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→ sentimens et les affections qui m'ont fait sentir le prix de » l'existence, en m'apprenant à placer la vertu dans l'huma»nité, l'honneur dans le devoir, et le bonheur dans l'indé

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pendance. Conserve-moi ce désir, qui survit en moi à tous » les autres, de connaître la nature, d'en étudier le livre ad>> mirable, sur chaque feuillet duquel je trouve l'empreinte » de ta main toute-puissante.

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La cloche nous appelait à l'office des morts. Nous remontâmes dans la chapelle. Notre bon curé, après l'office, nous fit, sur la solennité du jour, un sermon, où toutes les vérités de la plus touchante morale, toutes les consolations de la religion la plus sublime, furent mises en usage, avec un talent dont je connais bien peu d'exemples, pour démontrer que l'hommage que l'on rend aux morts consacre la croyance de l'immortalité de l'ame, hors de laquelle il ne peut y avoir ni vertu, ni sentimens vrais, ni espérance sur la terre.

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L'homme de bien, régulier dans ses mœurs, pardonne aux autres comme s'il faisait tous les jours des fautes, et s'abstient d'en faire comme s'il ne pardonnait rien à personne; il n'ajoute pas même foi aux discours scandaleux sur la réputation des autres parce qu'il craint de leur imputer les vices dont il est capable.

NICOLE, sur Juvenal.

Je n'ai jamais assisté à un dîner plus bruyant que celui que nous fîmes la semaine dernière chez Mme de Lorys, où se trouvaient réunis M. et Mme de Merange*, M. David Orioles ** M. Binome, le misantrope André, et l'ami du genre humain, Walker. Celui-ci arriva le dernier, salua la maîtresse de la maison, et, sans dire un mot à personne, se mit à se promener de long en large dans le salon, en marmottant avec beaucoup

* Voyez l'Hermite de la Guiane, N° XXXII, page 173.

**

Voyez l'Hermite de la Guiane No v, page 24.

de volubilité des phrases qu'il avait l'air d'apprendre par cœur. Plusieurs fois on voulut l'interrompre; mais, d'un signe de la main, il priait qu'on le laissât à ses méditations; puis s'arrêtant tout-à-coup, et s'appuyant sur le dossier d'une chaise, dans l'attitude d'un orateur, il demanda la parole. Mon homme, alors, nous débita, sans reprendre haleine (en consultant de tems en tems un petit papier sur lequel il paraissait avoir pris des notes), un discours où il commença par nous assurer « que la nation française était la plus corrompue, la plus avilie, la plus malheureuse de l'Europe; que rien n'égalait l'audace de ses vices, si ce n'est l'infamie de ses mœurs; que les femmes, abjurant toutes les lois de la pudeur, toutes les vertus de leur sexe, se jouaient de la foi conjugale, dont elles trafiquaient pour un fichu de cachemire, et scandalisaient les courtisanes par leurs désordres. »

Des cris d'indignation s'élevèrent dans l'assemblée, et l'orateur n'obtint la permission de continuer qu'en affirmant qu'il ne faisait que répéter à huis-clos ce qu'il venait d'entendre dire en public, et ce que tous les journaux rediraient le lendemain.

Le terrible discoureur passant ensuite de la satire des mœurs générales à celles des différens états, redoubla, s'il se peut, d'hyperboles pour nous représenter les savans les plus distingués comme des professeurs d'athéisme, les négocians comme les vampires de l'Etat, les comédiens comme des empoisonneurs publics, les architectes comme de mauvais chrétiens, et termina par une critique acerbe de nos lois civiles, sans épargner nos institutions politiques; d'où il conclut, de la manière la plus consolante, que nous n'avions ni religion, ni mœurs, ni foi, ni loi; ce qu'il était comme on voit, très-important de démontrer dans la circonstance actuelle.

Quand M. Walker eut fini de parler, et qu'il eut appelé en témoignage, sur l'inconcevable fidélité de sa mémoire, M. de Merange, qui avait, ainsi que lui, entendu prononcer ce discours en séance publique de la bouche même de son illustre auteur, il n'y eut qu'un cri sur l'injustice, sur l'inconséquence d'une pareille diatribe. Le philosophe André seul, trop enclin à juger l'espèce humaine sur le témoignage de la haine spéculative qu'il nourrit pour elle, ne trouvait à redire à cette censure que l'application particulière que l'auteur en avait faite au peuple de l'Europe qui, de son avis même, la méritait le moins. Son sangfroid ne fit qu'animer une discussion où chacun condamnait ce discours avec toute la mesure ou toute la vivacité de son caractère.

