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culiers où deux personnes cherchent mutuellement à s'éclai rer, à se persuader, à s'instruire sur un objet d'une si haute importance. « Un peu de philosophie, a dit Bacon, dans son chapitre de la Superstition, conduit à l'athéisme; beaucoup de philosophie ramène à la religion. » Les raisons dont il appuie cette vérité ne sauraient être trop souvent reproduites. » L'esprit de l'homme (continue l'illustre chancelier d'Angleterre ), en examinant séparément les causes secondes, n'a souvent pas la force d'en sortir; mais s'il parvient à découvrir le lien qui les unit et les confédère, il s'en s'ert, comme d'un point d'appui, pour s'élever jusqu'à la divinité, qui en tient en main la chaîne éternelle, »

La lecture de cet admirable chapitre des Essais, que je faisais, il y a quelques jours, à Mme de Lorys, en nous promenant sur la terrasse du château de Senart, me servit de texte pour combattre un reste de préjugé que cette dame conserve contre la philosophie moderne. «En matière de religion, me disait-elle, je crains cet orgueil philosophique qui cherche à se rendre compte de tout; et, n'en déplaise à Bacon, plus on examine, plus on est près d'être incrédule. La religion ne demande que de la foi; la philosophie exige des preuves. Elle fait plus: elle les fournit, et c'est dans l'excel lence même de la morale qu'elle puise ses démonstrations. En annonçant que la religion est au-dessus de la raison humaine, la philosophie n'admet point qu'elle y soit contraire; elle ne dit point, comme certains théologiens : Croyez, parce que cela est absurde *; mais : Croyez, parce que cela est vrai, bon, utile.-Fort bien ! mais, chez vos philosophes, ce mot religion a une acception bien étendue, et l'on serait souvent tenté de croire qu'ils respectent également, le Zend, le Coran et l'Évangile. C'est-à-dire qu'ils croient une religion si nécessaire aux hommes, qu'ils pensent avec raison qu'il vaut encore mieux qu'ils en aient une mauvaise que de n'en point avoir; mais tous (je parle des philosophes véritablement dignes de ce nom) s'accordent sur ce point, que la religion chrétienne (à ne la considérer même qu'avec les yeux de la raison) est la ' plus utile et la meilleure, parce qu'elle donne à la vertu de plus nobles espérances, au vice de plus vives alarmes, au malheur de plus douces consolations; parce qu'elle est la seule au monde qui tente à élever l'homme au-dessus de lui-même, en lui faisant une loi d'aimer ses ennemis, de bénir jusqu'à ses bourreaux; parce qu'elle rétablit la nature humaine dans tous ses droits, parce qu'elle venge l'opprimé, et qu'elle maudit l'oppresseur. Après cela, il est également vrai de dire

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* Crede quia absurdum.

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que ces mêmes philosophes, qui pensent que, de tous les abus, les plus cruels sont ceux qui ont une source respectable, se sont de tout tems élevés contre l'intolérance et la superstition. Beaucoup plus que contre l'athéisme! Cependant votre philosophe par excellence, Voltaire, n'hésite pas à dire que la superstition est moins dangereuse que l'athéisme. -Il s'est, je crois, contenté de les mettre sur la même ligne. J'ai bien présente à la mémoire cette pensée, qu'il répète en plusieurs endroits de ses ouvrages: un athée raisonneur violent et puissant, serait un fléau tout aussi funeste qu'un superstitieux sanguinaire. J'ai souvent eu occasion de remarquer que ces messieurs, qui ont une singulière tendance vers la réforme, appellent superstition les pompes, les cérémonies de l'église, et qu'ils s'efforcent de séparer le rite de la religion, dont il est le plus ferme appui et le plus sûr garant. -Vous me permettrez sur ce point d'être de l'avis de l'auteur du livre de la Sagesse, et de rappeler, après Charron, dont vous ne récuserez pas l'autorité, que le culte extérieur est plus souvent le signe de l'ostentation humaine que de la vérité divine, et qu'il faut s'en acquitter sans hypocrisie, sans luxe, sans ambition. J'ajouterai (en m'appuyant d'un texte non moins respectable)« que la religion doit être la loi secrète de notre conduite, et non, comme nous en avons tant d'exemples, l'enseigne trompeuse d'une vie tout-à-fait étrangère à sa doctrine. »

La pluie vint interrompre notre entretien, au grand regret de Mme de Lorys, qui tenait beaucoup, disait-elle, à me ramener à son avis dans cette grave question; elle ajouta qu'elle en avait la certitude, si je consentais à passer à Paris, avec elle, toute la matinée du dimanche suivant. J'acceptai l'invitation. Mme de Lorys retourna à Paris, et je restai dans ma cellule champêtre. Le samedi matin, je reçus un billet qui me rappelait notre rendez-vous, où je devais me trouver à neuf heures précises. On me prévenait, par post-scriptum, qu'on ne déjeûnerait pas avant une heure.

