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cun sait que la plus grande licence règne sur la scène, et la plus excessive pruderie dans les salons; mais en faisant observer que les mœurs et le langage de notre théâtre sont tellement épurés, tellement séyères, que plus d'une fois il a suffi d'une inconvenance, d'une expression équivoque pour amener la chute d'un ouvrage d'ailleurs estimable, je me contenterai de demander si la société actuelle a le droit de se montrer si rigide.

Le théâtre n'est ni l'école ni la peinture des mœurs, mais il peut en être considéré comme le miroir, dans ce sens que c'est dans ce lieu qu'elles se concentrent, qu'elles se réfléchissent, et qu'on peut y observer plus commodément le jeu des passions, des préjugés et de l'opinion publique. Le choix des ouvrages que l'on représente le plus habituellement, la manière dont on les écoute, le genre de plaisir ou d'infortune avec lequel la masse des spectateurs sympathise le plus volontiers; la maxime à laquelle tout le monde applaudit, le ridicule dont tout le monde se moque, les dispositions qu'on apporte au théâtre, le maintien qu'on y prend, la mode qu'on y introduit, les gens avec qui l'on y va, sont autant d'observations à recueillir, et d'après lesquelles, en ne tenant aucun compte des circonstances et des incidens, on peut se faire une idée complète des mœurs nationales.

A n'examiner nos théâtres que sous les rapports purement matériels, il s'en faut que nous ayons atteint le degré de perfection où l'art dramatique est parvenu. Aucune de nos salles ne peut être considérée comme un monument d'architecture: tous ces édifices, l'Odéon excepté, manquent extérieurement de style et de noblesse; les abords en sont difficiles, les distributions incommodes, les escaliers étroits, les corridors tellement resserrés, que deux personnes peuvent à peine y passer de front; la place dans les loges est mesurée avec une si rigoureuse parcimonie, que pour peu qu'une des personnes qui les remplissent sorte des dimensions communes, elle doit s'imposer à elle-même, et imposer aux autres, un véritable supplice, pour trouver à s'y loger en entier. La plus sordide économie préside aux moindres détails : les chaises sont incommodes et les banquettes mal rembourrées, les portes mal closes; nos salles de spectacle sont mal chauffées, mal éclairées; le défaut de propreté, de soins, s'y fait remarquer, et plus souvent sentir: la salle de Feydeau est la seule où l'on descende de voiture à couvert, mais pour balancer ce léger avantage, elle est entièrement privée de vestibule. Tous ceux des autres théâtres sont petits, mesquins et glacés: les femmes, en attendant leur voiture, s'y disputent, avec les soldats de garde et les domestiques, une petite place auprès d'un poële

dont il est aisé de voir que le chauffage est à l'entreprise; F'éclairage est soumis aux mêmes lois économiques, à en juger par la précipitation avec laquelle on éteint toutes les lumières, avant même que la foule ait eu le tems de s'écouler.

Ceux qui ont affronté les barricades du Théâtre-Français, un jour de première représentation; qui sont restés pendant deux heures entre la colonnade du théâtre et le ruisseau de la rue de Richelieu, pour y attendre l'ouverture des portes, dans la cruelle alternative de se voir refoulés dans la rue à coups de crosse par les sentinelles, ou écrasés par les voitures, dont les cochers croient avoir mis leur conscience en repos en criant gare à des gens qui ne peuvent ni avancer ni reculer ; ceux-là, dis-je, qui ont eu le bonheur de s'engouffrer tout vivans dans l'abîme du vestibule ouvert, au moment où le torrent s'y précipite, peuvent, sans être militaires se vanter d'avoir fait une bien périlleuse campagne.