« Je n'aime point les jugemens par acclamation, dit Mme de Lorys, je ne vois ici qu'un jury fortement prévenu, et puisque personne ne se présente pour défendre l'accusé, nous devons lui nommer un défenseur d'office. » Le choix tomba sur M. André.

«Peut-être, dans l'intérêt de la défense, reprit M. Walker, cette tâche eût-elle été mieux remplie par l'Hermite, à qui l'on reproche d'avoir fourni quelques-uns des lambeaux de critique sur lesquels vous avez à prononcer.

"J'ai trois raisons, répliquai-je, pour repousser une pareille accusation; je n'en dirai qu'une. En frondant les travers, les abus et les ridicules, en attaquant les préjugés et les vices particuliers à l'époque où nous vivons, j'ai toujours fait en sorte (même en peignant nos mœurs sous le côté le plus défavorable) que les Français y trouvassent de nouveaux motifs de s'estimer eux-mêmes, d'aimer par dessus tout leur patrie, et de respecter les femmes, que je regarde comme la plus belle partie de sa gloire: voilà mes principes. Qu'ont-ils de commun avec ceux du discours que Vous venez d'entendre ?

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On ne soupçonnera pas, reprit Mmede Lorys, que l'esprit de corps entre pour quelque chose dans l'indignation que m'a fait éprouver une satire dirigée contre un sexe auquel, à soixante-dix ans, on n'appartient plus que par les souvenirs; je ne serai pas suspecte d'intérêt personnel en affirmant qu'en général, et quoi qu'en puisse dire le satirique, les femmes d'aujourd'hui valent mieux que celles de mon tems, à les examiner sous le triple rapport de filles, d'épouses et de mères. Les avantages dont elles peuvent se prévaloir dans le premier de ces états sont nés en grande partie de l'éducation domestique, substituée, pour les filles, à l'éducation des couvens, d'où elles ne sortaient que pour se marier. Je suis loin de prétendre que cette époque se distingue par l'extrême sévérité des mœurs conjugales; mais il serait difficile de nier que, du moins dans les classes supérieures, les liens du mariage ne soient plus forts et plus respectés qu'ils ne l'étaient de mon tems. La seule convenance que l'on y consultait pour l'ordinaire, était celle des rangs. Il s'ensuivait que les femmes d'alors n'avaient que l'orgueil pour gardien de leur chasteté; mais, comme disait un de mes amis, « quand la vertu n'est gardée que par un vice, il est aisé de gagner la sentinelle. »

« On parle beaucoup du scandale de quelques divorces; mais pour être juste, ne faudrait-il pas en comparer le nombre, dans un même laps de tems, avec celui des séparations de corps, si communes à une époque où le célibat était telle

ment en honneur, qu'il s'était établi au sein même du mariage? Je ne serais pas éloigné de convenir, avec notre impla cable ennemi, que le luxe des femmes, bien que dirigé par un meilleur goût, n'ait été porté trop loin dans ces derniers tems; mais on sifflerait un couplet de vaudeville où l'on oserait faire entendre que toute vertu est à la merci d'un cachemire. » Les femmes sont mieux élevées; presque toutes celles de mon sang et de mon âge en conviendront, chaque fois qu'elles auront une lettre à écrire, dont elles feront, ainsi que moi, corriger, par leur petite-fille, les fautes d'orthographe. Ce n'est pas seulement d'injustice qu'un Français fait preuve en caJomniant aujourd'hui les femmes de son pays, c'est d'orgueil et d'ingratitude. Pour s'en convaincre, il suffit de réfléchir un moment au caractère sublime, au courage sans exemple, même dans l'antiquité, que les femmes ont développés dans le cours de nos révolutions. »

M. André n'atténua que bien faiblement les torts de son client, en nous prouvant, par des exemples particuliers, qu'au milieu de grandes vertus quelques femmes avaient fait briller de grands vices; que plusieurs avaient fait preuve d'une inconcevable légèreté de principes, d'opinions, et même de sentimens, en nous citant le bal des victimes, les salons du directoire, les amours de prison, etc.

