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l'ordonnance des obsèques, où il avait eu soin de déployer l'humiliant appareil de la plus fastueuse mortalité.

Bien que je ne m'attendisse pas à trouver, à l'enterrement d'un homme en place, autant de monde que j'en avais vu à ses audiences, je fus néanmoins choqué du petit nombre de personnes qui s'étaient rendues à cette invitation mortuaire. J'en fis la remarque à l'intendant : « J'avais prévu le cas me dit-il; j'ai fait prévenir et habiller tous les fournisseurs » de l'hôtel : ils suivront dans les voitures de deuil. »

En attendant le moment du départ, je me promenais tristement dans ces appartemens somptueux, dont le possesseur de la veille ne devait emporter qu'un linceul; je m'arrêtais dans son cabinet à contempler son portrait, où il était peint en grand costume, rédigeant une dépêche et le regard arrêté sur un buste du cardinal Mazarin. Là, ses yeux armés de dédain, animés d'une orgueilleuse espérance, conservaient du moins quelque chose de la vie dont le modèle était entiè– rement privé.

De combien de réflexions amères les objets dont j'étais entouré venaient assaillir ma pensée! Cette pendule qui marchait encore, cet Almanach Royal ouvert sur la cheminée, à la page même où se trouvait le nom du comte, lequel avait, de sa main, ajouté en marge un de ses titres qu'avait oublié l'éditeur; cette lettre laissée sur son bureau, dont il n'avait pu tracer que ces premières lignes :

« Je ne pourrai, mon cher marquis, m'occuper du projet › en question avant deux ou trois ans ; mais aussi pourquoi tant nous presser? Grâce au Ciel, nous avons du tems » devant nous..... "

Et il n'a pas eu celui d'achever son billet!!!

On vint me prévenir que le cortége se mettait en marche je montai dans celle des vingt-quatre voitures de deuil qui suivait immédiatement le char funéraire, qu'on aurait pu prendre pour un char de triomphe, au luxe des ornemens des broderies et des trophées dont il était couvert.

Après une longue station à l'église de la paroisse du défunt, où j'aurais désiré qu'au lieu de prières psalmodiées un des ministres de la religion nous eût fait entendre, à propos de la mort, un bon sermon sur l'immortalité de l'ame, nous nous acheminâmes vers le cimetière du P. Lachaise. Au moment où nous y arrivions, deux autres convois, qui s'y rendaient par des chemins différens, se trouvèrent à-peu-près en même tems que nous à la porte principale. Je vis le moment où nous allions nous disputer,

Dans ce triste passage,

Des vains honneurs du pas le frivole avantage.

Les deux chars qui se présentaient en concurrence avec celui de M. de Sergis, à l'entrée de la funèbre carrière, étaient ceux du commissaire-ordonnateur Marchand et du poète Millevoye.

Le premier, connu par d'honorables services, était tombé dans une de ces embuscades dressées ça et là sur le chemin de la vie, pour assurer à la mort le droit fatal qu'elle perçoit sur tous les âges : cet administrateur, que les travaux et les fatigues de la guerre avaient respecté pendant trente ans, s'était noyé dans une promenade sur la Seine.

L'autre, dont les Muses déplorent vivement la perte, est tombé dans la force de l'âge et du talent. M. de Millevoye avait été particulièrement connu de la personne avec laquelle je faisais ce triste voyage, je l'interrogeai sur quelques circonstances de la vie et de la mort de ce jeune poète; elle se contenta de me réciter ces vers prophétiques, qui terminent une de ses meilleurs élégies ( le Poète mourant) :

Compagnons dispersés de mon triste voyage,

O mes amis! ô vous qui me fûtes si chers!
De mes chants imparfaits recueillez l'héritage,
Et sauvez de l'oubli quelques-uns de mes vers.
Et vous, par qui je meurs, vous à qui je pardonne,
Femmes! vos traits encore à mon ceil incertain
S'offrent comme un rayon d'automne,
Ou comme un songe du matin.

