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pas peuvent supposer qu'elle n'est point étrangère à ses occupations; parce qu'elle s'expose à être saluée, dans une prome nade publique, par sa lingère ou sa marchande de modes, et que peu de gens sachant apprécier la nuance du salut qu'elle lui rend, on peut croire qu'elle traite d'égale à égale avec une petite bourgeoise qui viendra, le lendemain, faire antichambre chez elle pendant deux heures pour avoir un à-compte sur son mémoire. Vous m'en direz tant, Madame, que je finirai par croire que le bon sens est directement l'opposé du bon ton, dans lequel je voulais absolument qu'il entrat pour quelque chose. Je ne me suis jamais avisée d'examiner ce qu'ils peuvent avoir de commun ensemble: c'est votre affaire; mais je sais le bon ton est le résultat d'un sentiment d'autant plus vif, d'autant plus impérieux, qu'il est tout-à-fait exempt de réflexion. Adieu, sage Hermite ; j'entre dans cette maison, pour n'avoir pas encore une fois à rougir aux yeux d'un homme de ma connaissance que j'aperçois, et qui serait, j'en suis sûre, moins indulgent que vous. ».

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me

En quittant Me d'Essenilles, sur le boulevart, au coin de la rue de Caumartin, je songeai que j'étais à quelques pas de la demeure de l'ami Walker, et qu'il pourrait m'être très-utile dans l'emploi que je voulais faire de ma journée. C'est un homme dont je me sers dans certaines occasions comme on se sert d'une loupe pour rapprocher ou pour éclaircir les objets. Malheureusement il venait de sortir à l'instant même ; je le voyais à quelques pas devant moi, et j'aurais pu le rejoindre au haut de la rue Sainte-Croix, si les voitures qui affluaient à Saint-Joseph ne me l'eussent fait perdre de vue. J'entrai dans cette église, où je fis une remarque dont je ne veux pas presser la conséquence. L'église était pleine; mais, à l'exception de cinq ou six jeunes gens, qui accompagnaient leurs mères, et de trois ou quatre vieillards, au nombre desquels je me comptais, cette assemblée de fidèles n'était composée que de femmes. J'avais eu plusieurs fois occasion d'observer la foule de pauvres qui remplit le porche des églises ; je fus étonné d'en trouver si peu à Saint-Joseph; le suisse, à qui je fis part, en sortant, de mon observation, me dit, d'un ton à me laisser incertain sur ma pensée : « Cela n'est pas étonnant ; c'est le quartier des riches. »

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Je ne connais pas d'objets du même genre qui se ressemblent moins au monde que les deux plus grandes capitales de l'Europe, un jour de dimanche. L'aspect de Londres est triste, silencieux les rues, dont les maisons et les boutiques sont exactement fermées, ressemblent à ces longs corridors d'une chartreuse, où quelques religieux se promènent en silence. Paris, au contraire, se présente sous un aspect plus agréable,

plus varié et plus bruyant que les autres jours. L'amour du plaisir, chez les habitans des rives de la Seine, est encore plus actif que l'amour du gain. Il n'en est pas de même aux bords de la Tamise, et cette différence dans le caractère des deux peuples pourrait fort bien avoir produit toutes les autres. Mais laissons un parallèle qui me fournira quelque jour un bon chapitre, et, pour aujourd'hui, ne sortons pas de nos bar

rières.

C'est un tableau très-gai, très-animé, que celui que j'ai sous les yeux, en ce moment, dans les différentes rues que je parcours aux environs du Palais-Royal. Les maisons, dont presque toutes les fenêtres ouvertes sont garnies de fleurs et de femmes à tous les étages; ces boutiques à demi fermées, où l'on a soin de laisser entrevoir les objets les plus propres à tenter les acheteurs; ces familles entières vêtues de leurs plus beaux habits, qui marchent dans la même direction, et dont toutes les figures rayonnent déjà du plaisir que l'on projette encore; ces voitures de place, où l'on trouve le moyen de faire entrer sept à huit personnes, et dont le cocher et les chevaux même ont un certain air de fête : toutes ces circonstances, plus rapprochées, plus fréquemment reproduites, donnent à cette ville ce qu'on peut appeler sa physionomie du dimanche.

Je m'étais arrêté dans la rue Vivienne, auprès d'une élégante boutique, où deux jeunes personnes, plus jolies que les odalisques du sérail qui servent d'enseigne à leur magasin, causaient sur le pas de leur porte. Pour me donner, dans mes observations, une attitude un peu moins indiscrète, je feignis de lire les nombreuses affiches dont la muraille voisine était couverte. L'attention impatiente avec laquelle l'aînée de ces jeunes personnes regardait du même côté de la rue, les mots le voici !.... deux ou trois fois répétés par la plus jeune avec une attention maligne, m'avaient mis en tiers dans leur confidence; et, après avoir vu l'expression de la joie se peindre sur la figure de la belle attentive, je ne fus pas étonné de l'air de réserve qu'elle prit à la vue d'un jeune homme en garde national, le fusil sur l'épaule, qui s'approcha de ces demoiselles avec un empressement que la petite sœur modéra en mettant un doigt sur sa bouche et en retournant la tête, comme pour regarder dans l'intérieur de la boutique. La conversation, commencée à voix basse, fut brusquement interrompue par l'apparition d'un père ou d'un oncle en robe-de-chambre de siamoise et en bonnet de velours. Le jeune homme feignit d'arriver à l'instant même, et se pressa de dire qu'il allait à la parade. Je m'apercevais que sa présence était moins agréable au bon-homme qu'à ces demoiselles, et je devinais aisément

qu'il y avait là, comme dans toutes les comédies, un amoureux, une amoureuse, une confidente, et un père barbare qui contrariait un tendre penchant. J'avais bien remarqué que la sœur cadette tenait en main et roulait dans ses doigts un petit papier, sur lequel le jeune homme avait les yeux, et dont je soupçonnais la destination, sans imaginer comment il parviendrait à son adresse en présence d'un argus qui me semblait très-vigilant. La petite personne s'avisa d'un moyen tout-à-fait ingénieux. « Je ne sais pas comment vous pouvez faire, M. Durand, dit-elle au jeune homme, pour porter, pendant deux ou trois heures, une arme aussi lourde; » et en feignant de soulever le fusil, elle laissa glisser le billet dans le canon. « Bah! c'est une plume, répondit M. Durand en le portant à son épaule. Je vous assure, ajouta-t-il, qu'il ne m'a jamais paru plus léger. » Cela dit, il s'éloigna en jetant sur les deux sœurs un regard plein d'amour et de reconnaissance.

Le Palais-Royal, dont l'attrait particulier tient à l'éclat de ses boutiques, est moins agréable et moins fréquenté les dimanches que les autres jours de la semaine; le jardin n'est peuplé que de lecteurs de journaux et d'étrangers, pour qui la Rotonde est un lieu de rendez-vous.

C'est aux Tuileries que se rassemble le dimanche toute la petite bourgeoisie parisienne, qui se subdivise en trois ou quatre classes, dont les nuances, parmi les femmes, deviennent chaque jour plus difficiles à saisir. La fille d'un marchand, d'un procureur, n'a rien qui la distingue aujourd'hui de la fille d'un bon artisan : leur parure est semblable, leur coiffure est la même, leurs manières sont également étrangères à leurs habitudes, et ce n'est guère qu'en faisant attention aux hommes qui les accompagnent qu'on peut deviner à quelle classe de la société elles appartiennent. Celui qui est venu se promener dans cette grande allée le samedi, au milieu des femmes les plus élégantes, des hommes les plus brillans, dont se compose ce qu'on appelle le grand monde, et qui s'y trouve le lendemain à la même heure, au milieu de l'assemblée du dimanche, croit assister à la représentation de la même pièce jouée par des acteurs de province.

J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de peindre les différentes scènes dont ce lieu est journellement le théâtre; je pourrais tout au plus en varier les couleurs ; mais l'espace qui me reste suffit à peine à l'esquisse générale que je trace en

courant.

Pour continuer ma revue dominicale; je partis des Tuileries à cinq heures, pour aller dîner dans le quartier du Temple. En remontant les boulevarts, j'eus occasion d'observer qu'une partie des promeneurs se portait vers les barrières de Mont

martre et de la Villette, tandis que l'autre se dirigeait vers les petits théâtres. Le dîner que je fis, au Cadran-Bleu, avec une famille de braves gens qui voulurent bien m'admettre à leur table, est encore un épisode dont je suis obligé d'ajourner le récit.

Après mon dîner, je me donnai le plaisir d'entrer dans tous les cafés, de visiter toutes les curiosités, de m'arrêter devant toutes les parades que l'on trouve à chaque pas sur cette partie du boulevart. Je faisais d'agréables réflexions sur cette multitude de plaisirs qu'on pouvait se procurer à si bon marché, quand je m'aperçus qu'on m'avait débarrassé de mon mouchoir, de ma montre d'argent et de ma tabatière; je promis de m'en venger, en faisant quelque jour un beau Discours contre les filoux, pour l'instruction des badauds.

J'allai prendre du café au jardin des Princes, où le hasard me fit rencontrer, les deux jeunes marchandes de la rue Vivienne, avec leur père. Je m'imaginai que le garde national devait être de la partie; et, à force de le chercher, je le découvris tout seul dans un cabinet de verdure adossé à celui où se trouvaient ces dames, dont il n'était séparé que de l'épaisseur de quelques feuilles. Tout vieux que je suis, je me fis une idée de leur bonheur,

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No L. 6 juin 1816.

LES FUNÉRAILLES.

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เง

Vix radicitùs e vitá se tollit et ejicit,
Sed facit esse sui quiddam super, inscius ipse,
Nec removet satis à projecto corpore sese et
Vindicat.

LUCR., liv. III.

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Il y a bien peu d'hommes qui consentent à mourir tout entiers; on veut retenir quelque chose de la vie et l'emporter avec soi, et l'on a de la peine à s'affranchir de ce corps que le trépas réclame.

EN entrant hier matin dans la chambre de Mme de Lorys, je la trouvai tout en larmes. Je l'interrogeai sur la cause de son chagrin, Elle me montra, dans la Gazette de France qu'elle

tenait à la main, la lettre de M. de R***, dont la lecture lui rappelait une jeune femme distinguée par toutes les grâces et par toutes les vertus, qui ne vivait plus que dans le cœur de son excellent père et dans la mémoire inconsolable de ses amis. Le souvenir des douleurs sur lesquelles a passé le tems a je ne sais quel charme où se complaisent les ames tendres. Mme de Lorys trouva, dans l'attention avec laquelle je l'écoutais un prétexte, qu'elle saisit avidement, de me parler de Mme de Brion, avec qui elle avait autrefois fait connaissance dans une terre aux environs de Creil, chez une autre de ses amies non moins aimable, non moins bonne, et que la mort avait également moissonnée à la fleur de l'âge.

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Ces tristes récits nous avaient conduits à de sages réflexions sur le terme inévitable vers lequel nous nous acheminons tous d'un pas inégal; et nous tombions d'accord que mesdames de B**** et de Saint-J****, en quittant la vie, avaient éprouvé une bien douce consolation dans la pensée que l'amitié resterait fidèle à leur mémoire, et qu'on dirait de chacune d'elles ce que Cicéron disait à sa chère Tullia: Eteinte, elle sera encore aimée. (Extincta amabitur.)

Cet entretien, qui n'était pour moi qu'une préparation aux événemens de cette journée, fut coupé plutôt qu'interrompu par une lettre de faire part, qui m'invitait à assister aux convoi et enterrement du très-haut et très-puissant seigneur Charles-Emmanuel Rodolphe coмMTE DE SERGIS, etc. Je n'avais pas eu à me louer de cet arrière-petit-cousin *, dont les bontés pour moi, depuis, son élévation, se bornèrent à me permettre d'aller lui faire ma cour, sans invitation spéciale, une fois par semaine après son dîner. Je n'étais pas d'humeur à user de la permission, et quelque intérêt que je prisse à son aimable femme, je ne pus me déterminer à passer par toutes les épreuves qu'il fallait subir pour arriver jusqu'à elle. La mort de M. de Sergis m'affligea cependant plus encore qu'elle ne me surprit; je n'avais jamais douté qu'avec une santé aussi faible il ne succombât sous le fardeau qu'il s'était imposé du seul aveu de son ambition, sans consulter ni ses moyens ni ses forces.

Si j'avais cru pouvoir me dispenser de me mettre dans la foule des adorateurs de sa fortune, je n'en regardai pas moins comme un devoir de contribuer à lui rendre les derniers honneurs, les seuls dont on ne puisse calomnier l'intention.

Je me rendis au domicile du défunt, d'où l'on avait éloigné son épouse et sa fille. Un intendant, habile à profiter, pour la dernière fois, de la vanité de son maître, s'était chargé de

* Voyez l'Hermite de la Guiane, xo xvII. (l'Ambitieux.}

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