<< Il en est de certains censeurs, dit à son tour M. Binome, comme du poisson connu sous le nom de la sèche, lequel, serré de trop près par son ennemi, trouble l'eau pour se rendre invisible. On sait fort bien qu'il existe, qu'il a existé de tout tems, des hommes qui se sont prostitués au pouvoir, quel qu'il fût; qui ont successivement adopté toutes les opinions en faveur; mais on sait aussi que ce n'est point parmi les savans qu'il faut chercher ces gens-là. Je demande de quel avantage peuvent être pour l'Etat et pour la morale les soupçons d'athéisme, de matérialisme, que l'on élève contre des hommes uniquement occupés de recherches scientifiques, dont les travaux ont pour but unique d'éclairer le monde et d'honorer leur siècle et leur patrie. Je n'ai jamais conçu, reprit M. Orioles, ce que signifiaient ces éternelles déclamations des soidisant moralistes sur le luxe dans un grand Etat. S'ils veulent parler de cette vanité folle et ruineuse qui entraîne celui qui en est atteint à des dépenses au-dessus de ses moyens et de sa condition, rien de mieux ; que l'on s'explique seulement: mais, sous le nom de luxe, s'ils déclarent la guerre à l'industrie, au commerce; si leurs discours ont pour objet d'arrêter la circulation des richesses, de tarir les deux sources les plus fécondes de la prospérité nationale, le reproche le moins grave qu'on puisse leur faire, c'est de ne rien entendre à la question qu'ils

traitent, et de tenir mal-à-propos à Paris des propos qui seraient fort bons à Zurich. Quant aux mœurs personnelles des négocians, que n'a point épargnées l'inexorable censeur, en admettant, comme il a paru l'insinuer, que ce soit d'après leur conduite, dans les troubles révolutionnaires, qu'il faille juger les hommes, il est, je crois, facile de lui prouver que de toutes les classes de la société, celle des négocians est restée la plus étrangère aux folies, aux désordres qui ont signalé cette époque. J'ajouterais, si je ne craignais d'avoir l'air de récriminer , que c'est parmi les gens de robe, dont on nous a fait un pompeux panégyrique, qu'on peut trouver une partie des hommes qui se sont fait, à cette même époque, un nom si cruellement célèbre. »

(Je ne pris la parole, après M. Orioles, que pour affaiblir un des points de l'accusation.)

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J'avouerai, continuai-je, que l'esprit public est encore la partie faible du caractère français, comme le prouve le discours contre lequel s'élèvent tant de clameurs; que nous ne nous sommes pas encore entièrement défaits de cette vanité personnelle qui n'a rien de commun avec l'orgueil national; mais, à cet égard même, il y a de l'injustice à nier nos progrès. Si le patriotisme, pris dans le véritable sens d'amour de son pays, de son prince et de la liberté publique, n'est pas encore notre vertu dominante, du moins ce sentiment devientil chaque jour moins rare; et, sous ce rapport, on peut affirmer que le malheur n'a point été inutile à la nation, quoi qu'on puisse dire, la meilleure, la plus sociale et la plus éclairée de l'Europe. »>

Le défenseur répondit à-peu-près en ces termes :

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Obligé de passer condamnation sur les faits, je défendrai mon client sur le droit et sur l'intention. Le plus sage des ministres du meilleur des rois, Sully, proposait d'établir une censure publique pour refréner le désordre des mœurs.

» Ce qu'un grand homme a proposé, un autre l'exécute : la chose est donc bonne au fond, et nous ne disputons plus que sur la forme. Je ne prétends pas justifier sur ce point une mercuriale dont la violence passe un peu les bornes que j'y mets. Cependant il y a cette observation à faire, que l'admiration déplacée montre à-la-fois deux dupes: celle qui parle et celle à qui l'on parle ; tandis que la censure injuste n'en suppose qu'une.

» On ne peut donc rien conclure de tout ce qui vient d'être dit contre l'esprit de l'orateur; quant à l'indignation qu'il manifeste, peut-être est-elle excusable : à qui la sévérité sera-telle permise, si ce n'est à celui qui peut mettre le poids d'une vie irréprochable, d'une conduite exemplaire, d'un caractère

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