Doux fantômes, venez! mon ombre vous demande
Un dernier souvenir de douleur et d'amour.
Au pied de mon cyprès effeuillez pour offrande
Les roses, qui vivent un jour.

Le cérémonial réglé, nous entrâmes au séjour de l'oubli, dans un ordre tout-à-fait convenable : l'homme d'état passa le premier: A tout seigneur tout honneur; le citoyen laborieux et utile suivit d'un peu loin, et l'homme de lettres resta en arrière. Les restes de M. de Sergis furent déposés au bas de la colline où se trouve la maison du P. Lachaise, dans une vaste enceinte, sur laquelle était déjà tracé le monument somptueux qu'on se propose d'y construire. Après avoir rendu les derniers devoirs à celui que, dans l'ordre de la nature, j'aurais dû précéder au tombeau; après l'avoir vu descendre dans sa froide demeure, et avoir entendu retentir avec effroi, sur son cercueil, la pelletée de terre que m'avait présentée le directeur des funérailles, j'errai quelque tems sur cette terre des morts, en m'étonnant d'en habiter encore la surface.

Qu'elles sont profondes, qu'elles sont sages les réflexions qu'un pareil lieu, que de pareils objets inspirent ! Avec quel dédain on regarde du haut de la mort, si j'ose parler ainsi,

ces niaises vanités, ces petites grandeurs, ces graves riens, à la poursuite desquels nous consumons notre vie! Du point de vue où je me trouvais alors, que l'ambitieux me paraissait bête! que le courtisan me paraissait vil! que le persécuteur me semblait odieux et insensé! Si je puis juger des autres d'après moi-même, une heure de promenade dans un cimetière révèle plus de vérités utiles, plus de sentimens vrais, plus d'idées religieuses à l'esprit et au coeur de l'homme, qu'il ne peut en puiser dans tous les livres de morale.

Cette réflexion me conduit à former le vœu de voir un jour nos cimetières transformés, comme chez les Orientaux, en promenades publiques. Ce projet, sur l'utilité duquel je regrette de ne pouvoir m'étendre en ce moment, serait d'une exécution plus facile au cimetière du P. Lachaise que partout ailleurs le terrain est heureusement choisi; les distributions en ont été faites par un architecte habile (M. Brongniart), dont il serait à souhaiter que le plan reçût son exécution tout entière. Il avait fait adopter l'idée touchante et ingénieuse d'élever, sur les ruines de la maison du célèbre jésuite qui donne son nom à ce pieux enclos, une chapelle funèbre, dont la destination religieuse et l'aspect pittoresque sur la hauteur qui domine et couronne le cimetière ajouteraient le seul ornement convenable à la majesté du lieu. Il est à craindre que ce monument n'existe pendant plusieurs siècles que dans les dessins déposés à l'Hôtel-de-Ville.

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Pour transformer en jardin public le cimetière du P. Lachaise, il suffirait d'en diriger les inhumations dans les alignemens qui avaient été tracés, et qu'on ne suit déjà plus; d'y construire deux fontaines jaillissantes, et d'y faire quelques plantations d'arbres dans les différentes directions que le seul aspect du terrain indique. Il serait nécessaire que l'administration municipale y entretînt un conservateur et plusieurs garçons jardiniers, à qui je voudrais que l'on ôtât ce vilain nom de fossoyeurs. Le conservateur, choisi parmi les artistes, se chargerait de faire exécuter, ou du moins de surveiller l'exécution des monumens funèbres; et, grâces à ses soins, les arts n'auraient plus à rougir de cette foule de cons tructions mesquines, bizarres et souvent ridicules, de ces épitaphes impertinentes et puériles, où la raison, la langue et le goût sont également blessés, et qui font trop souvent rire aux dépens des morts, en nous montrant le ridicule assis sur la pierre des tombeaux.

