LXI.-LE RAT ET L'HUÎTRE. Un rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle, Sitôt qu'il fut hors de la case: Que le monde, dit-il, est grand et spacieux ! Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord. J'ai passé les déserts, mais nous n'y bûmes point. N'étant point de ces rats qui, les livres rongeants, Parmi tant d'huîtres toutes closes Une s'était ouverte; et, bâillant au soleil, Par un doux zéphyr réjouie, Humait l'air, respirait, était épanouie, Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nonpareil. D'aussi loin que le rat voit cette huître qui bâille : Qu'aperçois-je, dit-il; c'est quelque victuaille? ΙΟ 15 20 25 5 Et, si je ne me trompe à la couleur du mets, Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais." 30 Se sent pris comme aux lacs; car l'huître tout d'un coup Se referme. Et voilà ce que fait l'ignorance. Cette fable contient plus d'un enseignement: Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience 35 LXII.-LE LION, LE LOUP ET LE RENARD. Un lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant plus, Manda des médecins : il en est de tous arts. Le renard se dispense, et se tient clos et coi. F 5 10 Et sachant que le loup lui faisait cette affaire : Je crains, sire, dit-il, qu'un rapport peu sincère D'avoir différé cet hommage; Mais j'étais en pèlerinage, Et m'acquittais d'un vœu fait pour votre santé. Gens experts et savants; leur ai dit la langueur Vous ne manquez que de chaleur ; Le long âge en vous l'a détruite : D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau Le secret sans doute en est beau Messire loup vous servira, S'il vous plaît, de robe de chambre. On écorche, on taille, on démembre 35 Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire; Où l'on ne se pardonne rien. 40 Un loup n'avait que les os et la peau, Tant les chiens faisaient bonne garde : Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau, Sire loup l'eût fait volontiers: Et le mâtin était de taille Le loup donc l'aborde humblement, Sur son embonpoint, qu'il admire. Il ne tiendra qu'à vous, beau sire, D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien. Vos pareils y sont misérables, Dont la condition est de mourir de faim. 5 ΙΟ 15 Car, quoi! rien d'assuré! point de franche lippée ! Tout à la pointe de l'épée ! Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin." Le loup reprit: "Que me faudra-t-il faire ? 20 -Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens Portant bâtons, et mendiants; Flatter ceux du logis, à son maître complaire: Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons, Sans parler de mainte caresse." Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé. 25 30 "Qu'est-ce là? lui dit-il.-Rien.-Quoi! rien?-Peu de chose. -Mais encor?-Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. -Attaché! dit le loup: vous ne courez donc pas 35 Où vous voulez?-Pas toujours; mais qu'importe ? -Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor." 40 LXIV. LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT. Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait |