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étroites, où il n'y a place que pour soi ; des ames vénales, des ames de boue, qui sont presque toujours des ames damnées. Quelques philosophes soutiennent encore qu'il n'y a point d'ame; la meilleure preuve qu'ils en donnent, c'est qu'ils n'en ont pas. Ame, voyez Matière.

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» AMOUR.- Substantif des deux genres : échange de deux fantaisies; privilége pour toutes les folies que l'on peut faire, pour toutes les sottises que l'on peut dire. On a de l'amour pour les fleurs, pour les oiseaux, pour la danse, pour son amant, quelquefois même pour son mari; jadis on languissait, on brûlait, on mourait d'amour; aujourd'hui on en parle, on en jase, on le fait, et le plus souvent on l'achète.

Voyez Entraînement, Désir, Caprice, Passade, Surprise. » BONTÉ. Disposition d'un esprit débile, insignifiant, d'un caractère faible; Vous avez bien de la bonté; Vous avez. trop de bonté; en d'autres mots, vous êtes un niais, une dupe, un imbécille.

» Au singulier, ce mot se prend quelquefois en bonne part; et, dans ce sens abstrait, la bonté est une vertu, mais ce n'est jamais par vertu qu'une femme a des bontés pour quelqu'un.

» CONQUÊTE.Action par laquelle on s'empare glorieusement du bien d'autrui : on fait la conquête d'un royaume, d'une province, d'une femme; on ne dit pas encore faire la conquête d'une diligence.

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» ESPRIT. Il y en a d'une infinité d'espèces; le plus com mun est aujourd'hui l'opposé du bon sens. Depuis qu'on fait à certaines gens des réputations d'esprit, personne n'en veut plus avoir. Cette capitale possède plusieurs fabriques d'esprit où l'on emploie, comme dans les autres, forces machines: les unes travaillent en vers, les autres en prose; les plus productives sont celles qui servent à la confection des journaux. Quand on vous a cité un homme d'esprit, il est encore tems de demander si c'est un sot. On s'entend plus vîte quand il est question de l'esprit des femmes : l'esprit, chez elles, suppose presque toujours du goût, de la finesse et de la mesure.

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» FEMME. La femelle de l'homme dans l'ordre de la nature, et quelquefois le mâle dans l'ordre de la société. Il n'y a pas de pays où l'on pense plus de bien des femmes, et où l'on en dise plus de mal qu'en France : il est vrai qu'il n'y a pas de pays où l'on puisse trouver plus d'exemples pour justifier les éloges des uns et les satires des autres. Quant le mot femme signifie épouse, il est toujours précédé d'un pronom possessif. Les paysans seuls ont la bonne foi de dire notre femme. Il y a des vieilles femmes des deux sexes.

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» FILLES. Par un raffinement de corruption, ou (pour parler le langage du monde) par un raffinement de politesse,

ce mot fille signifie, ad libitum, ce qu'il y a de plus pur, cè qu'il y a de plus doux, ce qu'il y a de plus bas, ce qu'il y a de plus vil dans le sexe féminin: Il est sage et timide comme une FILLE. - Il aime tendrement sa FILLE. En quittant l'auberge, il a donné quelque chose à la FILLE. Il a eu l'impudence de se montrer au spectacle avec une FILLE.

» Cet emploi d'un même mot pour exprimer des choses si disparates est-il nécessité par la pauvreté de la langue? Non, car nous avons les mots vierge, servante, prostituée. On en use avec certaines pensées comme avec certains hommes: pour les introduire dans la bonne compagnie, on les habille décem

ment.

» GLOIRE. Le mot le plus français et le plus ancien de la langue; on serait néanmoins tenté de croire que beaucoup de gens ne l'entendent plus à la difficulté avec laquelle ils le prononcent, et aux différens sens qu'ils lui donnent. Gloire voyez Fortune, Succès, Cours de la bourse, Coalition, Livres sterling.

» HONNEUR.Terme singulièrement élastique: il s'étend de la vertu à l'infamie; il signifie tout et ne signifie rien. On sollicite l'honneur de mourir pour son pays; on a eu l'honneur de tuer son meilleur ami en duel; on tient à honneur de compter parmi ses aïeux un confesseur de Louis XI, une maîtresse de François Ier, et un favori de Henri III. On a l'honneur de saluer un faquin, de faire une observation à un sot, d'écrire à un malotru; et quand on ne sait plus que dire, on a l'honneur d'étre.

» L'honneur est un mot sans pluriel; car il faut bien se garder de le confondre avec les honneurs, qui signifient toute autre chose. Tel a beaucoup d'honneurs qui n'a pas du tout d'honneur.

» L'honneur des hommes et celui des femmes sont deux plantes d'espèces tout-à-fait différentes: l'une croît au soleil, l'autre ne fleurit qu'à l'ombre.

c'est

» NATURE.-Le mot à la mode par excellence. C'est bien celui-là qui en dit plus qu'il n'est gros: il s'applique à tout, il répond à tout, il explique tout et tient lieu de tout; chacun le définit à sa manière: c'est une cause, c'est un effet, un lien, c'est une situation, c'est un bien, c'est un mal, c'est un instinct, un devoir, un sentiment; le plus souvent c'est une absurdité.

» Tel philosophe descend de la chair où il vient de prê-cher la nature, pour aller mettre ses enfans à l'hôpital; tel autre se ravale au-dessous de la nature pour nous prouver qu'il n'y a rien au-dessus. Celui-ci se fait centre de la nature ; celui-là prétend qu'il en est le terme.-Les femmes du grand monde sont tellement enthousiastes des beautés de la nature,

qu'elles ne leur préfèrent que le bal masqué, le mélodrame et l'opéra. C'est sur-tout dans les arts que brille la nature : un peintre, un sculpteur vous dit que ses figures sont nature; les poètes invoquent à tout moment la nature; les moralistes, les physiciens ne sortent pas de la nature, et chacun sait que les médecins et les acteurs sont presque toujours à côté de la nature.

» PATRIE.-Le lieu où l'on est né pour les grammairiens; le lieu où l'on est bien pour les 99 centièmes des hommes; la passion dominante de quelques pauvres diables dont on se moque dans le monde en les appelant les oies du Capitole. Il existe un peuple insulaire chez qui l'amour de la patrie est synonyme de fléau de l'humanité.

» PRÉJUGÉS S'entend d'une manière différente, suivant qu'il s'applique aux hommes ou aux femmes. Un homme à préjugés est un homme armé de vieilles opinions qu'il oppose sans examen à des vérités nouvelles. Une femme à préjugés est presque toujours une femme attachée à ses devoirs.-Il y a des préjugés appuyés sur des vertus; les gens qui les attaquent ne tirent pas toujours juste. Il faut l'adresse et le coupd'oeil de Guillaume Tell pour enlever la pomme sans toucher l'enfant.

» PRÉTENTIONS.-Le plus innocent des mensonges, parce qu'il n'en impose à personne; le plus dangereux des témoins, parce qu'il dépose toujours contre la personne en faveur de laquelle il parle. Les prétentions à la jeunesse donnent toujours à une femme quelques années de plus qu'elle n'en a. Valsain n'était qu'un homme ignorant; ses prétentions à l'esprit en ont fait un sot. Les prétentions à la naissance sont les plus ridicules, et pourtant les plus modestes de toutes.

» RIDICULE.-Ĉe n'est pas un défaut; ce n'est pas un vice; ce n'est pas un crime : c'est bien pis.

» SENTIMENT.-Affection nervale.—Madame telle a un sentiment. Ne vous découragez pas; on peut changer de sentiment; on peut même en avoir plusieurs à-la-fois. Il y a des femmes qui sont tout sentiment: comment se fait-il que les femmes à sentiment n'aiment pas les hommes à sentiment? C'est que le sentiment, chez les hommes, n'a pas le même siége, le même empire, la même expression.

» TALENT.-Voyez Intrigue.-Quand une femme vous dit qu'un homme a de grands talens, il est toujours malhonnête de rire.

» VALEUR.-Dans les revers, les poltrons l'appellent témérité extravagante. Montaigne n'était pas de cet avis : Le vrai vaincre, dit-il, a pour son rôle le choc, et non pas le salut; et

consiste l'honneur de la vertu à combattre, non à battre.

» VÉRITÉ.-Vieux mot exprimant une chose toute nouvelle.

que

-Antoine Perez disait c'était pour savoir la vérité que les rois entretenaient des fous auprès d'eux: depuis long-tems ils ne sont plus entourés que par des sages.-Vous avez pour vous la force; j'ai pour moi la vérité : la lutte peut être longue, mais la victoire me restera. La violence est passagère, la vérité est éternelle. N'est-ce pas Massillon qui a dit cela?

