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modes. Ce ne fut qu'en changeant de position, lorsque le fort de la crise fut passé, que M. Vermenil s'aperçut, avec une colère qu'on doit maintenant pouvoir se peindre, des inconvéniens du tête-à-tête où il s'était trouvé.

Au milieu de toutes ces scènes pénibles et grotesques, nous descendîmes à Douvres, où les douaniers ne nous permirent pas même d'emporter un sac de nuit; nous fûmes reçus, en notre qualité d'étrangers, au milieu des huées d'une troupe de femmes et d'enfans qui s'étaient rassemblés sur le port pour nous voir descendre, et qui s'attachèrent particulièrement à notre badaud voyageur, lequel répondait au french dog qu'on faisait retentir à ses oreilles par le mot angliche canaille, qu'il assaisonnait de la plus singulière épithète.

Je ne manquai pas, le lendemain, de me rendre à la douane avec mon premier compagnon de route, pour être témoin de la scène que je prévoyais.

Je ne me souviens pas d'avoir vu de ma vie un homme dans un accès de colère plus burlesque que celui dont M. Vermenil fut pris en voyant retourner tous ses coffres, éparpiller, étaler toute sa garde-robe : ce fut bien pis quand on lui signifia que tous ceux de ses effets qui n'avaient pas encore été portés devaient payer un droit au moins égal à leur valeur intrinsèque; que son argenterie ne pouvait lui être rendue qu'en morceaux; il eut beau jurer, tempéter, maudire les douaniers anglais (les créatures de cette espèce les plus odieuses, il faut l'avouer, qu'on puisse trouver sur le globe ); une partie des effets fut saisie, l'argenterie fut brisée, et on le laissa maître, après avoir payé un droit exhorbitant pour le reste, de partir pour se rendre à Londres.

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Que je sois pendu, s'écria-t-il, si je fais un pas de plus dans cette île maudite, que la mer puisse engloutir! je repars à l'instant même pour la France; et Dieu me préserve de jamais sortir de chez moi!»

Il fit en effet reporter son bagage, diminué de moitié, sur un paquebot prêt à mettre à la voile pour Calais; et quelque chose que je pusse lui dire, je n'obtins pas même qu'il retardât son voyage de vingt-quatre heures pour repartir le lendemain avec moi.

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MONSIEUR L'HERMITE, vous exercez sur les mœurs une censure dont j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de constater les heureux effets; je pourrais citer plus d'un ridicule que vous avez corrigé, plus d'un abus que vous avez fait disparaître, mais je vous rends grâces sur-tout de la persévérance que vous avez mise à poursuivre l'anglomanie. Il faut convenir qu'il s'est fait à cet égard, depuis quelques années, de notables changemens dans les esprits, et que vous et vos dignes prédécesseurs le Franc-Parleur et l'Hermite de la Chaussée-d'Antin, vous avez puissamment contribué à redresser l'opinion publique, que la mode, en ce pays, est si sujette à égarer. Nous n'avons cependant pas encore ville gagnée sur tous les points: nous sommes encore dupes de l'industrie mercantile de nos voisins insulaires; on trouve encore, principalement dans la classe élevée, des gens aux yeux de qui la marque anglaise est un titre de recommandation dans le choix des marchandises dont ils font usage; des femmes qui affectent une ridicule préférence pour les produits d'une industrie étrangère, dans les objets mêmes où depuis quelque tems nous avons acquis une incontestable supériorité.

»Ne vous serait-il pas possible, M. l'Hermite, de leur faire entendre qu'un pareil travers est une sorte de délit national? Et comme il est encore plus facile de parler à la raison de ces gens-là qu'à leur patriotisme, ne pourriez-vous pas leur apprendre que, dans presque toutes les grandes foires de l'Europe, les produits de nos fabriques de soie, de laine et de coton, obtiennent, sous le rapport du goût et de la perfection de la main-d'œuvre, la préférence sur les marchandises anglaises, dont nos voisins d'outre-mer ont maintenant beaucoup de peine à se procurer le débit, même en les livrant au-dessous du prix de fabrique ? Vous l'avez dit quelque part en fait de commerce, ce n'est point aux douanes, c'est à l'opinion publique à garder nos frontières. Depuis quelques mois, elle

a pris, à quelques égards, une excellente direction. Vous pou vez contribuer à l'y maintenir, en achevant de livrer au ridicule ce goût dont l'industrie française a eu si long-tems à souffrir, et dont je puis vous citer, comme témoin oculaire, un des plus honteux résultats.

