assigné, dans les espaces de l'imagination.

On vous parle le plus sérieusement du monde de pensées, d'intentions romantiques; on aime à se perdre dans le vague romantique. L'exaltation romantique vous conduit à l'extase mélancolique, d'où vous n'avez plus qu'un pas à faire pour ar

river aux Petites-Maisons.

VERTU. « J'en serai bientôt réduit, comme le philosophe grec, à m'envelopper dans ma vertu, disait hier N**** à Mmc D***, sa parente.-Vous serez bien indécemment vêtu, lui répondit cette dame. »

Je ne pense pas qu'on ait aujourd'hui plus de vertu qu'autrefois; mais on en parle moins : c'est toujours cela de gagné. Je n'ai jamais entendu citer la vertu d'un jeune homme, ni la vertu d'une vieille femme.

VIERGE. Tout à-la-fois le synonyme et l'opposé de fille. Depuis quelques années, ce mot a passé de la poésie dans la prose romantique. On nous avait déjà parlé de la Vierge des Amours, et cette alliance de mots avait paru passablement étrange à ces grammairiens pointilleux qui demandent aux mots un compte exact de la pensée ; mais cette expression est suffisamment justifiée par la définition du mot vierge que nous a donnée, la semaine dernière, un journal français. Une vierge ( s'il faut en croire cette autorité grammaticale) est une princesse qui se marie en secondes noces.

[graphic][subsumed]

No LXXIII. —5 février 1817.

FAVEUR ET DISGRACE.

wwwwws

SIXIÈME PROMENADE NOCTURNE.

Les hommes en place ont peu d'amis et ne s'en embarrassent pas .... Ils ont l'expérience de la désertion que leurs pareils ont éprouvée dans la disgrace.

DUCLOS.

COMMENT le caprice et la mode ont-ils pu faire abandonner le superbe quartier que je parcours en ce moment? Ces rues si larges et si bien alignées, ces hôtels si vastes et d'une si noble architecture, ces jardins qui font jouir au sein de la capitale de l'aspect et du charme de la campagne ? Pourquoi le faubourg Saint-Germain s'est-il trouvé quelque tems désert, et pourquoi se repeuple-t-il si difficilement ? Triste effet du règne des souverains à bonnets rouges qui regardaient l'honneur et la vertu comme une conspiration, un nom illustre comme une tache, la richesse comme un crime: au nom du salut public ils promenèrent quelques mois le niveau révolutionnaire sur la France, et principalement sur le faubourg Saint-Germain, habité par les citoyens les plus distingués par la fortune et la naissance. La plupart de ceux qu'une fuite prévoyante ne mit pas à couvert, payèrent de leur vie leur funeste sécurité leurs somptueux hôtels furent abandonnés, et les grands du jour, ou plutôt du moment, n'osèrent profaner des demeures où ils craignaient sans doute de ne pas trouver le sommeil. Sans quelques administrations et l'essaim de leurs employés, le faubourg Saint-Germain, à cette époque, serait devenu une véritable Thébaïde. Quand le règne de la terreur cessa sans ramener la confiance, quelques personnes avaient acquis d'immenses richesses; mais elles craignaient de les afficher en habitant ces vastes hôtels : d'ailleurs, le luxe avait pris une autre route, et s'était fixé, avec son nouveau cortège, sur l'autre rive de la Seine. A cette époque on louait un hôtel entier au faubourg Saint-Germain pour le prix d'un appartement au troisième dans la rue Cérutti.

Depuis quelques années cependant on commence à revenir

[ocr errors]

dans ce beau quartier, et je ne doute pas qu'il ne redevienne aussi brillant, aussi peuplé qu'il le fut autrefois. Je serais charmé de voir renaître à leur splendeur première des lieux où nos rois ont déployé une magnificence si noble, si grande et si utile à-la-fois. L'hôtel des Invalides et l'Ecole Militaire en sont le plus bel ornement : l'une était le berceau des guerriers destinés à soutenir la gloire du nom français; l'autre est toujours l'asile des guerriers mutilés pour la défense de la patrie. Ne rendra-t-on pas l'Ecole Militaire à sa première destination; assez d'autres édifices pourront servir de casernes ....

