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l'amour de ses semblables, et la bonté de Dieu est l'amour de l'ordre; car c'est par l'ordre qu'il maintient ce qui existe, et lie chaque partie avec le tout. Dieu est juste ; j'en suis convaincu, c'est une suite de sa bonté ; l'injustice des hommes est leur œuvre et non pas la sienne : le dé¬ sordre moral qui dépose contre la providence, aux yeux des Philosophes, ne fait que la démontrer aux miens,Maisla justice de l'homme est de rendre à chacun ce qui lui appartient, et la justice de Dieu de demander compte à chacun de ce qu'il lui a donné.

Que si je viens à découvrir successivement ces attributs dont je n'ai nulle idée absolue, c'est par des conséquences forcées, c'est par le bon usage de ma raison: mais je les affirme sans les comprendre, et dans le fond, c'est n'affirmer rien. J'ai beau me dire, Dieu est ainsi, je le sens, je me le prouve, je n'en conçois pas mieux comment Dieu peut être ainsi.

Enfin, plus je m'efforce de contempler son essence infinie, moins je la conçois ; mais elle est, cela me suffit; moins je la conçois, plus je l'adore. Je m'humilie, et lui dis: Être des êtres, je suis, parce que tu es, c'est m'élever à ma source que de te

méditer sans cesse. Le plus digne usage de ma raison est de s'anéantir devant toi : c'est mon ravissement d'esprit, c'est le charme de ma foiblesse de me sentir accablé de ta grandeur.

Après avoir ainsi de l'impression des objets sensibles, et du sentiment intérieur qui me porte à juger des causes selon mes lumières naturelles, déduit les principales vérités qu'il m'importoit de connoître, il me reste à chercher quelles maximes j'en dois tirer pour ma conduite, et quelles règles je dois me prescrire pour remplir ma destination sur la terre, selon l'intention de celui qui m'y a placé. En suivant toujours ma méthode, je ne tire point ces règles des principes d'une haute philosophie, mais je les trouve au fond de mon coeur écrites par la nature en caractères ineffaçables. Je n'ai qu'à me consulter sur ce que je veux faire : tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que je sens être mal est mal le meilleur de tous les casuistes est la conscience, et ce n'est que quand on marchande avec elle, qu'on a recours aux subtilités du raisonnement. Le premier de tous les soins est celui de soi-même ; cependant combien de fois la voix intérieure nous dit qu'en faisant no

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tre bien aux dépens d'autrui, nous faisons mal! nous croyons suivre l'impulsion de la nature, et nous lui résistons; en écoutant ce qu'elle dit à nos sens nous méprisons ce qu'elle dit à nos coeurs; l'être actif obéit, l'être passif commande. La conscience est la voix de l'ame, les passions sont la voix du corps. Est-il étonnant que souvent ces deux langages se contredisent; et alors lequel faut-il écouter? Trop souvent la raison nous trompe, nous n'avons que trop acquis le droit de la récuser; mais la conscience ne trompe jamais, elle est le vrai guide de l'homme; elle est à l'ame ce que l'instinct est au corps (1); qui la suit, obéit à la nature,

(1) La philosophie moderne, qui n'admet que ce qu'elle explique, n'a garde d'admettre cette obscure faculté appelée instinct, qui paroît guider, sans aucune connoissance acquise, les animaux vers quelque fin. L'instinct, selon l'un de nos plus sages philosophes, n'est qu'une habitude privée de réflexion, mais acquise en réfléchissant; et, de la manière dont il explique ce progrès, on doit conclure que les enfans réfléchissent plus que les hommes; paradoxe assez étrange pour valoir la peine d'être examiné. Sans entrer ici dans cette discussion, je demande quel nom je dois donner à l'ar deur avec laquelle mon chien fait la guerre aux taupes

et ne craint point de s'égarer. Ce point est important, poursuivit mon bienfaiteur ; voyant que j'allois l'interrompre ; souffrez

qu'il ne mange point, à la patience avec laquelle il les guette quelquefois des heures entières, et à l'habileté avec laquelle il les saisit, les jette hors terre au momen! qu'elles poussent, et les tue ensuite pour les laisser-là, sans que jamais personne l'ait dressé à cette chasse, et lui ait appris qu'il y avoit là des taupes? Je demande encore, et ceci est plus important, pourquoi, la première fois que j'ai menacé ce même chien, il s'est jelé le dos contre terre, les pattes repliées, dans une attitude suppliante et la plus propre à me toucher; posture dans laquelle il se fût bien gardé de rester, si, saus me laisser fléchir, je l'eusse baltu dans cet état ? Quoi! mon chien, tout petit encore, et ne faisant presque que de naître, avoit-il acquis déjà des idées morales, savoit-il ce que c'étoit que clémence el générosité? Sur quelles lumières acquises espéroit-il m'appaiser, en s'abandonnant ainsi à ma discrétion ? Tous les chiens du monde font à peu près la même chose dans le même cas, et je ne dis rien ici que chacun ne puisse vérifier. Que les philosophes, qui rejettent si dédaigneusement l'instinct, veuillent bien expliquer ce fait par le seul jeu des sensations et des connoissances qu'elles nous font acquérir; qu'ils l'expli. quent d'une manière satisfaisante pour tout homme sense: alors je n'aurai plus rien à dire, et je ne parlerai plus

d'instinct.

que je m'arrête un peu plus à l'éclaircir.

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Toute la moralité de nos actions est dans le jugement que nous en portons nousmêmes. S'il est vrai que le bien soit bien, il doit l'être au fond de nos cœurs comme dans nos œuvres, et les premiers prix de la justice est de sentir qu'on la pratiqne. Si la bonté morale est conforme à notre nature, l'homme ne sauroit être sain d'esprit ni bien constitué qu'autant qu'il est bon. Si elle ne l'est pas . et que l'homme soit méchant naturellement, il ne peut cesser de l'être sans se corrompre, et la bonté n'est en lui qu'un vice contre nature. Fait pour nuire à ses semblables, comme le loup pour égorger sa proie, un homme humain seroit un animal aussi dépravê qu'un loup pitoyable, et la vertu seule nous laisseroit des remords.

Rentrons en nous-mêmes, ô mon jeune ami! examinons, tout intérêt personnel à part, à quoi nos penchaus nous portent. Quel spectacle nous flatte le plus ; celui des tourmens ou du bonheur d'autrui ? Qu'est-ce qui nous est le plus doux à faire, et nous laisse une impression plus agréable après l'avoir fait, d'un acte de bienfaisance ou d'un acte de méchanceté?

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