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» La ville d'où je vous écris possède, entre plusieurs manufactures considérables, une fabrique d'autant plus importante qu'elle réunit différentes branches d'industrie et qu'elle occupe un très-grand nombre de bras. Le chef de cet utile établissement avait en magasin une très-forte partie de marchandises de différente espèce, dont il ne pouvait opérer le placement sur les lieux mêmes. Il prit le parti ( je dois faire observer que ce fait a déjà près de deux ans de date) d'en faire l'envoi à Paris, et de s'y rendre de sa personne pour en effectuer la vente par l'entremise d'un des plus habiles courtiers de commerce. Ce courtier, qui connaissait par expérience la prévention contre laquelle le commerce français avait encore à lutter, conseilla à son commettant d'appliquer à ses marchandises des marques semblables à celles dont les Anglais font usage. Le négociant, plus honteux pour ses concitoyens que pour lui-même d'employer une pareille supercherie, ne dédaigna cependant pas d'y avoir recours : il y trouva l'avantage de se défaire, en peu de jours, de toutes ses marchandises, à cinq ou six pour cent de bénéfice au-dessus du prix qu'il y avait d'abord fixé.

» Nous n'en sommes plus là, j'en conviens; les Anglais nous voient singulièrement refroidis sur leurs productions industrielles; mais ce n'est pas assez : il faut que l'opinion publique repousse ce que le goût réprouve; qu'elle frappe de discrédit les warehouse où se débitent les étoffes anglaises, et qu'elle crie haro sur ceux qui les portent.

» C'est au nom du commerce français, dont je me rends en ce moment l'interprète, que je vous vote, M. l'Hermite des remercîmens pour la part que vous avez eue au bien qui s'est déjà opéré, et pour celle que vous obtiendrez dans le bien qui reste à faire.

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Agréez l'assurance de tous les sentimens qui vous sont dus, etc. >>

G....

Paris, ce 22 septembre 1816.

Venit ecce dives et potens : huic similiter
Impinge lapidem ; et dignum accipies præmium.

PHED., liv. 3.

MONSIEUR, Vous êtes, pour moi, ce riche et ce puissant à

qui je puis remettre le soin de me venger de ceux que j'ai payés pour me servir, et qui m'ont trompé. En effet, riche comme vous êtes en observations justes et profondes sur les moeurs parisiennes, et puissant en paroles pour les peindre c'est vous que j'ai dû choisir pour me venger de ceux dont j'ai tant à me plaindre; mais, au lieu de recevoir les coups de pierres, vous dirigerez vos traits contre ces impudens escrocs que je viens vous signaler, encore tout honteux d'avoir été leur dupe.

» Ce n'est pas tant le plaisir de la vengeance qui m'anime que le plaisir de réprimer un abus qui pèse sur la classe la plus laborieuse de la société; en un mot, M. l'Hermite, c'est des bureaux de placemens et d'agence que je veux vous parler. Vous pouvez vous fier à des renseignemens que j'ai bien payés, et qui sont le fruit d'une amère et longue expérience.

» Il y a deux ans que je vins à Paris pour y chercher un emploi. Après beaucoup de pas et de démarches inutiles, on m'offrit une place de répétiteur dans une maison d'éducation aux environs de Paris. Je l'acceptai. Me fussé-je jeté par-dessus les ponts, une pierre de cent livres au cou! A peine entré dans cet enfer, je n'eus plus d'autre pensée que celle d'en sortir.

