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à leurs sentiments; et ils veulent absolument que l'on préfère les ténèbres de leur imagination, à la lumière pure de la vérité qui éclaire l'esprit.

"Nous sommes, grâces à Dieu, ajoute Malebranche, bien éloignés de cette manière d'agir, quoique souvent on nous l'attribue. Nous ne regardons les auteurs qui nous ont précédés, que comme des moniteurs; nous serions donc bien injustes et bien vains de vouloir qu'on nous écoutât comme des docteurs et comme des maîtres. Nous demandons bien que l'on croie les faits et les expériences que nous rapportons, parce que ces choses ne s'apprennent point par l'application de l'esprit à la raison souveraine et universelle : mais pour toutes les vérités qui se découvrent dans les véritables idées (1) des choses que la Vérité éternelle nous représente dans le plus secret de notre raison, nous avertissons expressément que l'on ne s'arrête point à ce que nous en pensons; car nous ne croyons pas que ce soit un petit crime que de se comparer à Dieu, en dominant ainsi sur les esprits (2). » Cette citation est un peu longue; mais elle me semble venir à propos, et elle complète d'ailleurs une observation que j'ai présentée plus haut, sur la nécessité, dans l'étude de la philosophie, de descendre dans son propre cœur et d'interroger la nature après les auteurs qu'on croit devoir lire.

Je puis, à cet égard, me rendre le témoignage d'avoir fait ce que j'ai pu, pour rendre cet examen et ce contrôle faciles au lecteur, par l'ordre que j'ai mis dans cet ouvrage et par la clarté avec laquelle j'ai tâché de m'exprimer. On peut ne pas être toujours d'accord avec moi; mais il est impossible, je crois, qu'on ne me comprenne point. Je suis, par-dessus tout, ennemi de l'obscurité et du vague, et mon habitude n'est pas de parler de ce qui n'est pas net à mes yeux. Or,

Ce que l'on conçoit bien, s'énonce clairement,

Et les mots, pour le dire, arrivent aisément.

Tel est en effet le mérite que j'ai particulièrement ambitionné dans cet ouvrage; et indépendamment d'un style simple, pur, naturel et correct, dans lequel je me suis efforcé de présenter mes pensées, j'en ai soigneusement écarté tout développement superflu, toute amplification, toute longueur. Des chapitres, ordinairement peu étendus, présentent l'exposé on la discussion des points particuliers ; et ce qu'on y peut dire en deux mots, on ne le dit pas en trois. De plus, chaque fois que l'expression m'a paru insuffisante pour l'explication du sujet, j'appelle le dessin au secours de l'écriture et j'instruis le lecteur par des images véritables.

(1) On sait ce que le mot idées signifie dans le cartésianisme. Il est inutile d'avertir que nous n'admettons point cette doctrine. Notre propre opinion est suffisamment connue, par les nombreux articles philosophiques qui ont été publiés, depuis quelques années, dans le Journal historique et littéraire.

(2) Recherche de la vérité, Préface p. XXXIII

Quant à l'exécution typographique, j'ai voulu également qu'elle ne laissât rien à désirer. L'ouvrage est imprimé avec soin en caractères neufs, et chaque feuille a eté corrigée cinq fois, en passant par les mains de quatre personnes différentes.

En un mot, je crois n'avoir rien omis pour remplir le devoir d'un auteur grave et consciencieux; et après m'être plaint tant de fois, dans le Journal historique, du caractère léger, frivole et superficiel du siècle, j'ai soigneusement évité qu'on ne pût me faire le même reproche.

Lairesse prės Liége, 3 décembre 1850 (1).

(1) Pour achever de faire connoître au lecteur le contenu de cette première partie, nous joignons à la préface la Table du volume.

TABLE

DE LA PREMIÈRE PARTIE.

DU LANGAGE EN GÉNÉRAL.

LIVRE UNIQUE.

Comment le principe pensunt agit par les organes, pour devenir sensible et pour établir les communications sociales.

CHAP. I.

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PRÉFACE.

Nature de l'homme.

II. Etat du genre humain sur la terre. La société.
111. Le langage.

IV. Nécessité mutuelle du langage et de la vie sociale.

V.