[ocr errors]

Quel bruit!... quelle affluence de voitures!... Mes souhaits seraient-ils déjà réalisés? Le ministre **** reçoit aujourd'hui. Si je pouvais pénétrer dans ce salon!.. Avant de monter, faisons une station près de ce vestibule ; j'ai deux mots à dire sur quelques-uns des personnages qui vont descendre de voiture. On ouvre une portière. Quel est cet homme pâle jaune et maigre, à la physionomie dure et hautaine, au ton brusque? Malgré son front ridé, ses yeux caves, son teint safrané, il est jeune encore; mais il ne dort plus depuis qu'il a conçu l'idée d'arriver au ministère. Parvenu aux fonctions de conseiller-d'état, il a fait la moitié du chemin; je doute pourtant qu'il franchisse jamais la distance qui le sépare du but auquel il aspire chargé plus d'une fois de soutenir, dans la discussion' des chambres, les projets du gouvernement, il tourne en ridicule, dans son salon, les plans qu'il défend à la tribune avec aigreur et rudesse. Monsieur est ministériel le matin, et le soir de l'opposition. Jusqu'à présent, ce petit manége n'a réussi qu'à lui faire des ennemis dans les deux partis; on l'estime peu et, malgré les beaux sentimens qu'il affiche, le souvenir du passé inspire une grande méfiance sur son compte; je pourrais dire jusqu'à quel point elle est fondée, mais pourquoi lui ôter son masque il tombera de lui-même à la première occasion. Il est déjà tombé pour moi; je connais l'homme, et je ne doute pas qu'il ne prêtât volontiers foi et hommage à quiconque lui fraierait le chemin du pouvoir.

Cette femme élégante, jeune encore et d'une physionomie si vive et si piquante, porte un assez beau nom, c'est la marquise de ****. Immensément riche avant la révolution, elle cherche à réparer de son mieux les torts de la fortune; solliciter est son état, elle use de ses connaissances nombreuses, de ses protections, de son esprit, de ses graces, en un mot de tous ses moyens, pour faire réussir ses protégés; elle sert avec chaleur, mais non pas avec désintéressement. Par un traité secret sur chacun des emplois qu'elle fait obtenir, elle se réserve des épingles, et je lui connais un revenu considérable qui n'a pas d'autre source; elle vient ce soir tenter un dernier

[ocr errors]

effort pour enlever une nomination importante; elle touche au moment du succès... Quel désappointement!

Ce pauvre diable dont l'habit noir, rapé, mais propre, est pourtant l'habit de représentation, vient de causer un moment dans la loge du suisse; il dit bonsoir aux laquais en passant sous le vestibule, et va donner une prise de tabac à l'huissier; il fait sa cour à tout le monde, sans oublier le chien du logis: cet homme est un entrepreneur de découvertes qui n'a pu découvrir encore le moyen de ne pas mourir de faim, bien qu'il soit porteur de dix à douze brevets d'invention. Il vient présenter ce soir au ministre un nouveau projet, au moyen duquel il propose, moyennant un prix très-modique, de nourrir, chauffer, blanchir, éclairer tous les prisonniers de l'Etat; il ne dit pas encore son secret, mais je puis le révéler ; il prétend faire tout cela avec des marrons d'Inde qui lui fourniront, à ce qu'il assure, de la fécule nutritive préférable au froment, de l'huile, du savon et des mottes à brûler. Grace au ciel, les prisonniers ne tâteront pas de sa cuisine, et le ministre s'en débarrassera avec un nouveau brevet d'invention.

Diable! voici un équipage qui s'annonce avec bien du fraas: deux laquais, un chasseur, des chevaux superbes, les plus riches harnais, la voiture la plus élégante..... Quel est donc le propriétaire de tout cela? Vraiment, c'est le comte de.... Que vient-il faire ici? lui l'ennemi juré du ministre qu'il cherche à renverser, auquel même il se flatte de succéder? Il n'est pas tems; continuons notre revue.

D'où vient l'horreur dont je suis saisi à la vue de cet homme au regard oblique, à l'air faux et sournois ? Comme il regarde comme il écoute; c'est encore un entrepreneur de découvertes, mais dans un genre moins innocent que le premier : on rit de l'un, mais on déteste l'autre. C'est un entrepreneur de dénonciations; il médite la ruine de plusieurs familles, et, pour prix de ses nobles travaux, il se flatte d'occuper la place d'une de ses victimes. J'espère qu'il ne l'obtiendra pas.

Ah! doit-on hériter de ceux qu'on assassine?

Le joli jeune homme et le joli cabriolet ! c'est un papillon sur une feuille de rose. Il y a sans doute bal chez le ministre ; cela ne me paraît bon qu'à figurer dans une contredanse. Chut! ce petit personnage si ridicule a cinquante mille livres de rente, un hôtel superbe et un excellent cuisinier; recherché dans la société, protégé par les femmes, sur le point de faire un mariage qui va doubler sa fortune, il ne peut manquer de faire son chemin, puisqu'il a tout, excepté le sens commun; je ne sais même s'il aura l'esprit de sentir son insuffisance, et de savoir choisir un bon secrétaire. Il a cependant la promesse d'une place très-importante et vient voir si le travail est signé.

Quel contraste avec cet autre jeune homme qui descend d'un fiacre à la porte extérieure, et qui s'avance vers moi! Sa physionomie spirituelle et douce, ses manières affables, son air modeste, son noble maintien, préviennent en sa faveur : plein de connaissances et de talens, parlant presque toutes les langues de l'Europe, depuis plusieurs années il languit dans une place subalterne, dont il consacre le modique traitement au soutien de sa famille : je voudrais être ministre vingt-quatre heures seulement pour donner à ce jeune homme un emploi convenable à ses talens ; je serais sûr d'avoir rendu un véritable service à l'Etat.

Je vois entrer un homme qui passe rapidement et d'un air consterné. C'est Clairval, l'intime confident du ministre ; il arrive de la cour, et rapporte sans doute quelque mauvaise nouvelle à son noble ami. Notre homme, parfaitement connu dans la maison, se glisse mystérieusement sans être annoncé. Attention! la scène commence. Deux personnes seules, le ministre et le comte de M*** ont remarqué l'entrée de Clairval. Le premier devient visiblement inquiet en remarquant l'abattement de son confident; le second sourit malignement, et se réjouit d'avance de son propre triomphe et de la perte de son rival. Le ministre a trouvé moyen d'écarter la foule qui l'environne, il a pris Clairval à part; chacun s'éloigne avec respect mais tous les regards sont fixés sur eux. Dans ce moment Clairvalapprend au ministre qu'il a cessé de l'être, et que son successeur est le duc de C***; le ministre tressaille, mais il se remet promptement, fait bonne contenance, parle à l'un, sourit à l'autre, fait un compliment à celui-ci, et donne des espérances à celui-là. Sa marche le conduit auprès du comte de M*** qui, d'un air ironiquement poli, lui demande des nouvelles de sa santé, altérée par les veilles et le travail. «< Elle sera bientôt parfaite, M. le comte, je vais goûter enfin les douceurs d'un repos auquel j'aspire depuis long-tems; le Roi consent à recevoir ma démission, et cède à mes désirs en me donnant pour successeur le duc de C*** ; c'est un choix qui doit vous plaire, car vous êtes l'ami du duc de C*** autant que le mien. » Ace nom fatal, le comte de M *** pâlit ; il se trouble, il balbutie; le ministre jouit de son embarras, et l'humiliation de son ennemi lui rend du moins l'apparence de la gaîté.

Cependant quelques personnes ont entendu cette conversation; on chuchotte, on se regarde, la nouvelle se répand dans toute l'assemblée avec la rapidité de l'éclair; ceux qui avaient des espérances deviennent tristes; ceux qui avaient perdu l'espoir de réussir se flattent d'un plus heureux succès auprès du nouveau ministre; en un instant toutes les figures ont changé d'expression, et la moitié de l'assemblée s'est écoulée. Je sors aussi.

« PreviousContinue »