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sa grandeur, agit si fortement sur mon esprit, qu'il est probable que j'eusse contribué, du moins par mes vœux, à une réforme dont j'aurais attendu de semblables résultats. J'affirme encore aujourd'hui que cette révolution politique, dès long-tems préparée par celle des mœurs, était devenue inévitable. L'intensité des maux qu'elle a produits est due en grande partie aux efforts des uns pour la comprimer, et à l'impatience des autres pour la faire éclore. Dans toute espèce d'innovation, a dit un homme de génie, les hommes devraient suivre l'exemple du plus grand des innovateurs, du tems, qui procède avec lenteur et par degrés imperceptibles, dans les changemens continuels qu'il ne semble que méditer alors qu'il les opère.

Sans m'occuper plus long-tems de rechercher les causes de la révolution, ou d'en blâmer les moyens, je me borne à examiner quelques-uns de ses effets.

Le caractère français, qui avait survécu à l'anarchie de Charles VI, aux fureurs de la Ligue, aux folies de la Fronde, et même au délire révolutionnaire ( si je dois en croire les observations de mon prédécesseur), paraît avoir subi, depuis deux ans, un changement total, qui ne laisse plus subsister un seul trait de sa physionomie primitive. La cause en est dans ce passage subit et sans transition des plus brillans succès aux plus cruels revers. Les lois de la physiologie s'appliquent, en certains cas, au moral comme au physique, et de même qu'un être organisé ne peut sans une altération sensible parcourir simultanément l'échelle du thermomètre, et passer de l'extrême chaleur au froid le plus vif, un peuple ne peut, sans éprouver une grande commotion morale, descendre tout-àcoup du premier rang qu'il occupait parmi les nations au degré d'humiliation où nous nous trouvons réduits. Cette circonstance explique honorablement, à mes yeux, l'absence de toute gaîté chez le peuple jadis le plus gai de la terre. La persévérance qu'il a mise à poursuivre la liberté à travers tant d'écueils, tant de malheurs, tant de sacrifices, l'absout pour jamais du reproche de frivolité qu'on lui adressait avec tant de raison. Souvent égaré par ceux qui l'ont conduit depuis vingt-cinq ans, j'observe cependant qu'il s'est constamment dirigé vers le même but; que, du sein des factions les plus opposées, un même cri s'est constamment fait entendre: la constitution. C'est cette constitution qu'il m'importait de connaître ; en ma nouvelle qualité de citoyen français, je voulais étudier, méditer, apprendre par coeur ce pacte social, si laborieusement enfanté, si impatiemment attendu, et sur lequel reposent irrévocablement les destinées de la France.

J'avais hâte de me procurer ce bréviaire du citoyen, et

j'entrai à cet effet chez un libraire du Palais-Royal à qui je demandai la constitution. « Laquelle Monsieur veut-il avoir? Comment, laquelle ? est-ce qu'il y a plusieurs constitutions?—Nous en avons eu quatre dans cette année seulement: La Charte royale,

L'Acte additionnel,

Le Projet de la Chambre des Représentans,

Et finalement, le Charte avec des modifications.

Je veux avoir la Constitution française, le recueil des lois fondamentales du royaume; en un mot, la Constitution qui me garantit mes droits de citoyen, et qui me prescrit mes devoirs de sujet.

Voici la Charte royale.

-Toute réflexion faite, je serai bien aise de comparer cette Constitution avec celles qui l'ont précédée ; donnez-moi les autres.

-Toutes?

-Oui, toutes.

-Voici :

1o Le recueil des cahiers des Trois Ordres, en 1789;
2° La Constitution de l'Assemblée Constituante, en 1791;
3o La même, révisée au commencement de 1792;

4o La Constitution républicaine de 1793;

5o Les Décrets de la Convention, portant création d'un Gouvernement révolutionnaire légalement constitué; 6o La Constitution de l'an 3, avec un Directoire ; 7° La Constitution de l'an 8, avec des Consuls; 8° La Constitution impériale;

9o Le Gouvernement despotique institué par des sénatusconsultes ;

10° La petite Constitution du Sénat, en vingt-neuf articles, en avril 1814;

11o La Charte royale, en juin 1814;

12° L'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire, en mai 1815;

13o Le Projet de Constitution de la Chambre des Représentans, en juin 1815;

14° La Charte royale avec des modifications, en juillet 1815. »

Muni de ce ballot de constitutions, je courus m'enfermer dans ma retraite pour y réfléchir à mon aise sur le sujet le plus important qui puisse être offert à la méditation des hommes.

Avant de connaître sous quel régime je vivais, je voulus savoir sous lequel il m'eût été le plus doux de vivre, et chacune de ces constitutions fut tour-à-tour l'objet de mon

examen.

શ્રી

Le luxe typographique qui distinguait au premier coupd'oeil celle de l'assemblée constituante, annonçait l'importance qu'on y avait sans doute attachée. Les hommes les plus éclairés de la fin du 18e siècle avaient concouru à la rédaction de ce pacte social, dont chaque article avait été l'objet d'une discussion lumineuse; trois années entières avaient été employées à perfectionner ce travail, qui n'avait cependant pas échappé à cet esprit démagogique dont l'influence commençait à se faire sentir. La constitution de 1791 renfermait deux vices essentiels : la concentration du pouvoir législatif dans une seule chambre, et l'état de nullité où se trouvait réduite l'autorité royale, sans défense contre l'usurpation graduelle d'une assemblée unique et permanente, ou sans force contré les entreprises de l'anarchie, dont la première attaque a suffi pour renverser le trône et détruire la monarchie.