Première cause du langage. La raison.

VI. Conditions physiques du langage.

VII. La raison.

VIII. Principe et fondement de la raison.

IX. Développement, plein exercice et décroissement de la raison.

>> X.

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De la généralité de la raison.

11. Spontanéité de la raison.

D XII. Force de la raison; sens commun; autorité de la société.

XIII. Insuffisance de la raison. Enseignement.

>> XV. Des signes du langage en général.

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XIV. Connexion intime entre la raison et le langage.

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XVI. De la pensée et de l'idée.

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XVII. De la pensée pure et de la pensée sensible.

» XVIII. Destination et usage de la pensée. La vérité et l'èrreur.

" XIX. Rapport entre le signe et l'idée.

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Langage naturel et langage conventionnel.

>> XXI. Du vrai langage humain. Ce langage est composé.

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XXII. Universalité du langage; preuve qu'il est naturel.

XXI. Du langage primitif. Développement successif du langage.
XXIV. Principe du langage. L'imitation.

XXV. Des conditions physiques du langage, comme déterminant le genre

de l'imitation.

XXVI. De la différente manière d'envisager les choses, comme déterminant

le genre de l'imitation.

" XXVII. De la nature de la pensée, comme déterminant le genre de l'imita

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XXVIII. Du langage qui n'est fondé ni sur l'imitation ni sur l'analogie, ou des signes arbitraires.

XXIX. Division du langage d'après les différentes espèces de signes : langage par signes fugitifs, langage par signes fixes.

DE LA VIE DE FAMILLE, COMME BASE DE LA VIE SOCIALE.

Nous avons dit dans notre dernière livraison, que la force constitue ce qui assure l'exercice du droit de commander, et que, sans elle, l'autorité est un vain mot, une chimère.

Mais la force, avons-nous ajouté, requiert l'esprit comme moteur, et la matière comme instrument. Point de force véritable sans les deux substances, l'âme et le corps, l'intelligence et les organes.

L'esprit est la partie active, et au fond c'est lui qui dirige tout. La matière obéit, et elle n'agit que par impulsion.

Sans la matière, l'esprit n'agiroit pas au dehors, et son activité seroit nulle à l'égard du monde extérieur. Mais la matière, sans l'esprit, seroit privée de toute action, et on ne la conçoit pas agissante par elle-même.

Il n'en résulte pas que la matière soit absolument sans influence sur l'esprit, ou qu'il soit indifférent à l'esprit d'être uni à la matière plutôt de telle manière que de telle autre. L'homme sait par expérience, que la nature spirituelle de son être dépend du corps, comme le corps dépend de l'esprit.

Nous voulons simplement dire que, puisque c'est l'esprit qui dirige, guide et conduit, il faut nous y attacher surtout et voir ce qui est requis pour que cette direction soit bonne et sage.

En précisant cette question et en la restreignant à la politique, il s'agit d'examiner quelle influence l'esprit subit selon les relations qu'il a avec d'autres esprits de même nature, et à quel point ces relations peuvent être un obstacle au repos et au bonheur de la société.

On diroit d'abord que, comme nous sommes nés pour vivre avec nos semblables, il doit nous être utile de fréquenter beaucoup de personnes et d'étendre toujours davantage ces relations. Mais les faits prouvent qu'il n'en est pas ainsi, et que l'Etat n'attend pas son salut de ce moyen.

Il est vrai que la vie sociale consiste essentiellement dans ces relations, et qu'elle ne se conçoit pas autrement. Mais d'un autre côté, il est à considérer que l'Etat se compose de familles, et qu'en conséquence le maintien et le bon ordre

de l'Etat dépend directement du maintien et du bon ordre des familles,

La famille elle-même est une sorte d'Etat, puisqu'on y trouve un souverain et des sujets, et que, si l'on n'y voit pas des rouages aussi nombreux et aussi compliqués, on y voit du moins les instruments nécessaires et les choses essentielles.