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MON ON joyeux Révérend, j'achève une promenade intéressante dans la vallée de Chamouni. Vous connaissez cette vallée, sans doute; dans tous les cas, je me garderai bien de vous en faire la description: vous vous êtes trop fortement prononcé contre le genre descriptif. Ce que vous ignorez, c'est que sur le registre de l'hôtel de Londres, où les voyageurs ont cou→ tume de consigner l'expression des sensations qu'ils ont éprou vées en parcourant les glaciers, un de vos lecteurs s'est permis de blâmer le vœu que vous avez formé dans un de vos premiers Discours, pour qu'un littérateur recueillît, dans les Album qu'il aurait occasion de lire, les pensées spirituelles ou philosophiques qu'on y enterre, et dont cet aristarque est fort mécontent; ce qui ne l'a pas empêché de faire comme les autres, et de nous transmettre son opinion en l'écrivant sur l'Album de Chamouni.

Pour savoir jusqu'à quel point sa critique était motivée, j'ai lu en entier ce registre curieux, où sans doute il y a beaucoup de choses puériles et insignifiantes; mais il renferme aussi des inscriptions qu'on ne lit pas sans plaisir. C'est d'abord une chose assez originale que cette réunion de pensées et de citations, les unes religieuses, les autres grivoises; que ces sentences, mélancoliques ou bouffonnes, écrites dans toutes les langues. C'est une chose piquante que de voir la signature de beaucoup de gens célèbres de tous les pays, à côté des noms les plus obscurs. Je n'ai pu lire sans une sorte d'émotion deux lignes qui, à très-peu de pages de distance, rappellent que, dans le modeste réduit où j'étais, deux femmes qui ont essayé le même trône sont venues séjourner une nuit dans ce même gîte. Que de réflexions ce seul rapprochement peut faire naître! Mais mille traits s'offrent pour justifier le vœu que vous avez formé. Je vais en citer quelques-uns.

Un officier français a dessiné un soleil éclairant un tournesol, dont la fleur suit son cours radieux; au bas on lit cette

devise: Inferius nil sequor. Cet emblême ingénieux est digne d'un amant de la gloire.

Près de ce dessin poétique est une inscription très-remarquable; la voici: Si les passions n'anéantissaient la sensibilité du cœur, on verrait les hommes s'abstenir de choses impures et que le sentiment réprouve. Mais l'ame inclinée vers sa perfection ne saurait composer avec ses principes et jeter dans la vie une autre vie qui conduirait à un avenir sans avenir. Cette phrase mystérieuse avait-elle besoin d'être signée STAEL DE HOLSTEIN, le 26 juillet 1815?

Vient ensuite cet avis, donné aux voyageurs par un homme qui n'a signé que ses initiales, mais qui me semble avoir fait ses études au Vaudeville :

N'allez pas longuement vanter ce qui vous plaît !

C'est louer assez bien que garder le silence.

On parle quand le cœur se tait,

On se tait lorsque le cœur pense.

L'auteur de ce quatrain a eu la prétention d'être profond, et croit sans doute avoir révélé autre chose qu'une vérité de M. de la Palisse.

Il y a plus de sens dans l'épigramme suivante :

Sur ces rocs décharnés, où la nature expire,
J'égare avec transport mes pensers et mes pas;
J'y marche librement, librement j'y respire,
Et ma femme n'y viendra pas !

Voulez-vous de la gaîté?

Un jour trois bons vivans, à la fleur de leur âge,
Au sommet du Mont-Blanc voulaient porter leurs pas;
Les guides, la saison, leur bourse et leur courage,
Tout leur manque à-la-fois.... Ils sont restés en bas.

Un voyageur fatigué de la course des glaciers, et encore effrayé des dangers qu'il a courus, exprime ainsi ce qu'il éprouve :

Quand on a d'aussi haut contemplé la nature,
On sent au fond du cœur une volupté pure:
C'est celle d'obtenir, pour derniers résultats,

De ne s'être cassé cuisses, jambes ni bras.

Tous ces vers n'ont pas été du goût d'un littérateur sévère, qui, après les avoir lus, prit la plume pour les censurer de cette manière :

Oh ! que la nature est immense !

Oh! que les hommes sont petits!

Dans ces vastes tableaux que de magnificence!
Que de sottise en ces écrits!

L'un pense être Delille, alors qu'en ses récits,

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