Je n'ai ni le tems ni l'espace nécessaire pour montrer les changemens, les améliorations, de toute espèce, que le bon ordre et le bon goût réclament dans la construction, dans la décoration, dans la distribution de nos théâtres, pour signaler les vices, les abus de leur administration intérieure ; pour faire connaître les causes de cette décadence apparente de l'art dramatique, dont se plaignent quelques turlupins littéraires qui s'arrogent si burlesquement l'empire de la critique il faudrait un volume pour examiner le mal dans toute sa profondeur, dans tous ses développemens : quelques lignes suffi sent pour en indiquer le remède :

:

Les Romains (que je demande pardon de citer) avaient fait de l'édilité une magistrature de la plus haute importance. Notre passion pour le jeux scéniques n'est ni moins forte, ni moins populaire que ne fut la leur ce délassement, ennobli par son but et par son objet, est devenu pendant quelques heures du jour l'occupation favorite des Français de toutes les classes; pourquoi l'administration des théâtres de France ne formerait-elle pas, comme dans plusieurs autres états, un ministère séparé, sous la conduite d'un grand seigneur, protecteur éclairé des arts, et qui brillerait lui-même de tout l'éclat qu'il répandrait sur eux? S'il existe un corps qui ait besoin d'un chef, et d'un chef unique, c'est sans doute celui dont l'amour-propre est l'ame, et dont les auteurs et les comédiens sont les membres.

Un de mes amis, dont tous les raisonnemens sont des calculs, m'a prouvé que cette capitale, dans l'état actuel de sa population (qui ne s'élève pas, selon lui, à plus de 500,000 ames), ne pouvait entretenir que trois grands spectacles et trois petits. Je n'entre point dans l'examen de cette proposi

tion, susceptible d'une démonstration mathématique, et je me contente de jeter un coup-d'œil rapide sur les grands théâtres, en commençant par celui qui porte le nom de Français par excellence.

Riche de ses immortels chefs-d'œuvre, de la supériorité incontestable de ses acteurs, parmi lesquels il en est deux de sexe différent qui n'ont point, et, j'oserais presque dire, qui n'ont point encore eu de rivaux, la comédie française se soutient honorablement, malgré le mauvais choix de son répertoire, où figurent, au premier rang, les ouvrages de Marivaux, de Lanoue, de Lafosse et de Dubelloy; malgré le peu d'intelligence qui règne entre les sociétaires, malgré les dégoûts dont on abreuve les auteurs vivans, malgré... et cætera, et quatre pages d'et cætera.

L'Opéra théâtre véritablement national, où les succès sont d'autant plus difficiles à obtenir qu'ils exigent le concours de tous les beaux-arts), l'Opéra penche vers sa ruine depuis que le mérite du compositeur se réduit à ajuster des airs de ballets, et le talent du poète à rédiger des programmes; en un mot, depuis que la danse est devenue principal, où elle ne doit être qu'accessoire. Voltaire, qui juge tout ce dont il parle, a défini l'Opéra un théâtre

Où les beaux vers, la danse et la musique,

De cent plaisirs font un plaisir unique.

Cet éloge de ce qui doit être, fait la satire de ce qui est. Ce théâtre, depuis long-tems, n'aspire plus qu'aux succès du mélodrame et de l'opéra-comique; il n'obtiendra ni l'un ni l'autre : on ira de préférence au premier, parce qu'il est moins cher, et au second, parce qu'on y parle, du moins, quand on n'y chante pas. L'Opéra possède, en tout genre, des talens de premier ordre; c'est de bons ouvrages qu'il a besoin; et, quoi qu'on en dise, un bon opéra n'est pas moins rare qu'une bonne tragédie.

L'Opéra-Comique est un spectacle bâtard, que des hommes de génie ont élevé à la dignité d'un genre: pour l'y maintenir, il serait à souhaiter qu'on ne s'écartât pas de la route ouverte par les Marmontel et par les Grétry; qu'on n'oubliât pas que sur un théâtre français, même lyrique, le cœur et l'esprit sont les chemins de l'oreille, et que les paroles de MM. tels et tels, fussent-elles réchauffées et brillantées des sons de la plus délicieuse musique, ne peuvent réussir que sur le théâtre de la rue Favart, en les alongeant de quelques syllabes en i et en o, et en les faisant chanter par un instrument vocal.