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La constitution républicaine de 1793 est une de ces jongleries politiques dont la nation, sans avoir jamais été la dupe a souvent été la victime. Cette constitution dérisoire, où sont consacrés les principes de la liberté la plus absolue, du républicanisme le plus pur, après avoir servi de préface au décret portant création de l'horrible gouvernement révolutionnaire, fut précieusement enfermée le même jour dans une espèce d'arche dont on n'a jamais songé à la tirer.

Les constitutions de l'an 3 et de l'an 8 n'avaient fait qu'indiquer cette séparation, cette pondération des trois pouvoirs qui maintient leur équilibre et assure leur indépendance. Il était aisé de s'apercevoir que le conseil des cinq-cents et celui des anciens, tous deux amovibles, tous deux émanés de la même source, et composés des mêmes élémens, ne présentaient que deux divisions d'une même chambre, dont l'une ne pouvait conséquemment servir à l'autre de contre-poids. Dans ces constitutions, le pouvoir exécutif manquait de cette unité qui fait sa force, de cette hérédité qui peut seule perpétuer et régulariser son action.

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La constitution impériale, en créant un trône héréditaire et un sénat inamovible, remédiait à ces graves inconvéniens; mais un corps législatif muet, un conseil-d'état transformé en fabrique de lois; des sénatus-consultes qui n'étaient autre chose que l'expression servile de la volonté du prince, avaient fini par anéantir toutes ces constitutions de l'empire, qui n'étaient plus qu'un vain mot. Pendant dix ans, le despotisme le plus intolérable pesa sur la France; la gloire y tenait lieu de liberté.

Mais la gloire du trône accablait les sujets.

CORNEILLE.

En relisant la charte royale avec toute l'attention que l'on

apporte à la lecture d'un contrat qui nous engage personnellement, je me suis convaincu avec un extrême plaisir qu'elle renfermait tous les élémens de cette liberté publique, pour laquelle la nation combat depuis vingt-cinq ans, et dont les bases ont été posées par elle-même dès 1789, dans les cahiers des trois ordres: une monarchie héréditaire dans la famille en possession du trône depuis plus de deux cents ans; un monarque inviolable, des ministres responsables, des juges inamovibles, la séparation du pouvoir législatif, une égale répartition de l'impôt consenti par les représentans de la nation, la liberté individuelle qui place tout citoyen sous la sauve-garde des lois, et l'affranchit de la crainte de se voir, à son réveil, inscrit sur les tables de proscription; la liberté de conscience, que nulle puissance humaine n'a le pouvoir de restreindre, et la liberté de la presse, qui seule peut tenir lieu de toutes les autres. La charte royale, où se trouvent toutes ces garanties, est sans doute un grand bienfait du monarque à qui la nation la doit; peut-être serait-il à désirer qu'elle ne fût pas une simple concession du trône ; mais les modifications qu'elle va recevoir achèveront de lui donner ce caractère national si nécessaire à sa durée, et les Français alors n'au ront plus qu'un voeu à former : c'est qu'on l'exécute.

Le plus profond publiciste, Montesquieu, savait bien qu'il est plus facile de faire de bonnes lois que de les maintenir; aussi disait-il, en parlant de Charlemagne : il fit d'agréables réglemens; il fit plus, il les fit exécuter.

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N° IV.-7 août 1815.

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LES ENFANS D'AUJOURD'HUI,

Abstineas igitur damnandis : hujus enim vel
Una potens ratio est, ne crimina nostra sequantur
Ex nobis geniti: quoniam dociles imitandes
Turpibus ac pravis omnes sumus.

Juv., Sat. 14.

Faisons donc en sorte que nos actions soient irréprochables, de peur que nos enfans ne s'autorisent de nos travers; car nous naissons tous imitateurs dociles de la perversité.

Le tems se peint tout entier dans les générations vivantes : les vieillards représentent le passé; les hommes faits le présent, et les enfans l'avenir; dans le vaste tableau de la vie humaine, les premiers offrent leur exemple, les seconds leurs actions, et les autres leurs espérances. Je crois pouvoir me dispenser de dire plus clairement pourquoi mes premières observations se portent de préférence sur ces derniers; l'expé rience n'a point encore démenti leurs promesses; je puis du moins les doter, par anticipation, de toutes les qualités que je leur désire, et pour que rien n'altère le sentiment que je leur porte, c'est à leurs parens que je m'en prends des défauts que je remarque en eux. J'entre dans la carrière que j'ai à parcourir par le côté le moins pénible; on a besoin, pour se préparer au spectacle des hommes de ce pays, de remonter graduellement l'échelle des âges : il y a des dangers contre lesquels il faut s'aguerrir.

Comme il n'est point d'objet plus important que celui de l'éducation des enfans, il n'en est pas sur lequel les théoriciens se soient plus exercés. Le plus éloquent, le plus ingénieux de tous ces instituteurs spéculatifs est, sans contredit, l'auteur d'Emile. Choqué, comme tous les bons esprits, des vices de l'ancienne éducation, il a cru qu'il suffisait, pour faire mieux, de faire autrement, et, partant du faux principe que tout est bien en sortant des mains de la nature, et que tout se corrompt en société, il a voulu, comme dit Voltaire, nous apprendre à marcher à quatre pattes. Ses brillantes théories sur l'éducation ont eu le sort de ses éloquentes rêveries

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