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LXI.-LE RAT ET L'HUÎTRE.

Un rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva soûl.
Il laisse là le champ, le grain, et la javelle,
Va courir le pays, abandonne son trou.

Sitôt qu'il fut hors de la case:

Que le monde, dit-il, est grand et spacieux !
Voilà les Apennins, et voici le Caucase!
La moindre taupinée était mont à ses yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Téthys sur la rive
Avait laissé mainte huître; et notre rat d'abord

Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord.
Certes, dit-il, mon père était un pauvre sire!
Il n'osait voyager, craintif au dernier point.
Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire :

J'ai passé les déserts, mais nous n'y bûmes point.
D'un certain magister le rat tenait ces choses,
Et les disait à travers champs;

N'étant point de ces rats qui, les livres rongeants,
Se font savants jusques aux dents.

Parmi tant d'huîtres toutes closes

Une s'était ouverte; et, bâillant au soleil,

Par un doux zéphyr réjouie,

Humait l'air, respirait, était épanouie,

Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nonpareil.

D'aussi loin que le rat voit cette huître qui bâille :

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Qu'aperçois-je, dit-il; c'est quelque victuaille?

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Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,

Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais."
Là-dessus maître rat, plein de belle espérance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,

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Se sent pris comme aux lacs; car l'huître tout d'un coup Se referme. Et voilà ce que fait l'ignorance.

Cette fable contient plus d'un enseignement:
Nous y voyons premièrement

Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement;
Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.

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LXII.-LE LION, LE LOUP ET LE RENARD.

Un lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse.
Alléguer l'impossible aux rois, c'est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce

Manda des médecins : il en est de tous arts.
Médecins au lion viennent de toutes parts;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites

Le renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le loup en fait sa cour, daube, au coucher du roi,
Son camarade absent. Le prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer renard dans sa demeure,
Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté;

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Et sachant que le loup lui faisait cette affaire :

Je crains, sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère
Ne m'ait à mépris imputé

D'avoir différé cet hommage;

Mais j'étais en pèlerinage,

Et m'acquittais d'un vœu fait pour votre santé.
Même j'ai vu dans mon voyage

Gens experts et savants; leur ai dit la langueur
Dont votre majesté craint à bon droit la suite.

Vous ne manquez que de chaleur ;

Le long âge en vous l'a détruite :

D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante;

Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.

Messire loup vous servira,

S'il vous plaît, de robe de chambre.
Le roi goûte cet avis-là.

On écorche, on taille, on démembre
Messire loup. Le monarque en soupa,
Et de sa peau s'enveloppa.

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Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire;
Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire :
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour d'une ou d'autre manière :
Vous êtes dans une carrière

Où l'on ne se pardonne rien.

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Un loup n'avait que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde :

Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,

Sire loup l'eût fait volontiers:
Mais il fallait livrer bataille;

Et le mâtin était de taille
A se défendre hardiment.

Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu'il admire.

Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,

D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

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Car, quoi! rien d'assuré! point de franche lippée !

Tout à la pointe de l'épée !

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin."

Le loup reprit: "Que me faudra-t-il faire ?

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-Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens Portant bâtons, et mendiants;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire:

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;

Sans parler de mainte caresse."

Le loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.

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"Qu'est-ce là? lui dit-il.-Rien.-Quoi! rien?-Peu de

chose.

-Mais encor?-Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. -Attaché! dit le loup: vous ne courez donc pas

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Où vous voulez?-Pas toujours; mais qu'importe ? -Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

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LXIV. LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT.

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,

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