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N° XXV.-22 décembre 1815.

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CONFIDENCES D'UNE JEUNE FILLE.

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Fallere credentem non est operosa puellam
Gloria.

Ovide, liv. 2.

Quel mérite y a-t-il à tromper la crédulité d'une jeune fille ?

L y a des bonnes-fortunes de tout âge; c'en est une bien rare, à près de quatre-vingts ans, que l'amitié d'une jeune fille de quinze, naïve comme l'innocence, jolie comme un ange et spirituelle comme un démon. Cette bonne-fortunelà m'était réservée. Je loge à Paris, à l'hôtel de Mme de Lorys, dans un petit appartement, au rez-de-chaussée. Cette dame (dont la fille aînée est morte littéralement de douleur en apprenant la perte qu'elle avait faite de son mari, officiergénéral du plus grand mérite, qui fut tué à la bataille d'Austerlitz); cette dame, dis-je, a pris chez elle et fait élever sous ses yeux, avec toute la tendresse et tous les soins d'une mère, l'intéressante orpheline que sa fille a laissée, et dont je faisais tout-à-l'heure le portrait en quelques

mots.

La jeune Ida est un petit prodige, dans la force du terme. A peine sortie de l'enfance, elle a toute la grâce, toute la beauté de la jeunesse, tout le bon sens, j'ai presque dit toute l'expérience morale de l'âge mûr. Ma chambre donne sur le jardin, et la petite, qui s'y promène toute la matinée, entre souvent par la fenêtre, et vient causer avec son vieil ami, qu'elle appelle son Robinson. Notre dernier entretien lui a donné l'occasion de développer une raison si précoce, des observations si fines, que j'ai pris soin de les mettre par écrit le jour même. Elle était venue frapper à ma fenêtre de meilleure heure qu'à l'ordinaire.

L'HERMITE (en ouvrant la croisée ).

Quoi! si matin, ma chère Ida! justement à l'heure de votre maître d'histoire et de géographie!

IDA.

C'est aujourd'hui le mardi- gras; il m'a prévenue hier qu'il n'y avait pas d'affaires, de leçons, qui tinssent; que, ce jour-là, il ne quittait pas ses enfans, et qu'il avait l'habitude de célébrer cette fête en famille. A son défaut, j'étais entrée chez ma grand'mère, pour étudier avec elle; j'ai vu entrer Mme de Gailleul, et je me suis retirée bien vite.

L'HERMITE.

Vous n'aimez donc pas cette dame ?

IDA.

Beaucoup, au contraire; mais il n'y a pas très-long-tems qu'elle a perdu une fille du même âge que moi, et j'ai craint que ma présence ne lui rappelât trop vivement le souvenir de sa perte.

L'HERMITE.

Comment pouvez-vous deviner le secret d'une pareille douleur ?

IDA.

En me mettant à la place de celle qui l'éprouve.

L'HERMITE.

Pour bien apprécier de semblables regrets, il faut pouvoir se faire l'idée du bonheur dont la perte les excite. On apprend à sentir, par expérience, comme on apprend toute autre chose.

IDA.

Et moi, je vous assure que, nous autres jeunes filles, nous faisons semblant d'apprendre beaucoup de choses que nous savions déjà. On s'imagine que nous n'avons des yeux que pour voir ce qu'on nous montre, des oreilles que pour entendre ce qu'on nous dit; on ne compte que sur l'éducation que l'on nous donne, et l'on ne nous fait pas l'honneur de croire que nous puissions penser, réfléchir, observer par nousmêmes. Quant à moi, mon ami, je vous avoue que ce que je sais le mieux, c'est ce qu'on ne m'a point encore enseigné.

L'HERMITE.

Comment donc vous y prenez-vous pour l'apprendre?

IDA.

Je compare sans cesse les préceptes que l'on me donne et les exemples que j'ai sous les yeux, et des contradictions qui en résultent dans mon esprit, je tire des lumières que je mets ensuite tous mes soins à cacher.

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