» Le hasard fait tomber entre mes mains le prospectus d'un bureau d'agence de la rue Dauphine; j'y cours, et je n'ai qu'à choisir la place qui me convient. Je laisse à mon fondé de pouvoirs toute la latitude convenable; j'accepterai indifféremment une place d'homme d'affaires, de commis, de secrétaire d'intendant, etc. Je paie d'abord un léger droit d'inscription; puis un droit d'abonnement, un peu plus cher; je promets en outre une forte rétribution sur la place qu'on doit me procurer dans le délai d'une quinzaine de jours. Trois mois s'écoulent; le bureau change de maître avant que j'aie rien obtenu. Je renouvelle mon abonnement entre les mains du directeur, qui m'invite, pendant six mois, à prendre patience. Je la perds enfin, et, sur la recommandation d'un homme payé pour recruter des dupes, je m'adresse au bureau d'agence de la rue Tiquetonne. Nouvel abonnement, nouveau droit d'inscription, nouvelles promesses, dont je me lasse d'attendre l'effet.

» L'an passé, à l'époque des vacances, les Petites-Affiches me font connaître le bureau d'agence de la rue des FossésMontmartre sous des rapports tellement avantageux, que j'aurais cru manquer ma fortune en différant à m'y rendre. Au moyen d'une somme de 13 francs, une fois payée, j'ai la certitude d'obtenir une place de douze ou quinze cents livres avant la rentrée des classes. ... Je fais mes dispositions en conséquence; je quitte la maison d'éducation où j'étais professeur; me voilà. .... sur le pavé. . . . .

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Que vous dirai-je, M. l'Hermite? Après avoir passé par la filière de quarante-trois bureaux d'agence et de placemens; après avoir épuisé mes petites épargnes en abonnemens et en droits d'inscription, je me vois aujourd'hui, grâce aux bureaux d'agence, dans une position cent fois pire que celle où je me trouvais en arrivant à Paris.

» L'abus dont je suis victime n'est-il pas au nombre de ceux qu'on peut déférer à l'autorité ? Je vous le demande, M. l'Hermite, doit-il être permis de spéculer ainsi sur le denier de la veuve et de l'orphelin? Le privilége d'une odieuse industrie va-t-il jusqu'à prélever un impôt sur la confiance et la crédulité des pauvres ?

» Recevez mes salutations. »

MENNESSIER.

Ferney-Voltaire, 25 septembre 1816.

« In silvam ne ligna feras, dit-on. Cependant je prends la liberté de vous indiquer un sujet ; ce qui me détermine, c'est qu'il m'a paru d'un grand intérêt, et qu'il n'a pas encore été traité ex professo. Je veux parler de l'influence qu'ont dû exercer le genre de vie et la position particulière des gens de lettres sur la composition de leurs ouvrages. Cet examen, si riche en observations, en rapprochemens de toute espèce, ne pourrait manquer de plaire au petit nombre d'amis des lettres que la France possède encore, et dont nos auteurs modernes s'occupent assez peu. Ils aimeraient à trouver dans quelqu'un de vos Discours une peinture fidèle de la vie que menaient les grands écrivains de ce beau siècle de Louis XIV, de leurs habitudes domestiques, de leurs affections, de leurs rapports entr'eux, avec le monde, avec la cour. Ce tableau, où vous indiqueriez le degré d'estime qu'on faisait de leurs personnes et de leur état, le rang où l'opinion les plaçait dans la société, nous distrairait agréablement du spectacle que nous avons sous les yeux. Tout ce qui nous rappelle le beau siècle, et principalement les auteurs dont il tire son principal éclat, s'empare aisément de nos esprits et de notre admiration : la simplicité de ces grands hommes dans la vie ordinaire; leur prodigieux talent avec si peu de prétention; leur franchise dans les démêlés littéraires, leur noble désintéressement; cette estime de leur profession qui leur laissait prendre, sans qu'on s'avisât de le leur contester, le rang qui leur appartenait dans l'Etat (comme si cette conscience intime de soi-même, généralement plus près de la sagesse que de l'orgueil, leur eût fait prévoir que la postérité les placerait plus haut); toutes ces considérations, si dignes d'arrêter notre pensée, portent jusqu'à l'atten

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