Je fus exact, je trouvai Mme de Lorys dans son oratoire, ой elle avait donné l'ordre qu'on m'introduisît, et je crus remarquer qu'elle était vêtue avec beaucoup plus de simplicité qu'à l'ordinaire. Cette dame, sans aucune des prétentions qui appartiennent à un autre âge, et dont personne ne sent plus viment le ridicule, a néanmoins pour principe qu'il faut, non point parer, mais orner la vieillesse, comme on sème des fleurs autour d'un tombeau pour en rendre l'aspect supportable.

des

La remarque que j'avais faite ne lui échappa pas. « Il y a jours, me dit-elle, et celui-ci est de ce nombre, où la créature humaine ne doit pas craindre de paraître dans toute son

*

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qua

infirmité. Qu'importent les ravages du tems à qui ne doit s'occuper que d'une vie immortelle! » Il y avait dans le son de sa voix, dans ses manières, une sorte de gravité qui ne lui est point ordinaire, et que je cherchais à m'expliquer, lorsqu'une vieille gouvernante entra avec la jeune Cécile âgée de torze ans, petite-fille et pupille de Mme de Lorys. La parure blanche, sans aucun ornement, le grand voile de mousseline dont elle était entièrement recouverte, je ne sais quel charme d'innocence et de candeur répandu sur toute sa personne, excitèrent en moi un mouvement d'admiration que j'aurais manifesté sans doute en me récriant sur la beauté de cette charmante enfant, si je n'eusse été averti, par un regard de Mme de Lorys, que ce n'était ni le lieu ni l'occasion d'un compliment de cette nature.

Cécile, les yeux baissés, s'approcha de sa grand'mère, qui la fit asseoir près d'elle et lui adressa la plus touchante exhortation. J'appris alors que ce jour était consacré au plus saint des devoirs, et que da jeune Cécile se préparait à le remplir pour la première fois. Quand Mme de Lorys eut cessé de parler, sa fille se mit à ses genoux, et la vénérable aïeule, d'une voix pleine de la plus touchante émotion, appela la bénédiction du Ciel sur la tête de la vierge orpheline, où brillait la céleste pureté des anges. Je ne restai point étranger au sentiment religieux dont leur coeur était rempli.

Mme de Lorys donna l'ordre de faire approcher une voiture de place; et comme je paraissais étonné qu'elle ne demandât pas son carrosse : « Je pense, me dit-elle, qu'il y a des actions dans la vie dont la sainteté ne s'accorde pas avec l'appareil d'un luxe mondain ; et nous aurions été à pied à l'église, ajouta-t-elle plus bas, si je n'eusse craint que la beauté de cette enfant n'attirât sur elle des regards que je veux en détourner, ou des observations dont elle ne doit pas être l'objet.

Nous arrivâmes à l'église. Le grand nombre de voitures élégantes, de laquais à livrées, quien obstruaient les avenues, me prouva que l'humilité chrétienne, dont Mme de Lorys faisait preuve dans cette circonstance, n'était point à l'usage de tous les fidèles.

Cécile alla prendre place parmi les jeunes communiantes, qui occupaient la partie droite de la nef la plus voisine du chœur. Les communians de l'autre sexe étaient placés à gauche.

La piété paraît être un sentiment plus naturel au cœur des femmes qu'à celui des hommes; la cérémonie religieuse à laquelle j'assistais aurait suffi pour m'en convaincre : en jetant

La même que j'appelle Ida dans le Discours intitulé, les Confidences d'une jeune fille.

les yeux sur ces jeunes gens appelés à l'accomplissement du même devoir, on était également frappé du profond recueillement des unes et de l'espèce de contrainte que s'imposaient les autres, sans parvenir à dissimuler leur distraction.