Quelle différenc y a-t-il entre l'autorité du père et celle du souverain? La dernière commence où la première cesse, et le souverain ne commande, que lorsque le père commanderoit en vain. Mais il est évident que tout ce que le père peut bien faire par lui-même, personne n'a le droit de le faire à sa place.

Si l'autorité du souverain est plus grande et plus élevée, celle du père est peut-être plus étendue, en ce qu'elle embrasse plus de choses, plus de détails.

La famille est donc une société parfaite; et si elle avoit la sûreté, il ne lui manqueroit rien. Le père n'a pas besoin du souverain, pour gouverner son petit Etat; mais il réclame sa protection contre la violence extérieure.

Ce qui conserve et maintient l'Etat, c'est l'esprit national, c'est le patriotisme. Nulle société n'existe que par un caractère commun qui lui est propre ; et quand ce caractère vient à manquer, la société tombe et périt.

Il en est donc de même de la famille, qui a aussi son esprit, son caractère propre, sans lequel elle ne sauroit exister. Comment l'esprit de famille se forme-t-il? Comment se conserve-t-il ?

Cette question n'en devroit pas être une, puisqu'il il a peu de maisons qui ne pussent y répondre, si elles le vouloient bien. Mais, par malheur, on y vit généralement de manière à ne pas connoître même l'esprit de famille.

Il est évident que l'esprit de famille se forme de la vie de famille, et que la communauté de sentiments et d'affections ne peut exister que par les relations physiques et réelles entre les personnes. Il faut vivre ensemble, pour penser et sentir de la même manière; et l'union morale que nous appelons esprit ici, résulte des communications renouvelées sans cesse au foyer domestique.

Il est donc clair que l'esprit de famille ne peut se trouver que là où l'on vit de la vie de famille.

Qu'est-ce que la vie de famille, et que faut-il en penser?

Comme elle est rare aujourd'hui, il sera même difficile. d'en parler, sans encourir le reproche d'exagération et de singularité. Mais si cette crainte devoit nous arrêter, il faudroit nous imposer silence sur bien d'autres sujets graves et importants.

La vie de famille suppose nécessairement un certain éloignement du monde et de la société. Il faut que la famille s'isole et se suffise à elle-même, pour qu'elle demeure ce qu'elle est.

Cet isolement ne consiste pas dans une retraite absolue ni dans une sauvage misanthropie. Il n'y a pas de famille que ses affaires et ses besoins n'appellent au dehors, et qui n'ait des intérêts à soigner ou à discuter avec des personnes étrangères, des devoirs de charité ou de bienséance à remplir à l'égard d'une foule de gens. Méconnoître ces obligations, se renfermer chez soi et fuir le monde de crainte d'être gêné en quoi que ce soit, ce ne seroit qu'un égoïsme d'une espèce particulière.

La vie de famille ne s'entend pas ainsi. Elle n'exclut pas les relations sociales ordinaires ni même un honnête amusement; elle exclut seulement l'excès et une trop grande dissipation.

La plupart des gens du monde ne sont jamais contents chez eux. Les heures qu'ils sont obligés de passer au sein de leur famille, sont des heures d'ennui. Ils n'ont pas de famille proprement dite; leurs enfants leur sont à charge; ils les voient à peine et ils les abandonnent le plus qu'ils peuvent. Tout leur plaisir, toutes leurs pensées sont au dehors; c'est là qu'ils parlent, qu'ils rient, qu'ils s'étourdissent; chez eux, ils sont mornes, silencieux, de mauvaise humeur. Une fois ces habitudes prises et établies, tous les liens qui devroient unir et serrer ceux qui forment la société domestique, se relâchent et tombent. Point d'attachement véritable, point de joie intérieure. Les enfants, à peine adolescents, désertent la maison à l'exemple des parents. Les soins de la communauté sont abandonnés à des serviteurs, à des étrangers. Et, à voir l'ensemble de ces individus que couvre un même toit, on diroit que c'est une simple agrégation sans union intime.

Cette vie, passée à l'extérieur, est une source de corruption, de vices, de dépenses ruineuses, de dissolution. Les mœurs, les principes, les affections mutuelles, tout fait naufrage, et il ne reste plus rien de ce qui constitue l'esprit de famille.

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