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>> VIE. Grammaticalement parlant, jamais on n'a tant abusé de la vie. C'est après la nature le mot dont nos poètes, et sur-tout nos romanciers, font le plus d'usage : l'amour même a perdu de son crédit; ce n'est plus qu'une vie dans la vie. Je m'informe de la santé d'une jolie femme; elle me ré◄ pond qu'elle porte légèrement la vie. Un bon bourgeois, à qui je demande si sa femme est accouchée, me dit que depuis huit jours son enfant essaie la vie. Je parle du prix du tems à un jeune homme dissipé : il convient avec moi qu'il éparpille sa vie. Une femme à sentiment, pour me donner une idée de l'état de son ame, me dit qu'elle se balance sur la vie, entre le passé qu'elle regrette et l'avenir qu'elle craint. Pour moi, sans être attaqué du spléen, je déclare que je suis las de la vie ; je n'y entends plus rien, depuis qu'on la place dans le discours comme on la reçoit et comme on la donne, sans savoir ce qu'on fait. »

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CELUI qui se charge de peindre les mœurs de son siècle et de son pays a beau répéter, comme La Bruyère, qu'il fait des tableaux et non pas des portraits, c'est toujours parmi les peintres de cette dernière classe qu'on s'obstine à le ranger. Au lieu de s'attacher à l'ensemble de sa composition, à la vérité des attitudes, à la franchise de l'expression, à l'exactitude plus

ou moins rigoureuse du costume, on s'amuse à rechercher dans ses figures les traits épars des originaux qui ont pu lui servir de modèles, et, donnant un nom propre à chacun des vices, des défauts ou des ridicules dont il trace l'image, on fait d'une critique générale une satire personnelle, et l'on ameute contre l'observateur tous ceux à qui l'on fait ou qui se font à euxmêmes l'application directe de sa censure. Cette tourbe de sots et de méchans (dont chacun en particulier craindrait de se faire reconnaître par ses plaintes) nomme d'office (parmi ce qu'il y a de plus diffamé dans la bande) des mandataires chargés de défendre, per fas et nefas, tous les vices, tous les abus tous les préjugés, toutes les sottises qu'ils représentent. Un des moyens les plus innocens que ces enfans perdus emploient contre l'écrivain qui les voue eux et leurs commettans à l'opprobre ou au ridicule, c'est de se retrancher dans quelque asile respectable, et d'accuser ensuite la direction du trait qui vient les y poursuivre; semblables à ces malfaiteurs qui se réfugient dans les églises, et crient ensuite au sacrilege contre la justice dont le bras les saisit au pied des autels.

C'est ordinairement derrière leur politique que ces gens-là cherchent à cacher les mœurs. Dernièrement j'entendais, en traversant une antichambre, l'un des coryphées de la secte se récrier, d'une voix de capucin, contre mon prédécesseur, bon et le loyal M. Guillaume; et lui reprocher, entre autres délits de même espèce d'avoir fait, il y a quelques mois, une peinture du Café Montansier. « Ce n'est pas le tout, lui dis-je avec un peu d'humeur, d'endoctriner en style convenable les laquais qui vous écoutent ou qui vous lisent: il faut un peu de bon sens, mon cher Monsieur, pour accréditer la calomnie, même parmi la livrée. Celui dont je continue la tâche avait à peindre les mœurs françaises à une époque donnée; il n'était pas plus le maître que je ne le suis moi-même de choisir ses sujets, de dénaturer les événemens, ou de passer sous silence des faits de notoriété publique, qui entraient, pour ainsi dire, de force dans le cadre qu'il avait à remplir. Mon prédécesseur a dû parler du Café Montansier et des orgies que l'on y célébrait, par cela même que ces orgies, nées des circonstances, pouvaient servir à les peindre. Quant aux couleurs adoucies qu'il a cru devoir employer dans un pareil tableau, ce n'est pas devant des gens de votre espèce qu'il faut justifier les concessions que l'autorité, la politique ou même l'opinion peuvent exiger de la morale la plus sévère. » Cela dit, je continuai mon chemin, et j'entrai chez l'homme en place à qui j'avais affaire. Le motif qui m'y conduisait pourra quelque jour me fournir le texte d'un Discours sus les importunités. Je me borne aujourd'hui à retracer des scènes d'intérieur.

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