Une seule observation était à l'avantage de ceux-ci : une simplicité plus entière, plus générale, se faisait remarquer dans leur vêtement, et la distinction des états et des rangs y disparaissait sous l'uniformité des habits; il n'en était pas ainsi parmi les jeunes filles, dont plusieurs étalaient un luxe de parure qui trahissait au moins la vanité de leurs parens.

Au milieu de ces colombes du Seigneur, pour me servir de l'expression du psalmiste, la modeste Cécile attirait tous les regards, moins encore par sa grâce angélique que par l'extase religieuse où elle était plongée. On se rappelait, en la voyant, la sainte dont elle porte le nom, et dont le pinceau de Raphaël a consacré l'image.

Le sermon qui fut prononcé dans cette circonstance solennelle ne répondit ni à l'attente ni aux besoins de l'auditoire. L'orateur chrétien, au lieu de profiter des pieuses et tendres dispositions des cœurs pour y semer la parole divine, pour y graver ces vérités éternelles que la morale enseigne et que la religion sanctifie, se contenta de débiter, d'une voix alternativement sourde et criarde, une dissertation théologique sur le plus auguste et le plus impénétrable des mystères. En tout autre lieu j'aurais, je crois, interrompu le prédicateur, en lui adressant la question que faisait César à je ne sais quel mauvais orateur de son tems; « Parlez-vous, ou chantez-vous ? Si vous chantez: je vous préviens que vous chantez fort mal *. "}

La procession des jeunes communians allant à l'offrande est encore un moment de triomphe pour la vanité, dont il serait à souhaiter qu'on pût éviter l'occasion : la grandeur et la forme du cierge qu'ils ont en main, la beauté de la poignée de velours garnie de franges d'or et d'argent dont il est orné, la valeur de l'offrande que chacun doit présenter, est entre eux l'objet d'une émulation qui n'est pas toujours exempte d'orgueil et d'envie.

Il est des actions si saintes, qu'on peut craindre de les profaner en les décrivant. Je ne suivrai donc point les nouveaux communians au pied du sanctuaire, au moment

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Où l'Ange, dans les cieux,
Courbe lui-même un front religieux.

Je m'abandonnai moi-même, sans examen,

* Si loqueris cantas ; si cantas; malè cantas.

au mouvement

d'adoration dont tous les cœurs étaient saisis, et qui se manifestait au front des mères par un pieux attendrissement qui allait jusqu'aux larmes.

La figure de Mme de Lorys rayonnait d'une joie céleste au retour de l'autel, d'où elle ramenait sa petite-fille, belle de cette grâce divine qu'elle avait été puiser à sa source.

Le service fini, nous rentrâmes à l'hôtel ; et lorsque Cécile se fut retirée dans sa chambre, où elle témoigua le désir de déjeûner seule, nous reprîmes notre entretien sur l'utilité de la pompe des cérémonies religieuses. « Je conviens, disais-je à Mme de Lorys, que le culte extérieur est utile à la religion, qu'il rend plus solennelle, dont il personnifie en quelque sorte la spiritualité, mais peut-être faut-il craindre, en abusant d'un pareil moyen, de donner à certains philosophes le droit d'observer que les religions païennes.... » Quelqu'un entra, et la conversation prit un tour moins sérieux.

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Peuple, les passions ne brûlent pas ton cœur ;
Le travail entretient ta robuste vigueur.
Hélas! sans la santé que m'importe un royaume !
On veille dans les cours et tu dors sous le chaume.
Tu conserves tes sens; chez toi le doux plaisir
S'aiguise par la peine et vit par le désir.
THOMAS, Ep. au Peuple.

Je dirai volontiers comme Abdolonyme, après qu'Alexandre lui eut fait présent d'un trône : « Tant que je n'ai rien eu, rien ne m'a manqué. » J'ai long-tems cru que la santé était la seule richesse véritable, et je me contentais de la preuve qu'en donne Fontenelle en observant « que le dernier des valets bien portant ne changerait pas sa condition contre celle d'un empereur dangereusement malade. » Je commence un peu tard à me créer des besoins factices, et pour peu que la nature me donne le tems de me civiliser, j'arriverai, comme le mondain, à regarder le superflu comme une chose très-nécessaire.

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